L’envol de la dette durant les dernières années inquiète de plus en plus les observateurs, et sa connotation, déjà négative, ne cesse de se renforcer : c’est un fardeau insoutenable, une fuite en avant, voire l’indice incontestable de l’irresponsabilité des emprunteurs ! L’avenir est-il alors scellé, une gigantesque crise de la dette est-elle inévitable, voire imminente ? Au travers de ce texte, nous avons voulu faire un point sur ce sujet complexe, afin de tempérer l’anxiété qu’il suscite généralement, mais aussi afin d’en déduire certaines conséquences pour les allocations d’actifs.
« On ne meurt pas de dettes. On meurt de ne plus pouvoir en faire. »
Les données sont irréfutables : la dette mondiale n’a cessé de croître durant les dernières décennies. Au dernier pointage effectué par le FMI en 2021, elle s’élèverait à 235 000 Mds $, soit 257% du PIB ! La COVID a bien évidemment eu un impact catastrophique sur l’ampleur de la dette puisqu’il a fallu l’augmenter brutalement, alors même que les économies étaient partiellement confinées et donc peu productives. La dette par personne dans le monde atteint 13 525 $ en 2022, soit 3 264 $ de plus qu’avant la pandémie, avec toutefois de très fortes disparités entre pays. Les États ayant absorbé l’essentiel de cette charge additionnelle, leur dette est soudainement passée de 84% du PIB en 2019 à 105% du PIB en 2021 … une fluctuation comparable à celle des grandes guerres !
Plus encore que le montant cumulé des emprunts contractés, l’inquiétude porte généralement sur l’évolution récente de la charge de remboursement, les taux d’intérêts s’étant envolés depuis 2 ans ! À l’échelle mondiale, les intérêts payés par les Etats ont explosé de +20,9% en 2022 par rapport à 2021 (source : Janus Henderson), reflétant principalement la hausse des taux (ils étaient HISTORIQUEMENT bas auparavant !) et, dans une moindre mesure, à cause du gonflement additionnel du stock d’emprunts. À titre d’illustration, en mars 2020, lors du 1er confinement, le gouvernement français empruntait alors à coût NÉGATIF de -0,39% pour ses obligations à 10 ans, et ne remboursait donc même pas l’intégralité du capital emprunté … cela lui coûte aujourd’hui +2.84% ! La dette de la France tutoie désormais le seuil symbolique des 3 000 Mds € (111,6% du PIB en 2022), et la charge de la dette devrait frôler les 52 Mds € en 2023, en hausse de plus de 12 Mds € sur un an (donc 1⁄4 de surcoût) ! Pour se faire une idée de ce que peut représenter ce seul montant de 12 Mds €, c’est le montant officiellement alloué au budget de la Justice pour 2023 ! Cependant, il convient de préciser que le contexte inflationniste extrêmement atypique actuel, et donc TEMPORAIRE, explique ce surcoût dû aux obligations dont les intérêts sont indexés sur le niveau de l’inflation (soit 11,5% du stock des obligations françaises) : la provision pour indexation est ainsi passée de 3 Mds € en 2021 à 15,6 Mds € en 2022 ! L’agence de rating Fitch s’inquiétant de la dynamique générale de la dette française, vient en conséquence de dégrader la note de la France de AA à AA- ! Pour tempérer toutefois immédiatement ce sujet, la note de la France reste dans la catégorie très recherchée par les investisseurs des notes souveraines de « haute qualité », et aucun mouvement significatif d’écartement de rendement entre les emprunts de la France et ceux de l’Allemagne n’a été observé après cette décision. Contrairement à Fitch, les investisseurs accordent donc encore leur confiance à la France. Il faut enfin rappeler que seule une fraction des emprunts (les nouvelles émissions d’obligations) est concernée par les nouveaux niveaux élevés de taux d’intérêts, le stock d’obligations anciennes versant en revanche encore des rendements bien plus bas, puisque les taux d’intérêts étaient très inférieurs durant les dernières années !
