L’été a de nouveau apporté son lot de turbulences sur les marchés financiers. Les mouvements brusques observés en août sont-ils le reflet d’une préoccupation majeure et soudaine, justifiant une refonte totale des prévisions économiques et financières et, par conséquent, des allocations d’actifs ? Au travers du développement qui suit, nous tenterons de prendre de la hauteur afin d’examiner sereinement les événements et les données de l’été, tout en soulignant quelques enchaînements boursiers déterminants.
Une panne d’activité ?
L’activité économique américaine est mesurée, entre autres, par les indices ISM (Institute for Supply Management). Ces indicateurs économiques, particulièrement scrutés en bourse, reposent sur des enquêtes mensuelles effectuées auprès des directeurs d’achat de 400 entreprises manufacturières et non-manufacturières aux États-Unis … soit en moyenne seulement 8 entreprises par État. Sous cette réserve, ces enquêtes permettent de mesurer l’évolution des nouvelles commandes, de la production, de l’emploi, des livraisons par les fournisseurs, de l’état des stocks, etc… L’indicateur ainsi calculé varie entre 0 et 100 : lorsqu’il est supérieur à 50, c’est que l’activité est en expansion, alors que sous 50, cela signifie que la dynamique est récessive. L’inquiétude des investisseurs début août s’explique par le décrochage de l’ISM manufacturier, tombant à 46,8 : l’hypothèse d’un atterrissage en douceur de l’économie laissant alors la place à celle d’une éventuelle récession imminente. Pour autant, l’économie américaine est structurellement portée aux ⅔ par les activités de services, et l’ISM des services a pour sa part rebondi à 51,4. Il convient donc de ne pas surréagir aux données manufacturières, de se méfier des biais de construction de ces indicateurs, et de se souvenir qu’une statistique ne fait pas une tendance !
Le second point d’inquiétude pour les investisseurs, concomitant à la publication de l’ISM manufacturier, a été que la dynamique de création d’emplois a déçu par rapport aux attentes, tombant à 114 000 emplois créés en juillet contre plus de 267 000 en moyenne durant le 1er trimestre de l’année. Le taux de chômage du pays est alors logiquement remonté, atteignant désormais les 4,3%. Ces dynamiques, décevantes par rapport aux statistiques précédemment affichées, doivent toutefois être elles aussi relativisées : en moyenne, durant les 20 dernières années, le taux de chômage américain a été de 5,8%, et les créations d’emplois étaient restées très fortes jusqu’à présent, par effet de rattrapage après la COVID. Il s’agit donc plutôt d’une normalisation en cours des statistiques de l’emploi !
Les préoccupations des investisseurs ont aussi visé la consommation des ménages, cette dernière représentant autour des ¾ du PIB américain. En effet, lors de leurs publications trimestrielles, plusieurs multinationales représentatives de la consommation américaine ont signalé être moins confiantes quant à leurs perspectives d’activité. Bien que difficilement quantifiable, il est probable que la sur-épargne accumulée par les ménages américains durant la COVID soit désormais épuisée, d’où une moindre consommation discrétionnaire. De plus, le faible taux d’épargne structurel des ménages et l’augmentation de leurs crédits à la consommation sont des facteurs de risque pour un potentiel décrochage à venir de la consommation, d’où la vigilance des investisseurs. En réalité, le pouvoir d’achat des ménages américains s’est plutôt restauré en 2024, le rythme moyen de revalorisation des salaires (+4,01%) dépassant à nouveau celui de l’inflation (+3,25%), d’où un gain de pouvoir d’achat réel depuis le début d’année. La solvabilité des ménages américains est par ailleurs supérieure aujourd’hui à ce qu’elle était avant la COVID (cf. ratio entre les dettes et les revenus, ramené à 9,78%). Hormis pour les plus défavorisés, la dynamique de consommation américaine est donc moins une question de solvabilité que de confiance des ménages et, sur ce point spécifique, l’indicateur est actuellement en zone de neutralité. Prédire alors un effondrement imminent de la consommation américaine est donc une pure conjecture, habituellement contredite par l’histoire « consumériste » du pays !
