Date de publication : 28 juin 2024

L’Europe traverse actuellement une période économique délicate, marquée par une croissance anémique, des incertitudes politiques persistantes, et des défis structurels majeurs. Pourtant, malgré ce contexte préoccupant, les marchés d’actions de la zone affichent une résilience surprenante, enchaînant même pour la plupart d’entre eux les records historiques. Comment expliquer ce paradoxe où la santé des marchés boursiers semble autant découplée de la réalité économique ?

Pourquoi un tel « Europtimisme » des marchés ?

Il convient tout d’abord de faire un rappel essentiel : les marchés financiers n’ont absolument pas vocation à refléter fidèlement la structure de l’économie réelle, les petits commerces de quartier ou bien encore les administrations publiques n’étant par exemple pas cotés en bourse. Les marchés cherchent simplement à fixer des prix d’équilibre, assurant ainsi la circulation de capitaux et le financement d’une partie de l’économie, sans en être pour autant le miroir. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le poids accordé aux grands secteurs économiques dans l’indice large des sociétés européennes cotées (le Stoxx600) vis-à-vis des contributions réelles de ces mêmes secteurs au PIB européen. Les différences de poids sont colossales, avec aux extrêmes une sur-représentation boursière de 14,4% de la finance (19,0% VS 4,6%) et, réciproquement, une sous-représentation de 9,2% de l’immobilier (1,2% VS 10,4%).

Ces différences majeures expliquent par exemple pourquoi l’actuelle crise immobilière, due notamment aux taux d’intérêts très élevés, a un impact dérisoire en bourse, contrairement à son effet dépressif très fort sur l’économie réelle. À l’inverse, ce même niveau élevé des taux d’intérêts profite tout particulièrement au secteur bancaire, sur-représenté en bourse, puisque ses résultats sont soutenus, entre autres, par les marges dégagées sur les activités de crédit à l’économie. Ces réflexions peuvent aussi s’appliquer aux secteurs associés aux matières premières, sur-représentés en bourse, et dont les prix sont actuellement en pleine dynamique haussière quand, réciproquement, l’inflation (ou même la simple peur de l’inflation !) pèse sur la consommation courante des ménages qui est, fort heureusement pour les investisseurs, un secteur sous-représenté en bourse.

La déconnexion entre le ressenti du quotidien et la performance actuelle de la bourse s’explique alors très logiquement par des aspects récurrents (biais sectoriels des indices boursiers), mais aussi par des phénomènes plus conjoncturels (inflation, taux d’intérêts actuels…) accentuant encore plus ces écarts de performance.

Il convient aussi de rappeler que les sociétés cotées en bourse sont souvent une « élite » de nos économies : 

  • Elles ont atteint une certaine taille critique, étant parfois même en situation de monopole ou d’oligopole sur leurs marchés, et la notoriété procurée par la bourse peut conforter ces positions acquises.
  • Elles ont souvent optimisé leurs coûts, mais aussi leurs circuits de production, d’approvisionnement et de distribution, fonctionnant proche du « flux tendu ».
  • Elles ont généralement déjà établi des positions commerciales conséquentes à l’international, disposant ainsi d’un relais de croissance souvent très utile quand l’activité domestique est morose !
  • Elles disposent d’une recherche et développement avancée, ou bien établissent de précieux partenariats pour rester compétitives.
  • Elles attirent à elles des employés hautement qualifiés grâce à de belles perspectives de carrière ou de rémunération (dont l’actionnariat d’entreprise !).
  • Elles ont accès à des financements compétitifs, via leurs banquiers habituels ou au travers des marchés financiers.
  • Elles peuvent éventuellement utiliser leurs propres actions comme monnaie d’échange pour acquérir un concurrent.
  • Etc…

Il n’est donc pas surprenant d’observer que ces entreprises parviennent à réaliser des performances opérationnelles très supérieures à celle de l’économie. Depuis 1988, la capitalisation boursière du CAC40 a été multipliée par 20 quand, dans le même temps, le PIB en valeur de la France a « seulement » triplé : les 40 valeurs phare de l’indice représentaient 9% du PIB français en 1988 contre 58% aujourd’hui ! 

La bourse est aussi affaire de « communication » et les dirigeants des entreprises cotées sont généralement particulièrement rôdés à cet exercice, notamment ceux des très grandes multinationales. Il y a en effet un jeu du « chat et de la souris » entre ces dirigeants et la communauté financière (gérants ou analystes) pour tenter de surprendre favorablement lors des publications de résultats. À cet égard, les publications du 1er trimestre 2024 par les sociétés du Stoxx600 européen sont très éclairantes : les déceptions ont été majoritaires sur les chiffres d’affaires (-1% sous les attentes), et pourtant les bénéfices ont, pour leur part, très largement surpassé les attentes du consensus (+8,4% au-dessus), d’où la démonstration de l’excellence de leur gestion opérationnelle, et accessoirement du pilotage de la communication ! La bourse a logiquement salué par des hausses ces annonces, d’autant que les discours quant aux perspectives de fin d’année, sans être euphoriques, restent confiants et souvent revus en hausse. Petite digression : les grandes multinationales disposent de très importants budgets dédiés à la communication, ce qui est un avantage déterminant vis-à-vis des petites sociétés cotées, notamment quand il s’agit d’expliquer le degré d’implication de l’entreprise dans le « socialement responsable ».

Les actions, une « Europportunité » persistante ?

