Date de publication : 3 décembre 2018

2018 aura été une année extrêmement déstabilisante pour les investisseurs, se traduisant par une dispersion particulièrement forte des performances entre fonds d’une même catégorie. Les anomalies, les ruptures, mais aussi les doutes n’auront cessé d’émailler l’année, contraignant beaucoup de gérants à prendre des décisions d’investissements parfois éloignées de leurs convictions, sous peine d’afficher des performances désastreuses. Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette année, et quelles allocations d’actifs peut-on envisager pour aborder 2019 ?

Anomalies

Si les investisseurs ont été fortement désorientés, c’est d’abord parce que l’année a été caractérisée par bien des anomalies.

2018 est une année de performances particulièrement atypiques. Les indices de grandes sociétés cotées devancent par exemple d’au moins 10% les petites capitalisations boursières, alors même que ces entreprises partagent le même contexte politique, économique et financier. L’écart de performance est également très important entre les actions américaines et européennes (et que dire des émergents !), d’autant que l’appréciation relative du Dollar a accentué ces différences ! Les distorsions sectorielles ont été extrêmes, mais c’est plus encore l’extraordinaire constance de certaines thématiques en vogue (technologie, luxe, aéronautique,…) ou au contraire délaissées (automobile, banque,…) qui a provoqué de fréquentes erreurs d’allocations financières : prises de bénéfices prématurées ou achats inopportuns. Si les performances des actions ont dérouté bien des investisseurs expérimentés, notamment ceux ayant une approche par les “valorisations”, le comportement des obligations a été tout aussi déconcertant. Lorsqu’elle aurait été utile aux investisseurs, la “protection” habituellement procurée par l’exposition aux obligations a été très peu efficace, voire parfois nuisible, la diversification des actifs financiers en portefeuilles contribuant finalement très peu à l’amélioration du rendement-risque durant l’année.

Cette situation ne peut même pas être expliquée par un écart significatif entre la croissance économique mondiale initialement anticipée et celle finalement constatée, ou bien encore par des inflexions significatives de prévisions durant l’année. Ainsi, les anticipations médianes de PIB mondial pour 2018 sont restées figées durant toute l’année entre +3.7% et +3.8%, et entre +3.6% et +3.7% pour 2019. De même, les résultats des entreprises ont généralement dépassé les attentes des analystes, ce qui est contradictoire avec l’ampleur des sanctions boursières ayant frappé la plupart des sociétés. Lors des publications du troisième trimestre 2018, 73% des chiffres d’affaires et des résultats nets des entreprises américaines ont dépassé les prévisions des investisseurs soit, sur un an glissant, une amélioration de +8% des chiffres d’affaires et de +28% des bénéfices … et pourtant les indices américains ont chuté de -10% lors de ces annonces ! Comment ne pas être déstabilisé par une telle dichotomie entre l’économie réelle et les comportements boursiers ?

2018 aura aussi été l’année des 1000 milliards de Dollars ! Apple et Amazon ont successivement atteint cette valorisation boursière record, pour néanmoins voir leurs cours de bourse très vite décrocher ensuite. 1000 milliards de Dollars est aussi le montant historique de capitaux que devraient consacrer cette année les entreprises américaines au rachat de leurs propres actions, soit l’équivalent de 5% de la valorisation totale du marché américain ! En effet, les allègements fiscaux accordés par l’Administration Trump, notamment ceux concernant les rapatriements de bénéfices accumulés à l’étranger, ont dopé la capacité d’intervention des entreprises sur les marchés : près de 50% de plus qu’en 2017 ! Et pourtant, malgré l’ampleur de ces flux acheteurs, les actions américaines peinent finalement à afficher des performances positives en 2018. Il est donc tout aussi difficile de reprocher aux “flux” qu’aux “fondamentaux” les déceptions boursières observées cette année, sachant que les États-Unis ont pourtant été LA zone géographique privilégiée par les investisseurs du monde entier !

Ruptures

2018 a été une année où plusieurs ruptures importantes sont intervenues, justifiant certaines des anomalies précédemment mentionnés car nécessitant de repositionner les allocations financières de long terme.