La principale conséquence du soudain pessimisme estival des investisseurs a été de bouleverser radicalement les anticipations de baisse des taux directeurs à venir de la FED. Cette dernière venait pourtant tout juste de laisser ses taux inchangés le 31 juillet, le consensus du marché tablant alors sur 3 baisses de taux de 25 points de base (pb) chacune d’ici à la fin d’année. Suite aux statistiques d’ISM manufacturier et d’emploi début août, une véritable panique s’est emparée des marchés, aboutissant brutalement à l’hypothèse de 50pb de baisse de taux en septembre et de près de 125pb d’ici à la fin d’année ! Il convient de tempérer immédiatement ces projections par les marchés de la politique monétaire américaine. Les investisseurs sont en effet bien moins nombreux durant l’été, beaucoup d’intervenants étant en congés, d’où des comportements beaucoup plus erratiques des prix des actifs financiers en bourse et, en l’occurrence, ceux des obligations d’État utilisées comme référence pour estimer les baisses de taux à venir de la FED. Par ailleurs, avant la publication de ces 2 statistiques économiques, les allocations d’actifs des investisseurs étaient généralement très consensuelles, privilégiant l’exposition aux actifs financiers réputés « risqués » (actions, obligations d’entreprises, etc…) aux dépens des obligations émises par le Trésor américain. Lorsque tout le monde s’est précipité simultanément pour acheter des obligations d’État américaines, en l’absence de contreparties disponibles sur les marchés, les prix de ces obligations ont fortement augmenté, amplifiés par divers algorithmes boursiers, donnant alors une image trompeuse de l’ampleur des baisses de taux à venir. Ainsi, comme il est possible de l’observer au travers de l’évolution durant le mois d’août des anticipations de baisse de taux, ces dernières se sont à nouveau tendues en fin de mois, confirmant le caractère largement « technique » des mouvements de début de mois. Pour autant, les taux directeurs de la FED étant un paramètre crucial pour les marchés financiers, TOUS les actifs ont été affectés par ces changements temporaires d’anticipations de taux directeurs … qu’elles se réalisent ou non !
Un krach boursier … éclair !
Modifier les attentes de baisses de taux directeurs de la FED a eu de très importants effets en cascade sur les marchés financiers, à commencer par des débouclements considérables de certains « carry trades ». Pour en saisir les enjeux, il convient de bien comprendre le concept de ces arbitrages financiers. Un « carry trade » est une stratégie d’investissement consistant à emprunter des capitaux dans une devise à faible taux d’intérêt, tel que le Yen japonais, et à les investir dans une devise offrant un rendement plus élevé, comme le Dollar américain. Dès lors que les investisseurs anticipent une moindre rémunération à venir des obligations américaines, la FED devant baisser ses taux directeurs, il devient moins intéressant d’effectuer ces arbitrages. Il se trouve que, dans le même temps, la Banque du Japon (BoJ), avec énormément de retard par rapport à ses consœurs, a entamé une très progressive REMONTÉE de ses taux directeurs pour stabiliser l’inflation nationale. Le différentiel de taux directeurs entre la FED et la BoJ est donc voué à se resserrer durant les prochains mois, justifiant encore plus de déboucler ces « carry trades ». Facteur aggravant, depuis quelques mois, les autorités japonaises ont décidé de soutenir activement leur devise, sa dépréciation structurelle posant divers problèmes aux entreprises du pays et pénalisant le pouvoir d’achat de la population : le Yen a donc fait l’objet, à plusieurs reprises, d’achats MASSIFS par les autorités japonaises, avec du Dollar vendu en contrepartie. Les investisseurs pratiquant ces « carry trades » et n’ayant pas couvert leurs positions face au risque de décrochage du Dollar contre Yen, devenaient doublement perdants : sur les taux d’intérêts ET sur la parité entre les 2 devises ! La taille estimée du « carry trade » sur le Yen-Dollar varie, mais certains analystes (cf. Council on Foreign Relations) estiment qu’il pourrait atteindre jusqu’à 1 000 Mds $ (soit approximativement ⅓ du PIB de la France !). Lorsqu’une simple fraction de ces capitaux bouge, et celà en plein milieu de l’été quand la liquidité boursière des marchés est défavorable, les conséquences sont vite colossales !
