Date de publication : 6 mai 2024

La peur de rater un puissant mouvement haussier (« Fear Of Missing Out » en anglais, le FOMO) ou bien, au contraire, celle d’investir à tort sur ce qui se révélerait être un point haut des marchés d’actions … tel est le dilemme actuel pour l’épargnant. Ce choix difficile est accentué par les alertes récurrentes lancées par certains stratèges, et relayées par les médias, quant à une possible valorisation excessive des marchés ou bien encore à une trop forte concentration de la performance sur un nombre limité de sociétés ou de secteurs. Qu’en est-il, et serait-il possible de contourner cette difficulté ?

« Le bonheur ne se trouve pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir ». (Confucius)

Depuis le début d’année, les records historiques s’égrènent régulièrement sur la plupart des grands indices d’actions, et cette constance est une source de préoccupation pour certains stratèges ou gérants : les phases de replis boursiers sont brèves et de faible ampleur. Plusieurs explications peuvent étayer ce comportement boursier atypique :

  • Les sceptiques quant à la poursuite de la hausse ont déjà eu l’occasion de prendre leurs bénéfices à de multiples reprises durant les derniers mois ou trimestres et, ayant tort, ils se laissent porter désormais sur le solde de leurs investissements en espérant qu’un décrochage boursier significatif permette d’investir à nouveau sur les marchés le cash mis précédemment en réserve.
  • De nouveaux plus hauts historiques étant atteints, les épargnants ont généralement une vue constructive à l’égard des marchés puisqu’étant nécessairement en situation de plus-value boursière sur leur épargne : la tentation est forte d’y investir plus de capitaux pour profiter de cette dynamique favorable. Leur confiance est, qui plus est, confortée par la très faible volatilité actuelle des actions (cf. VIX américain ou VSTOXX européen).
  • Pour ce qui est des investisseurs cherchant à miser délibérément sur l’éventuelle baisse des marchés au travers de produits financiers dédiés à ces stratégies, ces positions vendeuses leur coûtent tous les jours un peu plus cher. C’est pourquoi, faute de moyens financiers suffisants (cf. appels de marge et/ou coûts associés au fait de perpétuer des positions optionnelles en bourse), certains sont contraints de capituler et de se racheter, contribuant paradoxalement à entretenir la hausse des marchés.

Autrement dit, en l’absence d’une importante nouvelle inquiétante susceptible de modifier significativement le scénario global et la psychologie en cours, les marchés sont actuellement à la main des acheteurs, faute de vendeurs en face !

Pour les investisseurs professionnels, spécialistes de la sélection de valeurs et cherchant à battre des indices boursiers de référence, la situation est d’autant plus difficile à assumer que, depuis de nombreuses années, leurs performances sont souvent en deçà de celles de leurs benchmarks (cf. étude SPIVA). Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer ces revers répétés : 

  • Des frais de gestion élevés, réduisant d’autant les rendements nets pour les investisseurs.
  • Des erreurs dans la sélection des titres ou dans le timing du marché.
  • Un manque de flexibilité et de réactivité (cf. délais de tenue des Comités d’Investissements, et des choix de gestion consensuels pas toujours pertinents).
  • Des contraintes réglementaires de diversification limitant leur capacité à investir dans les sociétés surperformant l’indice de référence (par exemple 10% maximum de l’actif du fonds pouvant être investi sur une société).
  • Une détention insuffisante des plus forts poids de l’indice de référence lorsque ces sociétés surperforment l’indice lui-même, surtout quand le poids indiciel dépasse le seuil des 10%.

La conséquence de ces sous-performances récurrentes, très largement dues aux frais et aux contraintes techniques de gestion plutôt qu’à un manque de compétence de ces investisseurs professionnels, est une défiance croissante des épargnants à leur égard, et une montée en puissance spectaculaire des fonds se contentant de répliquer au plus près la performance des indices boursiers : les ETF (Exchange-Traded Fund). Depuis de nombreuses années, les ETF ne cessent de collecter massivement des capitaux, alors que dans le même temps les gestions traditionnelles décollectent : durant le 1er trimestre 2024, en Europe, +20 Mds € pour les ETF actions contre -12 Mds € pour les fonds d’actions (source : Quantalys). Cette situation est d’autant plus frustrante pour les gérants traditionnels que les rachats subis les contraignent soit à garder préventivement du cash en portefeuille pour y faire face, mais ce dernier ne s’apprécie évidemment pas autant que les indices boursiers, ou bien encore de devoir alléger ou vendre des actions détenues en portefeuille, générant des frais additionnels « stériles » et entretenant un flux mécaniquement vendeur sur les actions détenues par le fonds, limitant d’autant son potentiel de performance.

