Date de publication : 2 janvier 2023

Janus … dieu romain des commencements et des fins, du passage et des portes, des choix, à qui nous devons le mot « januarius », « janvier » en latin. Il semblait d’autant plus adapté de commencer la nouvelle année par cette référence au dieu Janus que ce dernier est toujours représenté avec deux visages opposés, l’un tourné vers le passé et l’autre dirigé vers le futur. L’épargnant avisé ne peut que prendre exemple sur Janus : scruter le passé pour comprendre le présent et tenter d’y trouver les clés de ses futurs investissements.

« Le passé n’est qu’un prologue » (William Shakespeare)

Pour tout gérant de portefeuilles, faire le bilan d’une année boursière est un exercice convenu, voire fastidieux, mais prenant parfois tout son sens. L’année 2022 ayant été particulièrement atypique, de nombreux enseignements utiles peuvent en être dégagés.

Une descente aux enfers des obligations.

S’il fallait ne retenir qu’une chose de 2022, c’est certainement la débâcle subie par les obligations. Bien que réputées être un actif financier plutôt « refuge », leur recul est tout simplement HISTORIQUE depuis un siècle ! Le motif de ce naufrage est désormais bien connu : l’hyperinflation consécutive à la COVID et à la guerre en Ukraine a contraint les banquiers centraux à relever en urgence, et avec une brutalité inédite, leurs taux d’intérêts directeurs. En conséquence, les investisseurs ont vendu leurs créances passées versant de modestes coupons pour se placer sur les nouvelles obligations émises, ces dernières offrant des rendements bien plus consistants pour tenter de compenser l’inflation subie et préserver ainsi sur la durée leur pouvoir d’achat. Tous les segments des obligations ont dévissé en 2022 et, très paradoxalement, leurs performances ont été inversement proportionnelles au risque de défaut de paiement pouvant y être attaché. Ainsi, les obligations des entreprises les plus fragiles (i.e. le « High Yield »), parce que versant des coupons annuels très élevés (jusqu’à 10,6% en octobre 2022), ont réalisé la meilleure des performances relatives, quand les obligations des États sont celles ayant le plus reculé durant l’année : la quête du rendement réel, donc retraité de l’inflation, était déterminante en 2022 ! De même, alors qu’on aurait pu a priori en attendre une bonne performance dans un contexte d’hyperinflation, les obligations indexées sur l’inflation ont pourtant violemment baissé, payant en partie leur bonne tenue de l’année précédente, mais surtout le fait que les investisseurs anticipent un fort recul à venir de l’inflation suite aux restrictions monétaires engagées : la crédibilité des Banques centrales semble donc être encore assez bien établie.

Une dispersion inédite des actions.

En 2022, le recul des actions a été finalement à peine plus prononcé que celui des obligations : -19,8% pour les actions contre -16,2% pour les obligations. Cette baisse des actions s’explique surtout par l’impact négatif des taux d’intérêts sur la valorisation des entreprises (cf. actualisation des bénéfices anticipés) plutôt que par la dégradation du cycle économique : 2022 a été bien plus une correction FINANCIÈRE des valorisations que le reflet des difficultés économiques des entreprises, ces dernières n’ayant cessé de surprendre les investisseurs avec des résultats trimestriels en progression et supérieurs aux attentes ! Autre caractéristique de 2022, la dispersion entre les grands indices internationaux d’actions a été particulièrement forte, notamment du fait des différences de compositions sectorielles (cf. poids de l’énergie par exemple), mais aussi par la contribution favorable ou défavorable des devises (cf. effets sur la compétitivité, sur les charges financières…). Ainsi, en retraitant les performances des grands indices de l’effet des devises, leurs variations durant l’année furent finalement bien plus voisines ! Les dispersions sectorielles ou entre styles de gestion (valeurs de croissance versus entreprises décotées) ayant été extrêmes durant l’année, un éparpillement de performance exceptionnellement élevé entre entreprises a été observé en 2022 : +62,04% pour Thalès et -43,13% pour Téléperformance au sein du CAC40 par exemple. Alors que les obligations ont baissé de façon relativement homogène en 2022, les actions offraient en revanche bien plus d’opportunités à saisir, mais avec des sanctions en cas d’erreur à la hauteur des récompenses en cas de succès !

La chausse-trappe des matières premières.