Si le choc boursier durant l’été a été aussi violent, c’est aussi parce que certains investisseurs étaient devenus imprudents dans leurs prises de positions boursières, incités en cela par une très faible volatilité des prix des actifs en bourse durant les derniers mois. La faible volatilité peut en effet encourager certains spéculateurs à prendre des positions sur les marchés avec de l’effet de levier, ceci afin de « compenser » la modestie des fluctuations de cours. Lorsque ces spéculateurs sont pris à revers par les marchés, l’effet de levier démultiplie alors les pertes latentes. Afin d’être autorisé à conserver ces positions perdantes, en attendant un éventuel retour à meilleure fortune, il faut faire face à des appels de marges, autrement dit apporter des capitaux frais en garantie aux courtiers teneurs de comptes. C’est par ce processus que des pertes sur un marché spécifique peuvent contaminer d’autres actifs : les appels de marge contraignent les investisseurs à solder des positions potentiellement sur toutes les classes d’actifs (actions, crypto-actifs, matières premières, etc…). Ainsi, il n’est pas étonnant d’avoir observé une BAISSE temporaire des cours de l’or, alors que ce dernier progresse souvent lors des crises boursières. Les positions vendues pour faire face aux appels de marge sont généralement prioritairement celles ayant engendré récemment d’importantes plus-values boursières : il n’est alors pas étonnant d’observer des décrochages particulièrement appuyés sur le Nasdaq ou bien encore sur les crypto-actifs ! Lorsque les spéculateurs ne parviennent plus à faire face à leurs appels de marge, leurs positions perdantes sont soldées de force, entretenant provisoirement les dynamiques négatives en cours sur les marchés financiers. Bien entendu, ces divers flux boursiers de grande ampleur ne reflètent en aucune façon une quelconque rupture significative dans les fondamentaux des économies : ce ne sont que des flux financiers temporaires, amplifiés par des algorithmes boursiers et par des effets de levier défavorables. Dans ces circonstances très exceptionnelles, la diversification des actifs financiers peut perdre temporairement de son habituelle efficacité.
Des fondamentaux bouleversés ?
Quand bien même les mouvements boursiers de l’été seraient essentiellement « techniques », ils ont pu toutefois altérer la confiance des investisseurs et provoquer des ajustements de leurs scénarios. Voyons si tel est le cas ?
Si l’hypothèse d’une récession économique imminente devait être finalement retenue pour les États-Unis, il est évident que la future administration américaine, qu’elle soit Démocrate ou bien Républicaine, n’hésiterait pas à procéder à d’importants soutiens budgétaires et/ou à des allègements fiscaux pour soutenir la croissance économique du pays, puisque c’est déjà la tendance de ces 2 partis politiques que de tolérer les dérapages budgétaires et la dette. Par ailleurs, la FED est, pour sa part, déjà disposée à baisser ses taux directeurs afin de « normaliser » ces derniers vis-à-vis de l’inflation mais, si l’atterrissage en douceur de l’économie menaçait de devenir un krach, il est évident qu’elle baisserait bien plus fort et bien plus vite ses taux directeurs puisque disposant aujourd’hui d’une marge de manœuvre monétaire considérable. Le choc estival a probablement surtout contribué à faire basculer certains banquiers centraux habituellement favorables aux politiques monétaires orthodoxes (les « faucons ») vers le clan des accommodants (les « colombes »). Sauf choc exogène fort, une récession économique américaine semble dès lors peu probable et/ou de faible ampleur. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter particulièrement quant aux perspectives économiques américaines puisque les contre feux budgétaires et monétaires pourraient être activés si nécessaire. Plus généralement, le consensus des économistes, sans être euphorique, conserve au sortir de l’été des vues raisonnablement optimistes pour les grands indicateurs économiques l’an prochain avec, en toile de fond, des soutiens monétaires progressifs.
