Date de publication : 4 février 2020

L’année 2019 a été caractérisée par de multiples et profonds antagonismes politiques internationaux, mais aussi par de constants paradoxes économiques, aboutissant finalement à une divergence extrême entre les observations de la sphère réelle et les performances de la sphère financière. Une déconnexion aussi forte n’étant toutefois pas soutenable sur la durée, 2020 sera-t-elle l’année des réconciliations et, si tel est le cas, quelles dispositions faut-il éventuellement prendre pour faire fructifier ou au contraire protéger si nécessaire son épargne ?

Politique : Guerre et paix.

États-Unis – Chine : enfin une trêve !

Le 15 janvier 2020, le tant attendu accord de phase 1 entre les États-Unis et la Chine a finalement été signé. Donald Trump peut désormais légitimement revendiquer d’avoir obtenu des concessions sur le plan commercial et Xi Jinping d’avoir évité une escalade additionnelle qui aurait accentué le ralentissement économique national en cours. La Chine s’est donc engagée à accroître, en seulement deux ans, ses importations en provenance des États-Unis de 200 Mds $ additionnels, alors qu’elles représentent « seulement » 160 Mds $ aujourd’hui. Pour ce faire, elle vise dès la fin 2020 un quasi doublement de ses importations, se décomposant en : produits agricoles 40 Mds $ (soit +100%), énergie 40 Mds $ (soit +375%), biens manufacturiers 150 Mds $ (soit +50%), et services 80 Mds $ (soit +45%). À l’évidence, ces objectifs sont extrêmement ambitieux, voire irréalistes, et cela même si le récent rebond du Yuan chinois face au Dollar pourrait faciliter un peu les choses par le gain de pouvoir d’achat en valeur que cela induit ! Les producteurs américains seront-ils capables de satisfaire aussi soudainement de telles variations de la demande qui leur est adressée, tant en quantité qu’en qualité et en prix, et les consommateurs ou entreprises chinoises ont-ils vraiment besoin ou envie d’acquérir ces divers biens et services ? En prenant l’hypothèse que les biens et services internationaux soient substituables entre eux, la croissance mondiale ne profitera finalement que très peu de cet accord, ces importations chinoises se faisant aux dépens d’autres pays dans le monde : les biens agricoles du Brésil ou d’Argentine, le pétrole de Russie ou du Moyen-Orient, les équipements industriels d’Allemagne ou du Japon… Les entreprises américaines et certains de leurs fournisseurs seront donc les gagnants de cette nouvelle répartition des flux commerciaux internationaux. Pour la Chine, il est impossible de se féliciter de cet accord car, même si la dernière salve de droits de douane envisagée ne sera pas mise en œuvre, les précédentes sont temporairement maintenues, autrement dit 370 Mds $ de biens chinois resteront taxés à hauteur de 19% contre 3% avant que D. Trump ne devienne Président ! Paradoxalement, cet accord aura aussi pour conséquence d’intensifier l’interdépendance économique entre les deux pays, compliquant éventuellement leurs négociations de phase 2, par essence plus clivantes encore que celles venant d’aboutir, puisque touchant notamment aux technologies, aux brevets, et aux financements étatiques des entreprises. Pour les investisseurs, cette trêve laisse espérer un certain répit jusqu’à l’élection présidentielle américaine, et conforte surtout l’hypothèse de la résilience persistante de l’économie américaine. Toutefois, cela n’empêche pas D. Trump d’ouvrir éventuellement de nouveaux fronts, à l’encontre de l’Union Européenne par exemple !

Brexit : un armistice en vue !

Tirant opportunément avantage de la lassitude populaire, B. Johnson est finalement parvenu à constituer une majorité parlementaire propice à son ambition de mettre en œuvre le Brexit. Le calendrier prévisionnel des négociations entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni est toutefois irréaliste, car il est impossible de dénouer de façon satisfaisante en seulement un an les quarante-sept années de liens tissés entre les deux. Trois hypothèses peuvent être alors envisagées : une extension du délai au-delà de la fin d’année pour que les négociations soient exhaustives, ou bien une séparation dès la fin de 2020 alors que seuls quelques thèmes vitaux auront pu être traités (i.e. militaire, santé…), ou bien enfin une rupture sans accord, autrement dit un « hard Brexit » . La solidarité entre les États de l’Union Européenne a été exemplaire durant le bras de fer initial, mais en sera-t-il de même en entrant dans le vif des échanges à venir ? Le Brexit peut-il affecter l’intégrité du Royaume-Uni si l’Écosse, voire l’Irlande du Nord, souhaitaient le quitter pour rejoindre l’Union Européenne ? Certaines puissances étrangères ne chercheront-elles pas à profiter de l’état de faiblesse actuel des deux protagonistes ? Les points de frictions potentiels et sources d’incertitudes sont si nombreux qu’il est difficile aujourd’hui pour les investisseurs de « rationaliser » un éventuel investissement sur les actifs financiers britanniques. En effet, l’ampleur des soutiens budgétaires et monétaires qui seront mis en œuvre n’étant pas encore arrêtée, l’actuel équilibre du taux de change entre la Livre Sterling et l’Euro deviendrait instable, affectant l’attrait potentiel des actifs financiers ou réels du Royaume. Alors que les équilibres géopolitiques internationaux se transforment en profondeur, il est particulièrement regrettable que l’Europe soit contrainte de panser ses plaies plutôt que de faire valoir ses vues et ses valeurs. L’investisseur trouvera régulièrement des attraits tactiques à s’exposer aux actifs européens, mais hélas moins sur le plan stratégique !