Une inquiétude additionnelle vient du fait que les Banques centrales ont engagé des programmes de « quantitative tightening » : leur objectif est de diminuer le stock d’obligations détenues dans leurs bilans, acquises afin d’appuyer les politiques budgétaires durant les dernières crises majeures. Pour rappel, les Banques centrales détiennent aujourd’hui 21% du total des obligations en circulation dans le monde ! Les sommes en jeu sont dès lors très importantes : 95 Mds $ pour la FED et bientôt 27 Mds € pour la BCE, d’obligations arrivant à échéance et n’étant pas reconduites… et cela chaque mois ! Privés en partie de cet acheteur structurel de leurs obligations, les États pourraient donc être contraints d’offrir des taux d’intérêts plus élevés que les niveaux actuels afin de séduire des investisseurs de substitution, augmentant d’autant la charge de leur dette, et ces capitaux « détournés » au profit des États pourraient manquer en fin de compte aux entreprises voulant elles aussi emprunter de l’argent. En réalité, pour alimenter divers fonds nécessaires à leur activité courante (pour les fonds de retraites, les fonds en Euros…), les compagnies d’assurances sont très heureuses de pouvoir enfin acheter de nouveau des obligations avec des rendements élevés. De même, les sociétés de gestion multiplient actuellement les offres de « fonds datés », autrement dit des fonds visant à profiter des rendements obligataires élevés actuels. Par ailleurs, les États ont un acheteur structurel persistant de leurs obligations au travers des institutions bancaires, les règles prudentielles imposant à ces établissements de détenir des actifs réputés « sans risque » en contrepartie de leur activité. Enfin, le vieillissement de la population mondiale a pour effet de générer régulièrement un fort excès d’épargne disponible, et cette catégorie d’épargnants privilégie dans ses allocations les actifs réputés peu risqués et à rendements réguliers. Le retrait partiel des Banques centrales se fait donc évidemment sentir sur les marchés obligataires, mais il ne faut pas sous-estimer l’ampleur des capitaux toujours prêts à acheter des obligations !
« La dette, c’est les impôts de demain. »
Un réflexe fréquent consiste à associer au terme de « dette » la perspective d’impôts additionnels futurs, décourageant d’autant les initiatives de création de richesse, les espoirs de consommation ou d’épargne… d’où un sentiment de déclassement des individus et d’avenir morose à mesure que la dette progresse. Il convient de faire alors un rappel essentiel : face au passif de la dette, il se constitue aussi un actif, qu’il soit matériel ou immatériel ! S’endetter pour acheter son logement pèse sur les dépenses courantes durant de nombreuses années, mais un bien est finalement détenu, et il peut être transmis. La flambée de dette des États due à la COVID a permis en contrepartie de préserver les outils de production et les emplois nationaux. Lorsque l’État s’endette pour développer les infrastructures, pour sécuriser son approvisionnement énergétique, pour assurer la défense du territoire… c’est aussi le secteur privé qui en bénéficie très directement, et cela renforce l’attractivité du pays aux yeux des investisseurs internationaux. La transition climatique a évidemment un coût, et la dette des États, des entreprises et des ménages s’en ressent, mais un actif est alors préservé en face et qui n’a peut-être pas de prix : la sauvegarde de la planète ! Ces divers exemples rappellent que si la dette est intergénérationnelle, les actifs constitués en face le sont tout autant, que la dette assumée par les uns peut profiter à la collectivité, et que c’est sur un horizon de très long terme qu’il faut tenter éventuellement de mesurer cet équilibre passif-actif, sans oublier de comptabiliser les actifs immatériels ! Étant donné qu’il est alors absurde de ne faire le focus que sur la dette, et donc que sur le passif, l’indicateur de la dette/PIB est généralement retenu pour souligner son dérapage, le PIB étant supposé refléter la constitution nationale de richesse, et donc l’actif venant en contrepartie de la dette. Mais la dette renvoie à l’état des lieux d’un STOCK, alors que le PIB retrace un FLUX (consommation, investissement, dépense de l’État, et commerce extérieur)… ce ratio est donc conceptuellement bancal. Par ailleurs, s’endetter pour creuser un trou et le reboucher ensuite est favorable au PIB, mais ne crée évidemment aucune richesse réelle de long terme : l’utilité finale de la dette ne devrait donc pas être appréciée vis-à-vis du PIB, même si ce ratio peut néanmoins être retenu pour analyser certaines dynamiques !
Revenons maintenant à la question de la soutenabilité de la dette et au risque d’accroissement à venir de la fiscalité.
- La croissance économique ayant été très forte depuis 2 ans, les recettes fiscales ont été en conséquence exceptionnellement élevées, et cela sans même devoir créer de nouveaux impôts ou relever les taux d’imposition appliqués : les ratios de dette/PIB ont de ce fait BAISSÉ, en dépit de la forte hausse concomitante de la charge de la dette ! En effet, les impôts s’appliquaient à des chiffres d’affaires (cf.TVA), à des bénéfices (cf. impôts sur les sociétés), à des revenus (cf. impôts sur les revenus)… tous en forte progression, car stimulés directement ou indirectement par la dynamique de l’inflation. L’assiette fiscale dépend ainsi de l’intensité de la croissance économique mais aussi de l’inflation, et la charge RELATIVE de la dette peut donc diminuer même si son montant ABSOLU progresse. L’accroissement de la fiscalité n’est alors pas une fatalité lorsque la dette monte !