Le premier phénomène, attendu depuis longtemps par les investisseurs, a été le retour graduel de l’inflation. Entre les mutations dues à la technologie (achats par internet, comparateurs,…), l’intensité de la concurrence internationale,… l’inflation semblait durablement anesthésiée. Toutefois, les pressions cycliques sur les prix semblent de retour cette année, l’amélioration de la situation de l’emploi dans le monde contribuant notamment à faire repartir les salaires à la hausse. Plus encore que l’inflation constatée, c’est surtout la remontée des anticipations d’inflation qui a persuadé les investisseurs d’ajuster leurs allocations financières. Pour les porteurs d’obligations, l’inflation future est nuisible puisque le rendement de l’obligation ajusté de l’inflation diminue d’autant. Les investisseurs exigent donc des émetteurs d’obligations qu’ils versent des rendements plus élevés en compensation de l’inflation montante … voilà qui explique notamment la contribution décevante des obligations cette année ! Pour ce qui est des actions, l’impact boursier de l’inflation dépend généralement de la capacité de l’entreprise à imposer ses prix à ses clients et fournisseurs, c’est à dire son “pricing power”. Les sociétés en situation de monopole ou d’oligopole, positionnées sur des créneaux plutôt haut de gamme, parviennent à répercuter aisément les hausses de coûts sur leurs prix … peu d’impact alors sur leurs bénéfices. Mais les entreprises faisant l’objet d’une concurrence intense et proposant des biens ou services trop peu différenciés doivent en revanche sacrifier leurs marges pour préserver leurs ventes … c’est cette crainte qu’ont exprimée plusieurs dirigeants d’entreprises lors des dernières publications trimestrielles et qui a contribué au fort repli des actions en octobre. Même si la croissance économique résiste bien et qu’elle devrait encore bien se tenir en 2019, le pic des marges bénéficiaires est peut-être déjà atteint !

La seconde rupture majeure cette année provient de l’inflexion des politiques monétaires. Le retour de l’inflation contraint en effet les banques centrales à durcir leurs conditions de crédit. La croissance économique américaine étant très soutenue, la banque centrale américaine (FED) a dû remonter à nouveau par 3 fois ses taux d’intérêts cette année, tout en diminuant significativement ses achats d’obligations héritées du fameux “quantitative easing”. Trois conséquences importantes de cette démarche : un acheteur majeur moins actif sur les obligations américaines, la nécessité pour le Trésor américain d’offrir des rendements obligataires plus élevés pour financer les déficits nationaux, et enfin un Dollar qui s’apprécie face aux autres devises. Plusieurs pays émergents se sont alors retrouvés piégés par une brutale hausse du coût des dettes contractées en Dollar et par le décrochage de leurs monnaies. Pour limiter le recul de leurs devises et pour contenir le risque d’inflation induit, les banques centrales de ces pays ont été contraintes de remonter leurs taux d’intérêts, pesant alors sur les dynamiques économiques nationales. La banque centrale européenne (BCE) cessera pour sa part ses achats mensuels d’obligations en fin d’année, et elle envisage de devenir plus restrictive à partir de la fin de l’été 2019. C’est donc la liquidité MONDIALE qui désormais se contracte ! Ceci a bien entendu des répercussions majeures sur toutes les classes d’actifs puisque le coût de financement de toute activité économique (consommation, investissement,…) est désormais plus onéreux. Après des années de “perfusions” monétaires, les investisseurs sont donc désormais engagés dans un processus, par tâtonnements, visant à donner un “juste” prix au risque, et restaurer une “juste” valorisation à chaque actif, ce qui explique l’actuelle volatilité des marchés financiers.