Iran : un cessez-le-feu durable ?

Le début d’année 2020 a tristement rappelé la récurrence des conflits militaires dans le monde, et notamment l’enjeu stratégique que le Moyen-Orient peut représenter. L’éphémère crise ouverte entre les États-Unis et l’Iran s’est soldée par la tragique bavure à l’encontre du Boeing ukrainien. Le gouvernement iranien en sort affaibli, tant à l’international qu’en interne, mais rien n’assure pour autant que l’actuel cessez-le-feu soit durable ! 20% de la consommation mondiale de pétrole transitant par le détroit d’Ormuz, toute agitation dans le secteur est particulièrement inquiétante. Tout envol durable des prix du pétrole se traduirait par un transfert de pouvoir d’achat des consommateurs de pétrole vers les producteurs : l’Europe, le Japon ou la Chine seraient alors affaiblis. Pour ce qui est des états-unis, étant désormais less premiers producteurs de pétrole au monde, le stress serait moins important. Pour autant, la qualité des schistes exploités aux États-Unis nécessite d’être couplée avec des productions d’autres pays pour être correctement transformée dans les usines de raffinage : les États-Unis sont excédentaires en quantité, mais déficitaires en qualité ! Heureusement, des réserves stratégiques permettent généralement de tenir durant deux, voire trois mois en cas de tensions géopolitiques sévères. Mais au-delà du pétrole, c’est aussi la question des modalités de la coordination militaire internationale (Otan en « mort cérébrale » ?) que cet événement souligne, un chantage ayant été exercé sur l’Union Européenne, menacée par les États-Unis de voir son secteur automobile surtaxé afin d’extorquer son ralliement aux thèses de l’Administration Trump ! L’Allemagne semble prendre conscience de l’intensité de sa vulnérabilité commerciale et de la nécessité de disposer d’une défense européenne autonome, contribuant peut-être à donner à terme de nouvelles impulsions majeures à la zone Euro !

États-Unis : la guérilla de la présidentielle a officiellement commencé !

En 2020, l’un des événements majeurs pour les investisseurs sera l’élection présidentielle américaine. Statistiquement, un Président sortant, et bénéficiant d’un contexte économique favorable, est normalement réélu. Mais D. Trump est un Président clivant et ses réactions sont souvent imprévisibles, comme l’a encore montré la récente décision d’éliminer le général iranien Q. Soleimani. La procédure d’ « impeachment » engagée par les Démocrates à son encontre a très peu de chances d’aboutir, le Sénat qui fait office de juge dans ces situations étant à majorité Républicaine. Mais D. Trump pourrait être tenté de détourner l’attention des médias de ces débats par de nouveaux coups d’éclats, provoquant parfois une forte agitation sur les marchés financiers. En fin de compte, son discours et sa campagne seront fonction du candidat Démocrate qui lui sera opposé. La primaire des Démocrates penche beaucoup plus à gauche qu’à l’ordinaire, à tel point que certains candidats « extrémistes » (E. Warren ou B. Sanders) continuent de talonner le candidat modéré et favori qu’est J. Biden. La campagne présidentielle risque donc d’être plus « redistributive » qu’à l’ordinaire, reflétant la préoccupation croissante des Américains quant aux écarts de revenus et de patrimoine entre les plus et les moins favorisés : la fiscalité des entreprises et des ménages sera un sujet fort. La question de la fiscalité et de l’omniprésence et de l’omnipotence des GAFAM (i.e. Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) devrait aussi s’imposer lors de cette campagne présidentielle, débat qu’il ne faut pas sous-estimer, ce groupe de cinq sociétés pesant à lui seul 18% de l’indice S&P500 des principales actions américaines ! L’ « ennemi chinois » faisant consensus, tant du côté Républicain que Démocrate, l’accord commercial de phase 1 sera donc plutôt porté au crédit de D. Trump, mais comment traiter alors les GAFAM alors que se pose la question de la guerre technologique entre les deux premières puissances au monde ? Enfin, trois secteurs agitent systématiquement les campagnes présidentielles américaines : la santé, l’énergie et la défense. Indéniablement, bien des sources de volatilités potentielles pour les marchés financiers proviendront de cette atypique campagne présidentielle !