- Lorsque le rythme d’inflation est plus élevé que le coût de l’emprunt (donc des taux réels NÉGATIFS), l’emprunteur gagne structurellement du pouvoir d’achat, là où le créancier en perdra en revanche : l’inflation est un impôt caché sur l’épargne ! Les États, et plus généralement tous les emprunteurs, ont donc tout intérêt à ce que des taux réels négatifs perdurent. C’est pourquoi il est si important que la lutte contre l’inflation par les Banques centrales ne devienne pas dogmatique, et que leur cible théorique d’inflation à 2% ne soit pas un totem, d’autant que l’inflation sera probablement structurellement plus forte à l’avenir (cf. relocalisations d’activités, coût de la transition écologique…) et que le risque n’est alors pas nul d’une d’asphyxie contre-productive des économies du fait de politiques monétaires trop restrictives. Pour que les dettes restent supportables, il est donc essentiel que les taux directeurs refluent assez vite, à mesure que l’inflation se normalise.
- L’austérité vient ensuite logiquement à l’esprit : réduire les dépenses et espérer éviter des impôts additionnels. Comme l’a toutefois démontré la catastrophique gestion de la crise de la dette grecque, les stratégies d’austérité systématique sont contre-productives puisqu’elles asphyxient la croissance économique, et donc l’assiette sur laquelle les impôts viennent s’appliquer, rendant finalement impossible la réduction du ratio dette/PIB ! De plus, si tous les pays font de l’austérité simultanément, l’impact négatif sur la croissance est alors démultiplié du fait de l’intensité des interconnexions entre pays… c’est donc une solution à adopter avec beaucoup de prudence ! Si le « quoi qu’il en coûte » budgétaire doit évidemment prendre fin dès que possible, il est toutefois préférable que la croissance tienne et, fort heureusement, cette hypothèse pourrait bien se concrétiser. En effet, la perspective de dépenses d’investissements « contraintes » durablement soutenues (cf. transition écologique, santé, défense, numérique, éducation…), s’appuyant largement sur le secteur privé (encouragé en cela par des taux bonifiés, des crédits d’impôts, des garanties des États…), devrait maintenir un rythme de croissance économique satisfaisant durant les prochaines années, permettant de faire face aux remboursements des dettes.
Afin de couvrir la charge des dettes, la hausse de la fiscalité ne peut néanmoins pas être exclue. Il convient toutefois de bien avoir en tête le contexte spécifique actuel, pour percevoir à quel point la fiscalité est contrainte. La COVID, puis la guerre en Ukraine, ont fait prendre conscience de dépendances catastrophiques à l’égard de certains pays étrangers (énergie, semi-conducteurs, médicaments…). La souveraineté (re)devient une priorité dans de nombreux domaines, et des blocs géostratégiques se constituent à travers le monde à cet effet. Les États sont alors en concurrence pour que les investissements industriels privés s’effectuent sur leurs territoires, d’où l’ « Inflation Reduction Act » (IRA) américain, auquel l’Union européenne cherche à opposer un « Buy European Act ». Même si des fiscalités écologiques spécifiques sont à prévoir pour accélérer la transition climatique, les entreprises ne devraient pas être trop pénalisées par les éventuels durcissements fiscaux à venir puisque les gouvernements veulent au contraire les attirer, souvent grâce à des ALLÈGEMENTS fiscaux ! Ces dispositifs fiscaux seront probablement complétés par diverses formes de protectionnisme « normatifs », de façon à ce que toute dépense stimule bien l’activité du pays ou de la zone, et non pas le concurrent étranger, et pour que les recettes fiscales soient fixées sur le territoire national. Parce qu’il est socialement et électoralement parlant très difficile de faire peser toute la fiscalité additionnelle sur les ménages, les gouvernements feront donc pression sur les banquiers centraux pour qu’ils assouplissent leurs objectifs d’inflation, permettant ainsi de maintenir des taux réels plutôt négatifs, et pour que les taux directeurs refluent aussi vite que possible. Même si cela doit pénaliser les épargnants, l’inflation, cette fiscalité qui ne se voit pas trop, pourrait aussi être intentionnellement tolérée.
« Les dettes, c’est un état d’esprit. »
Le stress de remboursement des dettes n’est peut-être alors pas aussi intense ou imminent que certains l’envisagent, mais peut-on pour autant se complaire d’une telle situation ?