Dernière rupture, et non la moindre : la guerre commerciale ! Sans porter de jugement de valeur quant au bien-fondé de vouloir établir par la force un commerce “équitable”, cette décision des États-Unis remet en cause beaucoup de circuits réels et financiers qui avaient nécessité des décennies pour être fluides. Imposer des taxes additionnelles pénalise le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises contraints d’acquérir ces biens surtaxés, et cela entretient plutôt l’inflation. Des sociétés se créent pour bénéficier d’opportunités ponctuelles offertes, mais d’autres sont en revanche liquidées ou très affaiblies du fait d’une brutale chute d’activité ou de rentabilité due notamment aux effets des rétorsions. Certaines entreprises cherchent à se délocaliser pour contourner ces taxes, mais ce n’est pas toujours aisé compte tenu des contraintes humaines, fiscales,… ou simplement à cause des délais et enjeux financiers que ces changements de logistiques imposent. Par nécessité, de nouvelles alliances internationales se nouent parfois aussi afin de contrer les effets de cette guerre commerciale. Les incertitudes sont donc TRÈS nombreuses pour les chefs d’entreprises, se traduisant par des atermoiements dans leurs décisions d’investissements, mais aussi par des commentaires nécessairement plus prudents, voire pessimistes, quant à leurs perspectives.

Doutes

Au-delà de ces ruptures très importantes, de nombreux doutes politiques ou économiques persistent en cette fin d’année, compliquant d’autant les décisions d’investissements.

Beaucoup d’incertitudes politiques subsisteront durablement, d’où de probables accès ponctuels de volatilité haussière ou baissière sur les diverses classes d’actifs.

  • Le Brexit sera-t-il validé par le Parlement du Royaume-Uni ou bien des élections anticipées auront-elles lieu, remettant potentiellement en cause des mois de négociations laborieuses ? L’Union Européenne ayant été soudée durant le processus de négociations, la validation de l’accord par les parlements nationaux semble probable, mais lors de la mise en œuvre réelle du Brexit les intérêts nationaux ne l’emporteront-ils pas alors de nouveau ?
  • Qu’adviendra-t-il du budget italien qui repose de toute évidence sur des hypothèses de croissance économique irréalistes ? Bruxelles osera-t-il entamer une procédure à l’encontre de l’Italie avant les élections européennes en mai prochain, au risque d’attiser les votes contestataires ? Les investisseurs internationaux imposeront-ils à l’Italie, au travers d’un coût de la dette prohibitif sur les marchés, ce que Bruxelles ne parvient pas à obtenir ?
  • A.Merkel fait le mandat de trop, d’où une une incertitude politique intervenant au pire moment pour l’Allemagne et pour l’Union Européenne. Mais à l’inverse, cela pourrait tout autant être l’occasion d’aller vers plus d’Europe, une plus grande harmonisation fiscale, plus de solidarité entre Etats (cf. hypothèse des Eurobonds),… L’orthodoxie budgétaire obsessionnelle du pays pourrait être enfin relâchée à l’occasion d’un éventuel changement de gouvernement, d’autant que les signes récents de tassement de croissance économique du pays justifient de prendre des mesures contra-cycliques !
  • Les attaques “appuyées” de D.Trump à l’encontre d’une initiative de Défense européenne ne vont-elles pas donner paradoxalement une nouvelle dynamique à la zone, ou bien, à force de lui résister, l’Union Européenne fera-t-elle à son tour l’objet de sanctions commerciales importantes (cf. automobile,…) ?
  • Aux États-Unis, comment se déroulera la seconde partie du mandat de D.Trump avec une Chambre des Représentants qui a basculé côté Démocrates ? Des procédures judiciaires vont-elles s’accumuler à l’encontre du Président, au risque de le voir entamer des contre-feux internationaux incontrôlables ? Les Démocrates qui sont plutôt “circonspects” à l’égard des pratiques de la Chine vont-ils se rallier ouvertement à la stratégie de Trump de bras de fer commercial ? Des budgets seront-ils alloués aux infrastructures et à des baisses d’impôts additionnelles aux ménages, ou bien au contraire un éventuel “shutdown” budgétaire significatif menace-t-il d’intervenir prochainement ? Le secteur de la technologie fera-t-il l’objet de durcissements réglementaires importants, voire d’un démantèlement partiel pour les groupes semblant être trop puissants, ou bien les lobbies industriels imposeront-ils leurs vues auprès d’un Congrès désormais fragmenté ?

