Date de publication : 9 novembre 2018

Alors que la croissance économique mondiale se porte encore bien, de nombreuses incertitudes handicapent la performance de la plupart des placements en bourse. Le chaos des relations internationales est-il susceptible de mettre K.O. des années d’efforts de regain de confiance, avec le risque que la croissance économique et la revalorisation des actifs financiers qui va de pair ne s’effacent ? Quelle allocation d’actifs convient-il d’adopter alors que le cycle économique et financier est désormais plus mature ?

Du Chaos …

La crise des “subprimes” de 2008 a contraint les autorités des différentes zones à se coordonner et à collaborer afin d’éviter que la récession ne dégénère. Des injections budgétaires massives, et surtout des soutiens monétaires sans pareils, les “quantitative easings”, ont permis de restaurer la confiance et de relancer la croissance mondiale. Mais les populations ayant été fortement mises à contribution (chômage, impôts,…) et, trouvant insuffisants ou trop lents les résultats produits, une vague de votes de contestation de l’ordre établi a porté au pouvoir des dirigeants moins prédisposés à la coopération. Sous couvert de patriotisme, l’égocentrisme des États refait surface, à tel point que la géopolitique est désormais à nouveau “toxique” pour l’économie et les marchés financiers, étant une source d’incertitudes fortes et persistantes pour les investisseurs, d’autant que l’agenda politique restera chargé durant les prochains mois.

Le choc le plus lourd de conséquences est celui que se livrent les États-Unis et la Chine. Les deux principales puissances au monde luttent pour le leadership à long terme. Si ses méthodes sont choquantes et souvent outrancières, D.Trump a toutefois raison d’affirmer que la Chine se comporte fréquemment comme un “passager clandestin” au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.), profitant des privilèges offerts sans accorder en retour les mêmes avantages à ses partenaires. Les entreprises étrangères souhaitant s’installer en Chine n’y parviennent qu’au prix d’importants transferts technologiques et, même ainsi, la concurrence reste faussée sous de nombreux aspects. En effet, beaucoup d’entreprises chinoises bénéficient de la “protection” financière et plus encore réglementaire de l’État et de ses nombreuses émanations. Lorsque les États-Unis surtaxent les produits chinois, ce n’est pas simplement afin de rééquilibrer la balance commerciale entre les deux pays, mais aussi pour défendre une doctrine d’échanges “équitables” ! Quand bien même les élections de mi-mandat (le 6 novembre) modifieraient l’équilibre politique américain, la Chambre des Représentants pouvant être emportée par les Démocrates, l’Administration américaine devrait prolonger durablement son bras-de-fer commercial avec la Chine. Cette élection pourrait même, accessoirement, inciter D.Trump à intensifier ses prises de positions nationalistes afin de détourner l’attention de la menace d’une procédure de destitution (“impeachment”) qui pourrait être engagée contre lui. Le conflit entre la Chine et les États-Unis étant amené à durer, il pèsera sur la croissance mondiale et sur les flux financiers internationaux, ce que les investisseurs doivent intégrer pour leurs allocations d’actifs !

S’il n’est pas certain que l’U.E. (Union Européenne) échappe pour sa part à une guerre commerciale avec les États-Unis, les Américains pourraient être conciliants afin de se préserver ainsi un allié face à la Chine. Mais, avant même ce risque externe, l’U.E doit faire face à de nombreux défis intérieurs : l’autorité d’A.Merkel et d’E.Macron est contestée, alors qu’il est indispensable de trouver une ligne directrice commune avant les élections européennes (mai 2019). C’est pourquoi le Brexit et un budget italien très éloigné des règles communautaires sont, chacun à leur manière, des tests majeurs pour la zone.