Pour les investisseurs, la question se posant ensuite est de savoir si la micro-économie restera, elle aussi, bien orientée ? Les publications de résultats du 2nd trimestre sont, de ce point de vue, riches en enseignements. Tout d’abord, les résultats des sociétés du S&P500 inférieurs aux attentes n’ont concerné que 15,6% des publications et, avec 78,8% de résultats supérieurs, ce trimestre est demeuré solide, alors même qu’il était exigeant en termes de bénéfices attendus. Mais le passé importe peu, la question est surtout celle du futur et, sur ce point précis, les révisions de bénéfices attendues pour le 3ème trimestre de l’année sont favorables : +4,1% de plus qu’attendu initialement ! Quand bien même il conviendrait d’ajuster un peu en baisse ces prévisions, une forte croissance des résultats reste attendue : +6,1% pour le 3ème trimestre, puis +16,1% pour le 4ème trimestre, et encore +15,7% pour l’ensemble de l’année prochaine ! Le reproche fait ensuite aux publications américaines est la contribution disproportionnée des « 7 Magnifiques » (Alphabet-Google, Amazon, Apple, Meta-Facebook, Microsoft, Nvidia et Tesla) aux résultats totaux et, là aussi, une importante harmonisation se dessine : les résultats de l’ensemble de la cote américaine vont converger en fin d’année. Cette perspective sous-entend que les investisseurs s’attendent à ce que TOUTE l’économie contribue désormais de façon relativement harmonieuse. Petite digression : cette convergence des progressions de résultats attendus explique probablement en partie le rattrapage de performance observé depuis quelques mois du S&P500 equi-pondéré vis-à-vis du S&P500 traditionnel, ce dernier accordant un poids disproportionné aux « 7 Magnifiques » (31% du total de l’indice). Pourquoi en effet surpayer les « 7 Magnifiques » quand leur croissance sera désormais voisine du reste de la cote, et que cette dernière présente des ratios de valorisation bien plus abordables ?
Avant le décrochage boursier estival, beaucoup d’investisseurs, particuliers comme institutionnels, se plaignaient de ne pas être assez investis sur les marchés, d’avoir raté en partie la hausse, cherchant donc des points d’entrée favorables. Au vu des flux financiers observés durant l’été, il est clair que certains investisseurs ont bel et bien profité de la baisse pour saisir des opportunités d’achat s’offrant enfin à eux. À leurs yeux, les événements de l’été n’ont donc pas remis en cause le scénario consensuel d’un atterrissage en douceur à venir des économies, avec une dynamique monétaire plus accommodante en perspective pour étayer ces flux acheteurs. En revanche, si un nouveau choc significatif devait éventuellement intervenir, la motivation acheteuse serait alors certainement bien moindre, tout comme les capitaux disponibles pour ce faire puisqu’une partie a été employée durant l’été ! Malgré le décrochage soudain des marchés, les rythmes des progressions annualisées restent toutefois très satisfaisants pour les grands indices d’actions, à l’exception, pour des raisons très différentes, de la France et de la Chine.
Conclusion :
Depuis 2 ans, les investisseurs se font constamment peur entre deux craintes opposées : celle d’une surchauffe de l’économie, et donc d’une persistance de l’inflation, et celle d’une éventuelle récession de l’autre. À mesure que le temps passe, l’hypothèse d’une récession l’emporte logiquement. Ce sont donc les indicateurs économiques d’intensité d’activité plutôt que ceux d’inflation qu’il convient de surveiller. À ce stade, le monde semble s’orienter plus vers une phase de croissance molle ou de stagnation que vers une profonde récession. Pour l’investisseur, il est alors probablement encore trop tôt pour être inquiet … mais pas pour être vigilant ! Les équipes de WeSave restent mobilisées pour vous accompagner sur la durée dans vos divers projets d’épargne.