Tous ces sujets, et bien d’autres encore, devront être gérés au cas par cas par les investisseurs, mais ce sera indéniablement des sources de volatilité importantes durant les prochains mois.

La croissance économique des pays émergents, à commencer par la Chine, est aussi un important foyer de questionnements. En effet, si les tensions commerciales sino-américaines ont pesé cette année sur la croissance chinoise, cette contraction était déjà amorcée et elle est de toute façon inéluctable. Le pays dépend de plus en plus de l’endettement pour entretenir sa dynamique économique, et il faut toujours plus de dettes pour obtenir un même pourcentage de croissance du PIB, le PIB du pays étant de plus en plus important ! Qui plus est, la rentabilité des investissements engagés aujourd’hui est généralement nettement plus faible que c’était le cas par le passé. La question n’est donc pas de savoir si la croissance chinoise va ralentir mais dans quelle proportion, et quelle est l’ampleur des mesures prises par les autorités chinoises pour différer encore cette tendance, au risque d’accroître la probabilité de déclenchement d’une crise financière (cf. ampleur et rythme de sa dette) plutôt qu’économique. Les émergents étant très dépendants de la dynamique chinoise, et leur endettement à l’égard de la Chine étant toujours plus élevé, leurs interactions potentiellement négatives ne cessent d’augmenter, et il est impossible aux investisseurs d’anticiper les accidents pouvant provenir d’un ensemble aussi hétéroclite que vaste. En fin de compte, c’est le modèle de développement de ces pays qui pose question car, après avoir bénéficié durant des décennies de flux de capitaux internationaux accompagnant les délocalisation industrielles des pays développés, le retour du protectionnisme ne peut qu’inquiéter.

Quelques considérations boursières pour 2019

Il est plus facile de vendre des peurs que des rêves ! Le recul SIMULTANÉ de l’ensemble des classes d’actifs ne peut être durable. Même si l’actuel processus d’ajustement des valorisations peut durer encore un peu, les fondamentaux l’emporteront à nouveau.

Si la croissance devait se tasser significativement, l’inflation se dissiperait aussi. Les banques centrales n’auraient plus alors besoin de durcir leurs politiques monétaires, et elles pourraient même réactiver quelques soutiens si nécessaire. Dans un tel scénario, les actions baisseraient et les obligations seraient la classe d’actifs à favoriser.

Si la croissance devait en revanche simplement se tasser un peu, ainsi que l’anticipe aujourd’hui le consensus, les actions conserveraient alors leur attrait structurel et le rendement des obligations serait insuffisant pour justifier d’être surpondéré sur cette classe d’actifs.

Notre préférence va plutôt vers cette seconde hypothèse. Mais, parce qu’il est difficile d’avoir dès aujourd’hui un avis tranché quant à ces deux scénarios alternatifs, la neutralité semble aujourd’hui l’allocation la plus adaptée.

  • Une dynamique de croissance un peu moins forte, mais beaucoup plus de doutes
    • Exposition neutre sur les actions, sauf trading ponctuel pour des motifs de valorisation
    • Prudence persistante sur les thématiques cycliques (Value)
    • Privilégier les thématiques de croissance, malgré leur cherté relative
    • Pour les choix de zones géographiques, c’est l’ampleur de l’inflexion de croissance 2018-2019 et non la croissance absolue de 2019 qui importera
  • Une remontée d’inflation et des politiques monétaires plus restrictives
    • Trop tôt pour être surpondéré sur les obligations, mais les rendements remontent
    • Les entreprises à fort “pricing power” doivent être privilégiées
    • La situation des Bilans des entreprises redevient discriminante
    • Vigilance persistante sur les petites capitalisations et émergents pour des raisons de liquidité
    • Une plus forte convergence monétaire dans le monde devrait atténuer la surperformance relative du Dollar, soulageant un peu les émergents
    • Des chocs fréquents de volatilité à attendre

 

2018, année d’anomalies, de ruptures et de doutes

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

Category: ÉclaireurÉclaireur Décembre 2018
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