Économie et marchés : tenter la culture du risque ?

Marges bénéficiaires : en jachère ?

L’accord commercial entre la Chine et les États-Unis laissait espérer un peu de reprise d’activité économique. Toutefois, en ce début d’année, chacun de ces deux pays doit faire face à une difficulté spécifique. Aux États-Unis, la suspension de production et de livraison de tout 737MAX par Boeing aura un impact systémique sur la croissance du pays, tant sont nombreux les fournisseurs attachés à ce projet. En première estimation, le PIB américain sera amputé de -0,5% au premier trimestre 2020, et peut-être de -0,5% encore au second trimestre ! Pour ce qui est de la Chine, le coronavirus s’est, hélas, manifesté au pire moment pour le pays, les cérémonies de fin d’année calendaire chinoises étant habituellement l’occasion de déplacements massifs de la population, et de très importantes dépenses discrétionnaires. La consommation et la production du pays seront nécessairement décevants jusqu’à l’éradication de cette menace ! Bien entendu, de nombreuses multinationales sous-traitant certains segments de leurs productions en Chine seront elles aussi affectées par cet événement. Après une année 2019 où les bénéfices ont en moyenne stagné alors même que les marchés financiers ont progressé de +25% à +30%, il est essentiel qu’en 2020 des bénéfices soient de nouveau au rendez-vous pour justifier une poursuite de la hausse des actions. L’accord sino-américain redistribuant certaines parts de marchés au profit des États-Unis, le contexte concurrentiel restera particulièrement « rude » en 2020. Pour les entreprises, un enjeu important est aussi aujourd’hui de parvenir à recruter et à fidéliser une main d’œuvre qualifiée qui se fait souvent rare, et qu’il convient donc de séduire notamment par des conditions salariales alléchantes. Alors que le haut de cycle est nécessairement proche, les marges bénéficiaires des entreprises pourraient être alors prises en tenaille entre intensité concurrentielle et pressions salariales. À titre d’exemple, comment les entreprises chinoises pourraient-elles tenir leurs marges alors que les salaires progressent au rythme de +6% quand l’inflation n’est que de +2% ? L’enjeu des marges bénéficiaires est d’autant plus important que la capacité des entreprises à verser des dividendes et à mener des rachats de leurs propres actions en dépend, tout comme leur aptitude à autofinancer leurs investissements futurs ! 

Banques centrales : l’arrosage a repris !

Si le défi des marges bénéficiaires est particulièrement important pour les entreprises, celles-ci continueront heureusement de profiter de charges financières allégées grâce à l’appui vigoureux et persistant des banques centrales. En effet, ces dernières ont repris en 2019 leurs politiques monétaires accommodantes, au travers de baisses des taux directeurs, mais aussi souvent par des achats d’actifs obligataires, les fameux « quantitative easings ». Ces revirements favorables de politiques monétaires expliquent indéniablement la formidable année boursière de 2019. Mais en 2020, il n’y aura plus d’effet de surprise favorable, les banques centrales étant désormais plus ou moins en « pilotage automatique », soit pour des raisons électorales (cf. FED aux États-Unis), soit parce qu’elles sont en pleine « revue stratégique ». La FED devrait achever ce travail de « revue stratégique » d’ici à l’été, alors que la BCE terminera son processus en fin d’année. Dans les deux cas, il s’agit de faire un bilan d’activité (plutôt favorable à la croissance, mais avec des nuisances dues aux taux d’intérêts négatifs ou trop bas), d’affiner ou d’élargir leurs objectifs et prérogatives (bandes de fluctuations d’inflation, financer la transition écologique… ?), de déterminer les futurs instruments d’intervention (achats d’ETF, « hélicoptère monétaire »… ?), de se doter d’instruments de mesure d’impact sur la durée des politiques monétaires, de se fixer d’éventuels calendriers ou modalités d’interventions, d’affiner les modalités de communication… Les banques centrales ne devraient pas surprendre les investisseurs d’ici à la fin d’année, les pressions inflationnistes restant modérées et la croissance économique étant plutôt vouée à rester voisine de 2019. En Europe, il conviendra de surveiller aussi si l’Union Bancaire fait des avancées supplémentaires et si des rapprochements entre établissements bancaires s’opèrent, ces deux éléments pouvant permettre d’afficher enfin une valorisation RÉELLE et non juste FINANCIÈRE aux actifs du secteur, et d’influencer la parité entre l’Euro et le Dollar ! En tout état de cause, les banques centrales resteront un facteur de stabilisation financière.