Les matières premières ont évidemment été LE centre d’attention des investisseurs en 2022, mais nombreux ont été ceux finalement pris à revers par leurs comportements erratiques. À titre d’illustration, l’indice composite de l’énergie a progressé jusqu’à +70,3% début juin, pour finalement clôturer l’année sur un bien plus maigre gain de +14,2% ! Deux dynamiques radicalement opposées ont généralement influencé leurs prix durant l’année : des hausses violentes du fait des pénuries induites par la guerre en Ukraine (l’énergie, certains produits agricoles…), ou bien à l’inverse d’importants reculs (les métaux industriels notamment) liés aux excès de stocks dûs aux confinements sanitaires chinois, ou du fait des craintes d’un tassement économique à venir. Parmi les facteurs déterminants, il faut aussi souligner l’impact du violent renchérissement relatif du Dollar face aux autres devises, pénalisant d’autant le pouvoir d’achat des pays devant importer leurs matières premières facturées en Dollar ! Les pays producteurs de matières premières ont souvent profité d’effets d’aubaine inespérés et bénéficié de transferts inattendus de pouvoir d’achat. Les dérapages budgétaires ont été à l’inverse considérables pour de nombreux pays (en Europe notamment) devant déployer divers boucliers tarifaires voués à protéger le tissu industriel national et le pouvoir d’achat des citoyens. 2022 a peut-être été surtout le révélateur de dépendances stratégiques majeures, nécessitant des réorganisations complètes de long terme : une indispensable diversification des sources d’approvisionnement, des économies d’énergie urgentes, l’accélération nécessaire de la transition énergétique (sous réserve de disposer des métaux industriels nécessaires pour y parvenir)… La géostratégie et la pertinence des alliances entre pays seront des enjeux déterminants durant les prochaines années, et les matières premières seront au cœur de bien des tractations futures !

« Connaître le passé est une manière de s’en libérer. » (Raymond Aron)

2022 a été une année en tous points inédite, car chaotique, mais c’est précisément ce qui laisse espérer une année 2023 plus favorable pour les investisseurs, avec le possible retour de la NORMALISATION ! Précisons tout de suite que cela ne signifie pas nécessairement un scénario rose et rectiligne pour l’investisseur, mais un environnement simplement un peu plus prévisible et moins accidenté, ce qui est déjà très appréciable lorsqu’il s’agit de déterminer des allocations d’actifs diversifiées.

Une normalisation économique en perspective pour 2023.

L’inflation a été LE sujet de préoccupation des investisseurs en 2022, et les Banques centrales l’ont clairement saisi à bras-le-corps. Peu importe que ce soit ou non la conséquence des politiques monétaires très restrictives, de nombreux prix baissent désormais (fret maritime, pétrole, immobilier…) et, par simple effet de comparaison avec les niveaux très élevés atteints en 2022, il est désormais acquis que l’inflation décélèrera fortement en 2023. Si l’inflation n’est alors plus autant un sujet de préoccupation pour cette nouvelle année, le focus des investisseurs devrait se porter désormais sur l’état de la croissance économique : le passage par une « récession » est-il une fatalité, et qu’attendre de la réouverture sanitaire chinoise ? Une récession se définit par une chute de la croissance économique, mesurée par le PIB, durant au moins deux trimestres consécutifs. Pour autant, cette définition n’implique pas que le tassement économique soit nécessairement intense ou voué à être durable. Le débat entre les investisseurs consistera précisément à qualifier le ralentissement économique en cours, et notamment à anticiper la contribution favorable que la réouverture graduelle de l’économie chinoise pourrait avoir. Sans même prendre d’hypothèse optimiste sur l’impact du retour de la Chine, l’emploi dans le monde reste solide (cf. pénurie de main-d’œuvre), la consommation des ménages résiste grâce à l’épargne précédemment constituée et avec l’appui de nouveaux crédits, et les bénéfices des entreprises restent plutôt solides, permettant de maintenir un niveau satisfaisant d’investissement. Si l’on se fie alors au consensus actuel des prévisions, des récessions légères semblent ponctuellement possibles dans certains pays en 2023, mais rien de très significatif a priori, et avec une nouvelle accélération de la croissance économique en perspective dès 2024. Pour autant, comme l’ont montré les dernières années, les marges d’erreurs sur ces prévisions sont telles que les scénarios optimistes ou pessimistes ont parfois autant de chances de se réaliser. C’est alors du côté du mix monétaire et budgétaire que repose probablement la réponse à ce débat.

Des normalisations monétaires et budgétaires en vue.