Les prix en bourse reflètent non seulement le passé et le présent, mais bien plus encore le futur. Il convient donc d’analyser les perspectives économiques s’offrant aux sociétés de la zone. Le premier constat que l’on peut faire est que, si les fondamentaux macro-économiques sont actuellement déprimés, ils sont toutefois voués à s’améliorer sensiblement durant les 2 années à venir : 

  • Le PIB de la zone Euro devrait passer de +0,5% cette année à +1,3% en 2025, puis +1,5% en 2026.
  • L’inflation attendue à +2,4% cette année retomberait à +2,1% l’an prochain et même à +2% en 2026.

Si en absolu ces données ne sont pas spectaculaires, la dynamique engagée est toutefois favorable et, en RELATIF, la zone Euro est plutôt mieux disante que les États-Unis, la Chine ou le Japon. Sans même attendre ces horizons, les surprises économiques actuelles, autrement dit les écarts positifs ou négatifs par rapport aux prévisions économiques du consensus, surprennent à nouveau favorablement en Europe. Les prévisionnistes étaient donc un peu trop pessimistes quant à l’activité de la zone, et cela valide implicitement les discours raisonnablement optimistes tenus par les dirigeants d’entreprises lors des dernières publications de résultats trimestriels.

Les entreprises européennes peuvent par ailleurs compter désormais sur des baisses de taux directeurs par la BCE et par plusieurs autres Banques centrales de la zone, là où le calendrier, le rythme et l’ampleur des baisses de taux sont incertains pour la FED aux États-Unis, et que la Banque du Japon est pour sa part engagée dans une phase de très léger et progressif durcissement de sa politique monétaire, notamment afin de soutenir le Yen. La dynamique des conditions de financement est donc a priori temporairement plus favorable en Europe que dans les autres grandes zones. Ces assouplissements monétaires en Europe devraient contribuer à stimuler l’activité et atténueront les charges de remboursement de dette des agents économiques (cf. États européens notamment). Il convient de rappeler aussi que le taux d’épargne est exceptionnellement élevé en Europe (supérieur au niveau d’avant COVID) et que le tassement additionnel de l’inflation encouragera les ménages à consommer à nouveau plutôt qu’à épargner. Par ailleurs, la baisse des taux d’intérêts incitera à réorienter progressivement l’épargne vers des produits financiers plus « offensifs » que le monétaire, telles que les actions par exemple.

Les épargnants et les investisseurs institutionnels sont d’autant plus incités à considérer favorablement les actions européennes dans le cadre de leurs allocations d’actifs que ces dernières ont des niveaux de valorisation toujours attrayants en absolu, mais aussi en relatif par rapport aux indices des grands pays étrangers. Dès lors, la conjonction d’une progressive reprise économique dans la zone, tout en bénéficiant d’un assouplissement graduel de la politique monétaire, semble être un cadre d’investissement particulièrement favorable ! Le retour des opérations de fusions et acquisitions, mais aussi les importants programmes de versement de dividendes (record historique de 407 Mds € en 2023, et qui pourrait atteindre les 440 Mds € en 2024) ou de rachat de leurs actions (129 Mds € en 2023) par les sociétés européennes constituent un environnement boursier a priori stimulant pour l’investisseur.

Sans même parler de sélection spécifique de valeurs en bourse, cet exercice se révélant être souvent difficile ou coûteux, investir en Europe au travers des grands indices d’actions semble aujourd’hui d’autant plus logique que la zone offre une très grande variété d’expositions sectorielles (donc une multitude de combinaisons possibles) et que ces dernières sont, qui plus est, très complémentaires de celles des grands indices mondiaux. Prenons par exemple le DAX allemand, ce dernier est complètement dépourvu d’exposition au secteur de l’énergie … il peut être opportun de l’associer alors au Footsie anglais ou encore au MSCI d’Amérique Latine pour compenser ce manque. De la même manière, en testant les corrélations entre indices boursiers, on constate que le CAC français et le DAX allemand sont, sans grande surprise, très fortement liés (82% en 2024) alors qu’il est possible de trouver une complémentarité boursière très intéressante entre le CAC et le TOPIX japonais, ces 2 indices affichant une décorrélation de -4% en 2024. Pour les investisseurs internationaux qui, par principe de précaution, auraient fui l’Europe après le déclenchement du conflit en Ukraine, il est désormais tentant d’envisager à nouveau de diversifier leurs expositions géographiques et sectorielles en revenant progressivement sur la zone.

Conclusion :

Les actions européennes présentent une combinaison intéressante de stabilité, de diversité sectorielle, et de valorisations attractives. Ces caractéristiques, associées à des rendements de dividendes élevés et à un environnement réglementaire rigoureux, en font un choix pertinent pour les investisseurs cherchant à diversifier leurs portefeuilles et à capturer des opportunités de croissance durable. Pour l’équipe de gestion de WeSave, et à l’encontre du scepticisme répandu à l’égard de l’Europe, cette zone a toujours semblé utile pour améliorer le couple rendement-risque de nos allocations d’actifs diversifiées, d’où le présent plaidoyer en leur faveur. À celles et ceux craignant un repli boursier imminent après les records historiques récents, il nous semble utile de rappeler cette citation du célèbre gérant de capitaux et philanthrope Peter Lynch : « Les investisseurs ont perdu beaucoup plus d’argent en se préparant aux corrections, ou en essayant de les anticiper, qu’ils n’en ont perdu dans les corrections elles-mêmes ».

L’Europe en Actions

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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