  • Pour ce qui est du Brexit, l’U.E. ne peut pas laisser présumer qu’il serait possible de quitter la zone sans en payer le prix … un Brexit “à la carte” est inenvisageable ! La question de la frontière entre les deux Irlandes reste, à ce stade, le point d’achoppement majeur des négociations. Un éventuel allongement du calendrier du Brexit au-delà de la fin mars 2019 n’infléchirait pas la doctrine de fermeté de l’U.E., mais permettrait de contourner l’échéancier électoral européen. En excluant l’hypothèse peu probable d’un nouveau référendum, les dirigeants du Royaume-Uni sont pour leur part confrontés à deux options : aller au clash via un Brexit “dur”, alors même que l’ampleur de ses conséquences est impossible à anticiper et que les signes d’impréparation foisonnent, ou bien gagner du temps et tenter d’aplanir les dissensions politiques internes qui sont aujourd’hui le principal obstacle à l’avancée des négociations. Il nous semble que le pragmatisme devrait plutôt l’emporter, les négociateurs se donnant alors plus de temps pour trouver un terrain d’entente favorable à tous.

  • Le budget italien remet en cause frontalement la manière dont l’U.E. assure la convergence économique et sociale entre ses membres sur la durée. Ce n’est pas tant la finalité qui est contestée par les Italiens, que les moyens que l’on se donne pour y parvenir ! L’orthodoxie budgétaire est-elle la bonne méthode à adopter, ou alors plus de flexibilité doit-elle être accordée aux États ? En effet, la rigueur budgétaire est incompatible avec la réduction de la dette publique si l’activité économique est alors asphyxiée (cf. précédent grec durant la crise des “subprimes”), ce que le gouvernement italien cherche à faire valoir auprès de la Commission Européenne qui vient de rejeter son budget ! En réalité, ce qui distingue les deux parties, c’est surtout un jugement de valeur divergeant quant à la nature et au rythme des dépenses à engager. L’U.E. pourrait aller dans le sens de la Ligue italienne qui réclame des dépenses d’infrastructures et des baisses d’impôts sur les sociétés, puisque c’est susceptible d’améliorer la compétitivité et la croissance potentielle du pays. En revanche, le revenu minimum universel et l’abaissement de l’âge de la retraite, soutenus par le Mouvement 5 Étoiles, ne peuvent que crisper l’U.E. alors que la dette du pays (2.263 Mds €) atteint déjà 132% du PIB ! Pour étayer sa thèse, le gouvernement italien soulignera la sanction finalement modérée des agences de notation internationales (Moody’s et S&P) à son égard, et qui permet au demeurant au pays de bénéficier encore du programme d’achat d’obligations de la BCE. En fin de compte, la Commission Européenne n’a qu’un pouvoir consultatif, et il reviendra si nécessaire au Conseil Européen de sanctionner a posteriori l’Italie, sachant qu’une telle procédure serait longue et, qu’à ce jour, aucun membre de l’U.E. n’a finalement jamais été sanctionné malgré les écarts fréquents. L’U.E. cherchera à ébranler l’unité d’une coalition constituée de deux partis politiques très discordants, et ces derniers feront valoir auprès des électeurs l’immobilisme économique et social imposé par Bruxelles. Les élections européennes prendront donc un sens tout particulier l’an prochain, d’où la méfiance des investisseurs à l’égard des actifs de la zone !

Plus généralement, les sources de tensions et d’incertitudes internationales sont aujourd’hui nombreuses et complexes à anticiper ou à analyser pour les investisseurs, notamment parce que ce sont des risques binaires : Corée du Nord, sanctions à l’égard de l’Iran et de la Russie, voire de l’Arabie Saoudite suite à l’affaire Khashoggi,… De plus, plusieurs pays émergents sont particulièrement fragilisés (Venezuela, Argentine, Turquie,…), ce qui a toujours des conséquences importantes en termes financiers pour leurs pays partenaires, provoque des flux migratoires parfois incontrôlables, de l’instabilité politique,… La coïncidence entre un cycle économique plus mature et des risques géopolitiques nombreux ne peut qu’intensifier les tentations protectionnistes et les replis sur soi, pénalisant d’autant les échanges internationaux et la dynamique de croissance mondiale.

… Au K.O. ?