Dans la mesure où l’inflation décélère déjà, on peut attendre des Banques centrales qu’elles adoptent désormais des politiques monétaires plus neutres : c’est ce que les investisseurs nomment le « pivot » monétaire. Le plein effet des durcissements monétaires se faisant sentir sur l’économie près d’un an plus tard, les prochains mois devraient laisser apparaître simultanément un recul graduel de l’inflation et un tassement de la croissance économique. Les banquiers centraux veulent lutter contre l’inflation, mais sans pour autant « tuer » l’économie : par pragmatisme, ils ont déjà commencé à réduire le rythme de leurs hausses de taux dès décembre, et ils devraient marquer un palier d’observation durant le 1er semestre de 2023. De plus, le niveau élevé des dettes des agents économiques rend ces derniers bien plus vulnérables que par le passé aux hausses de taux d’intérêts, d’où la nécessité pour les banquiers centraux d’être bien plus prudents dans leurs décisions. Enfin, les durcissements monétaires ne permettent nullement une baisse de l’inflation face à des situations de pénuries de biens disponibles, tel que le gaz par exemple, d’où la question de savoir jusqu’où ces hausses de taux sont nécessaires ! Soulignons également ici qu’en dépit des discours fermes du président de la FED, le consensus va jusqu’à anticiper une possible BAISSE des taux directeurs américains dès la 2nde partie de l’année 2023 ! Cette année, la dynamique monétaire devrait cesser d’être un vent contraire pour les marchés financiers ! 

Pour estimer la croissance économique et l’inflation à venir, c’est aussi du côté des politiques budgétaires qu’il faut porter son attention. En effet, les États n’ont cessé de compenser à coups de soutiens budgétaires les effets inflationnistes et récessionnistes de la guerre en Ukraine, compliquant d’autant la lutte contre l’inflation des Banques centrales. Bien que justifiées, ces politiques budgétaires ne peuvent toutefois se prolonger éternellement, le pouvoir d’achat des ménages et les bénéfices des entreprises ne pouvant devenir des « acquis sociaux », et la dette ainsi constituée reposer injustement sur les générations futures ! Les soutiens budgétaires encore déployés seront donc désormais plus ciblés et moins intensifs. Pour autant, les investissements URGENTS et INDISPENSABLES à effectuer dans la défense, la santé, la transition énergétique, la numérisation de l’économie… ne peuvent être reportés : le cycle économique devrait bénéficier de l’amortisseur structurel qu’est l’investissement des États et des entreprises. La croissance économique ne devrait certes pas être forte en 2023, mais le risque de récession ne devrait pas non plus inquiéter outre mesure les investisseurs !

Une normalisation des allocations d’actifs.

Les investisseurs ont été confrontés à un contexte particulièrement troublé en 2022, justifiant d’adopter des allocations d’actifs TRÈS inhabituelles.

La performance des obligations ayant été pénalisée par les durcissements monétaires en cours, leur poids a été logiquement fortement réduit au profit du cash, même si ce dernier ne protégeait pas contre la très forte inflation. Maintenant que l’inflation se tasse et que les politiques monétaires devraient viser la neutralité, les rendements désormais élevés des obligations retrouvent de l’attrait dans une allocation d’actifs diversifiés, d’autant que les coupons détachés sont désormais souvent plus élevés que les dividendes versés par les actions ! De plus, le très fort recul des prix des obligations en 2022 a reconstitué leur potentiel boursier futur : leur rendement-risque est de nouveau attrayant !

Pour ce qui est des actions, quand bien même le cycle économique ralentit, les investisseurs sont encore généralement très sous-investis sur cette classe d’actifs, et ils ont de plus privilégié les thématiques à forte visibilité (secteurs défensifs, États-Unis, grandes capitalisations boursières…). Ceci explique pourquoi, durant le dernier trimestre de 2022, les mauvaises nouvelles ponctuelles ont peu affecté les actions, alors que les bonnes nouvelles ont provoqué des accélérations haussières brutales, notamment sur les thèmes ou zones sous-pondérés. Les valorisations boursières se sont par ailleurs fortement détendues en 2022 puisque les indices ont baissé alors que dans le même temps les bénéfices ont fortement progressé (autour de +20% en Europe par exemple !) : les indices intègrent donc déjà un scénario de récession modérée à venir des économies ! Ce cycle économique est enfin très particulier, car ayant été marqué par deux événements EXOGÈNES exceptionnels (COVID et guerre), et les entreprises ont montré une fois encore leur adaptabilité : la performance des actions pourrait surprendre encore favorablement en 2023. Pour les investisseurs cherchant à battre un indice boursier de référence, le stress vient probablement désormais des phases haussières des indices puisqu’ils n’y sont pas assez exposés ! 

Conclusion :

Bien des aléas et incertitudes continueront de ponctuer cette nouvelle année, mais l’exceptionnel s’éloigne, favorisant le retour d’une certaine normalité. Après leur violent décrochage simultané en 2022, la complémentarité des actions et des obligations devrait être de nouveau opérante dans une allocation d’actifs diversifiée, laissant espérer des rendements boursiers satisfaisants avec une volatilité plus modérée (cf. « parachute » obligataire). Pour nos allocations d’actifs, nous chercherons à toujours nous approprier cette recommandation de Caton l’Ancien :

« Aye une prévoyance sage,
Et des faits importants garde le souvenir,
Semblable au dieu Janus, dont le double visage,
Voit derrière et devant, le passé et l’avenir. »

Janus

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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