Le « quoi qu’il en coûte » budgétaire s’est imposé depuis la COVID, et désormais des milliards sont déversés là où quelques années plus tôt cela n’aurait été que des millions. Si l’opposition à la réforme des retraites en France a été aussi virulente, c’est probablement notamment parce que l’argument de « quelques milliards d’euros » d’économies ne porte plus auprès d’une population s’habituant à une forme d’ « assistance » financière publique systématique. Mais l’argent n’est pas gratuit et l’État ne peut pas tout prendre en charge. Ainsi, convient-il impérativement de (re)définir le projet social et sociétal commun, et de revoir l’articulation de ce qui relève du régalien ou du privé. Quel périmètre et quel degré d’interventionnisme de l’État est-il souhaitable, et pour quelle durée ? Pour les pays européens, la question est d’autant plus pressante que bientôt l’Union Européenne va rétablir les règles budgétaires régissant les niveaux de tolérance de déficits budgétaires ou de dettes des États.
Si le budget de l’État est un bon reflet des priorités du projet de société, on peut alors légitimement s’interroger quant aux poids dérisoires accordés actuellement par la France à la culture (0,6% du budget), à l’agriculture (0,8% du budget), à l’Europe et aux Affaires étrangères (0,9% du budget)… ! L’adhésion au projet sociétal commun est essentielle, puisque déterminant l’acceptation ou non de l’impôt par la population, car si le coût de la dette française est toujours très bas, c’est précisément parce que le pays est connu pour sa capacité à lever l’impôt. Il convient de bien distinguer également les dettes de l’État relevant de l’investissement, de celles permettant de couvrir les dépenses de fonctionnement, car, selon leur affectation, les contraintes budgétaires imposées par Bruxelles diffèreront radicalement d’un cas à l’autre. Les budgets de l’éducation ou de la défense sont-ils par exemple des investissements ou bien des dépenses courantes ? De même, parce que cela a un impact sur l’inflation de long terme, la BCE accorde un traitement privilégié aux investissements destinés à la transition climatique, achetant et conservant en priorité ce type de dette dans son Bilan… mais d’autres dépenses des États ne pourraient-elles alors être financées par la BCE pour ce même motif ? En fin de compte, la dette est un instrument, et elle ne devrait pas être perçue comme étant un objectif !
« La reconnaissance est la seule dette qu’un débiteur aime à voir s’accroître. »
Que peut-on éventuellement en conclure pour les allocations d’actifs ?
Obligations :
Les Banques centrales ont désormais à peu près achevé leur processus de durcissement monétaire (la FED a probablement déjà atteint le stade de la neutralité), ce qui signifie que s’exposer aux obligations présente maintenant beaucoup moins de risques, alors que les rendements nominaux sont de nouveau attrayants. Pour autant, pour que l’épargnant ait intérêt à placer son argent sur les obligations, il faut que les rendements réels soient de nouveau positifs : il convient donc de comparer attentivement les rendements servis par rapport au rythme d’inflation. Pour financer leurs importants investissements à venir, les États devront solliciter régulièrement les marchés au travers d’émissions obligataires, ce qui soutiendra la croissance économique : le risque de défaut de paiement des entreprises sera alors contenu. Les entreprises proposant des rendements supérieurs à ceux des États, il nous semble préférable de les privilégier dans les allocations d’actifs plutôt que les obligations souveraines.
Actions :
Le cycle économique devrait rester soutenu durant les prochaines années, porté par l’investissement des États et des entreprises, mais aussi par la consommation des ménages : c’est un contexte favorable pour l’exposition aux actions. L’inflation est généralement bien absorbée par les grandes multinationales, puisqu’elles ont un fort « pricing power » leur permettant de maintenir leurs marges bénéficiaires, mieux vaut donc les privilégier dans les allocations d’actifs plutôt que les petites capitalisations. Les pays développés bénéficient d’un accès privilégié aux marchés financiers par rapport aux pays émergents : ils financeront ainsi plus aisément leurs investissements à venir… il semble alors prématuré de s’exposer significativement aux émergents aujourd’hui. Le cycle économique étant encore en phase de léger déclin, les valeurs de croissance (technologiques par exemple) doivent encore être favorisées, d’autant que la fin des durcissements monétaires par les Banques centrales profite beaucoup à leurs valorisations boursières. Les secteurs les plus cycliques (matières premières…) pourraient redevenir intéressants à mesure que la fin d’année approche, puisque la croissance économique devrait de nouveau accélérer en 2024.
Pour conclure, les équipes de WeSave continueront de vous aider au mieux pour que cette citation de Stendhal se réalise : « Ce n’est pas tant d’être riche qui fait le bonheur, c’est de le devenir. »