Sur le seul mois d’octobre, les baisses enregistrées sur les actions ont avoisiné les -10%, et toutes les zones ont cette fois été concernées, même les États-Unis qui étaient jusqu’alors un sanctuaire pour les investisseurs ! Qu’il s’agisse des petites sociétés ou des grandes capitalisations boursières, des titres décotés (“Value”) ou bien des valeurs de croissance (“Growth”), tous chutent sans véritable discrimination. Les obligations d’entreprises ayant des Bilans solides (“Investment Grade”), tout comme celles plus fragiles (“High Yield”), se déprécient simultanément. Les obligations d’État profitent pour leur part de reports favorables, mais toutefois modestes au regard de l’ampleur des baisses accusées par les autres actifs financiers. Les matières premières chutent, notamment le pétrole (-10.96%), exception faite de l’or (+1.87%) qui atténue un peu à l’occasion son recul annuel persistant (-6.78%). Comme c’est généralement le cas quand les marchés financiers sont troublés, le Dollar sert plutôt de devise refuge (+2.10%) face aux principales devises mondiales.

Dans de telles circonstances, la diversification des actifs financiers en portefeuilles est hélas peu efficace. Si le contexte géopolitique est anxiogène, est-ce pour autant l’explication à l’actuelle mauvaise tenue des actifs financiers en bourse ? Les investisseurs sont plus probablement en train d’ajuster leurs scénarios économiques et financiers pour l’an prochain, d’où des remaniements d’allocations, que de nombreux facteurs techniques ponctuels ont intensifiés.

Le discours de confiance de la FED (banque centrale américaine) quant aux perspectives de croissance du pays a contraint beaucoup de stratèges d’envisager plus de hausses de taux d’intérêts que ce qui était intégré jusqu’alors dans leurs modèles, quand bien même ils n’adhèreraient pas à l’optimisme de la FED ! Ceci explique la bonne tenue persistante du Dollar, le recul des actions, mais aussi l’effet “refuge” finalement décevant des obligations d’État durant cette correction boursière, la fermeté de la politique monétaire de la FED pesant sur la valorisation future des obligations. En parallèle, la BCE (Banque Centrale Européenne) a confirmé qu’elle cessera ses achats systématiques d’actifs en fin d’année, et qu’elle réinvestira l’intégralité du produit des coupons et des obligations arrivant à échéance, et cela au moins jusqu’à la fin de l’été 2019. Alors que la FED réduit la taille de son Bilan (20.5% du PIB des États-Unis), la BCE se contentera de stabiliser le sien (40.2% du PIB de l’U.E.), d’autant que le Brexit et le cas italien pourraient nécessiter des interventions ponctuelles en cas de stress financier. La correction des bourses reflète ces inflexions de politiques monétaires à venir, l’inquiétude portant plus sur la vitesse de remontée des taux que sur leurs niveaux en absolu.

Un tassement plus prononcé qu’attendu de la croissance économique chinoise inquiète par ailleurs les investisseurs. En effet, plusieurs statistiques économiques publiées récemment et les nombreux soutiens à la croissance activés depuis l’été sont autant de signaux de faiblesse et d’inquiétude envoyés aux investisseurs. Sans préjuger de leur succès ou non, le recours à ces mesures pro-cycliques démontre que le pays est loin d’être imperméable aux hausses de taxes américaines, et que la dépendance de la Chine au commerce international reste significative ! Beaucoup de sociétés cotées étant sensibles à l’activité en Chine et à ses effets dominos sur les autres zones, les dynamiques de chiffres d’affaires et de bénéfices futurs doivent être parfois abaissées. C’est précisément ce que plusieurs publications trimestrielles démontrent : si les résultats restent majoritairement supérieurs aux attentes, les discours des dirigeants d’entreprises sont en revanche plus prudents du fait de la moindre visibilité ou confiance qu’ils accordent à leurs perspectives. Le recul des actions, des dettes d’entreprises, et des prix des matières premières, sont ainsi cohérents avec un abaissement de la croissance anticipée : les investisseurs ajustent leurs allocations en vue d’un possible haut de cycle et pic de rentabilité des entreprises.