Marchés : le temps des moissons ?

Le monde est aujourd’hui saturé de dettes (250 000 Mds $, soit 320% du PIB mondial selon l’Institute of International Finance), et le cycle économique est plutôt voué à ralentir qu’à accélérer. Le contexte géopolitique restant par ailleurs très confus, difficile d’imaginer une reprise de l’investissement des entreprises, en dépit des conditions de financement favorables assurées par les banques centrales. À ce stade, la consommation des ménages reste en revanche soutenue par un chômage déclinant, et les politiques budgétaires et fiscales sont plutôt des soutiens que des freins. Après l’envol des marchés financiers en 2019, il est tentant de vouloir prendre des bénéfices sur TOUS les actifs, mais quel réemploi faire alors de ces capitaux ? Les valorisations des entreprises étant désormais tendues et leurs dynamiques bénéficiaires incertaines, difficile d’être particulièrement motivé par les actions. Mais en même temps, l’extrême faiblesse des rendements obligataires encourage, par dépit, à rester sur les actions. Comment trancher ? Ce début d’année est instructif quant à la discipline financière qu’il convient certainement de respecter. Bien que déjà très faibles, les rendements des obligations baissent encore significativement en janvier… preuve que cette classe d’actifs reste utile dès que des risques ou des doutes surgissent ! Par ailleurs, les investisseurs privilégient à nouveau les sociétés de croissance (technologiques, luxe…), mais aussi celles offrant forte récurrence et visibilité bénéficiaire (santé, services collectifs…), quitte à les payer parfois cher, voire très cher ! En revanche, les thématiques cycliques (automobiles, matières premières…) sont délaissées et les actifs peu liquides (petites capitalisations, marchés émergents…) reculent ou sous-performent. Enfin, les investissements « alternatifs », tel l’or, conservent à l’évidence un pouvoir d’attrait structurel. Il est donc important de rester diversifié, d’avantager les actifs liquides ou bénéficiant de flux favorables, de privilégier les rendements « sécurisés », et d’accepter de payer cher la qualité.

ISR : la fertilisation commence ?

En 2020, l’Union Européenne statuera quant au projet de « Green Deal » de 100 Mds € d’U. von der Leyen, et la BCE décidera peut-être de contribuer elle aussi au financement de la lutte contre le changement climatique. L’ISR, autrement dit l’Investissement Socialement Responsable, doit-il être favorisé aujourd’hui au sein d’une allocation d’actifs diversifiés ? Au-delà des évidents attraits « éthiques » que l’ISR procure, ce type d’actifs répond à la plupart des critères qui semblent précisément devoir être privilégiés aujourd’hui : flux, liquidité, croissance, volatilité, voire performance ! Étant « à la mode », ces actifs bénéficient de flux nets positifs, autrement dit, il y a actuellement des acheteurs marginaux pour ce type d’actifs, même lorsque les marchés baissent ! Les sociétés disposant de budgets importants pour agir ou pour communiquer sur l’ISR sont principalement les grandes multinationales, ce qui semble être aujourd’hui le segment de la cote à privilégier plutôt que les petites capitalisations boursières peu liquides en bourse. De même, ce sont surtout les sociétés des pays développés plutôt que celles des pays émergents qui sont les plus avancées dans le domaine de l’ISR, rejoignant en cela l’actuelle prudence des investisseurs à l’égard des actifs des pays en développement. Les projets entourant le développement durable sont souvent synonymes de forte croissance pour les sociétés qui les conduisent : les accompagner dans leur développement semble donc judicieux dans un contexte de croissance économique déclinante. L’exemple récent de la sanction boursière spécifique ayant frappé Renault suite aux problèmes de gouvernance du groupe (i.e. concentration excessive des pouvoirs entre les mains de C. Ghosn) prouve aussi que l’ISR permet de réduire la volatilité des actifs détenus en identifiant en amont certains risques potentiels (risque de réputation, risque climatique…). Enfin, l’ISR ne justifie pas forcément une prime et donc une surperformance, mais le non ISR se voit de plus en plus fréquemment appliquer une décote en bourse (cf. valeurs pétrolières…). À l’évidence, donner un sens aux investissements devient une préoccupation, voire une priorité, pour bien des épargnants et pour nos institutions. Aujourd’hui, l’intérêt financier de l’individu et l’intérêt sociétal de la collectivité sont réconciliables !

2020, année des réconciliations ?

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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