Au-delà d’une réévaluation du cycle économique et des politiques monétaires des banques centrales, de nombreux facteurs techniques ponctuels expliquent aussi l’ampleur des baisses. Les entreprises doivent par exemple suspendre les rachats de leurs propres actions durant la période précédant leurs publications de résultats. Étant donné l’ampleur des montants concernés (1.000 Mds $ pour les seules entreprises américaines cette année, soit l’équivalent de 5% de la capitalisation boursière nationale !), cette obligation réduit drastiquement les flux acheteurs en bourse. Par ailleurs, les performances par zones géographiques, par secteurs d’activités,… étaient extrêmement divergentes cette année, contraignant beaucoup de gérants à se dessaisir des thèmes déjà en retard (émergents, petites capitalisations, automobile, bancaires,…) au profit des “chouchous” de la cote (États-Unis, technologiques, luxe, aéronautique,…), sous peine d’afficher des retards de performance majeurs (cf. dispersion des performances entre fonds d’une même catégorie !). Un engorgement se produit donc lorsqu’il s’agit d’alléger ces positions consensuelles, tout le monde faisant alors la même chose en même temps ! Enfin, la proximité de la fin d’année rend les gestionnaires plus agressifs dans leurs flux vendeurs, de façon à préserver leurs gains ou bien, plus souvent cette année, à limiter leurs pertes !

Quelques considérations boursières

Si les inquiétudes des investisseurs sont légitimes, il convient de remettre en perspective le contexte dans lequel nous nous projetons pour l’an prochain. Les politiques monétaires seront moins accommodantes, certes, mais les banquiers centraux ont bien conscience de leur influence économique et financière, et ils ne veulent à aucun prix être tenus pour responsables d’une nouvelle dépression. Dès lors, ils infléchiront très vite leurs discours et leurs politiques monétaires si nécessaire. Des erreurs de politique économique peuvent être commises par les États au travers de politiques budgétaires et fiscales trop généreuses, mais le coût de financement de la dette sur les marchés financiers est une force de rappel puissante (cf. flambée récente des taux d’intérêts italiens). En 2019, la croissance économique mondiale perdurera : +3.6% selon le consensus, contre +3.8% attendu en 2018 … les investisseurs doivent adapter leurs allocations pour un contexte de moindre croissance, mais pas pour une récession ! C’est pourquoi les entreprises offrant une perspective de croissance importante resteront recherchées … à condition de ne pas décevoir quant à leurs dynamiques ! L’allocation géographique sera tributaire des hypothèses retenues quant au degré de synchronisation de la croissance mondiale, et les impacts des fluctuations de devises resteront un facteur clé de performance. De ce point de vue, le Dollar devrait perdre un peu de sa force relative puisque les politiques monétaires transatlantiques seront mieux synchronisées. Il conviendra d’être très vigilant quant à l’évolution des marges bénéficiaires et à l’endettement des sociétés … ce seront des discriminants majeurs de performance boursière. L’idéal est d’investir sur des entreprises ou des secteurs plutôt oligopolistiques, ces sociétés pouvant imposer leurs prix aux clients : le “pricing power” est essentiel dans un contexte plus inflationniste qu’auparavant ! Les entreprises très endettées verront la charge de leur dette monter, alors que les entreprises ayant des excédents de trésorerie bénéficieront d’une meilleure rémunération de cette trésorerie … les situations bilancielles redeviennent un facteur clé. En termes de valorisations, même en retenant l’hypothèse d’un excès de confiance des analystes pour l’an prochain, les résultats progresseront a priori de +5% à +10% en moyenne. De plus, les bénéfices engrangés cette année par les entreprises ne sont absolument pas pris en compte, les indices reculant de près de -10% alors que les bénéfices ont pour leur part monté de +10% (marchés américains à l’équilibre alors que les bénéfices ont progressé de plus de +20% cette année en moyenne !) … les actions sont sont donc aujourd’hui nettement moins chères que fin 2017 ! Les valorisations sont aujourd’hui attrayantes, mais le momentum est en revanche moins favorable … c’est cet équilibre que les investisseurs sont en train de chercher, même si ces “tâtonnements” sont douloureux et brutaux !

Marchés financiers, du chaos au K.O. ?

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

Category: ÉclaireurÉclaireur Novembre 2018
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