« Ne te crois point si important que les autres te paraissent insignifiants. » (Confucius)

L’amertume des gérants traditionnels à l’égard des ETF s’explique aussi par le caractère auto-entretenu de cette montée en puissance, et par certaines inefficiences de marchés que cela peut potentiellement dissimuler ou même engendrer : 

  • La surperformance récurrente des ETF attire logiquement à eux les capitaux disponibles, voire provoque des arbitrages financiers en défaveur des fonds traditionnels. Les flux financiers se portent logiquement majoritairement vers les indices boursiers bénéficiant d’une bonne dynamique récente (on parle d’un bon « momentum »). Mais, ce faisant, ces capitaux entrants entretiennent à leur tour la hausse de l’indice et sa surperformance. C’est pourquoi les écarts de performance entre certains indices peuvent désormais diverger beaucoup plus et bien plus longtemps que par le passé, comme on l’observe par exemple entre certaines zones géographiques ou bien entre certaines catégories d’actions (cf. petites sociétés VS grandes multinationales d’un même pays).
  • Cette situation du « gagnant rafle tout » (« the winner takes it all ») s’applique encore plus aux diverses sociétés composant l’ETF. En effet, la plupart des indices boursiers attribuent des poids variables aux sociétés, généralement en fonction de leur capitalisation boursière, en retraitant cette donnée de la part du capital de l’entreprise réellement disponible pour les marchés (on parle de « flottant » boursier). Ceci implique que les sociétés ayant les plus forts poids au sein de l’indice sont aussi celles qui verront leur capitalisation boursière progresser le plus dès lors que l’épargnant alloue des capitaux sur l’ETF : il y a indéniablement une prime à la taille ! Si une forme d’entonnoir à capitaux s’organise au profit de certaines sociétés, ces dernières auront d’autant plus de facilités à se financer ou bien même à structurer des oligopoles en rachetant par exemple des concurrents … et leur capitalisation boursière grossira alors encore plus !
  • Lorsqu’un investisseur achète une action en bourse, il mise sur le potentiel de croissance à venir spécifique de cette société, mais aussi sur une valorisation associée à ces perspectives … avec bien évidemment le risque de se tromper ! En revanche, en achetant un indice boursier, l’épargnant démultiplie les valeurs, les secteurs, et les « histoires », ce qui est l’un des principaux atouts de la diversification. Mais, ce faisant, la valorisation du panier de ces sociétés devient un exercice bien plus complexe à établir : chacune a un cycle économique propre, des qualités et des faiblesses spécifiques, des rentabilités très variées, etc… et associer une valorisation future à cet ensemble souvent très hétérogène est particulièrement difficile. La difficulté de valorisation de ce panier de sociétés est renforcée par le fait qu’il y a de fréquents réaménagements de la structure de l’indice, avec des entrées et des sorties d’entreprises, d’où une valorisation à venir d’autant plus aléatoire et une moindre pertinence des comparaisons avec les valorisations passées d’un même indice. En conséquence, l’achat de l’indice est surtout guidé par le « momentum », et bien moins par la valorisation de ses composants, ce qu’un gérant « fondamental » ne peut que déplorer !

Il convient de préciser que des circonstances EXCEPTIONNELLES depuis 4 ans ont accentué les dynamiques décrites précédemment :

  • La COVID a provoqué des ruptures majeures dans nos quotidiens, et ces mutations ont été démultipliées (à l’excès ?) en bourse. Ainsi, la technologie est devenue incontournable au travail, comme dans la plupart de nos loisirs. L’intégration d’outils de téléconférence, l’intensification de la robotisation, la montée en puissance de l’intelligence artificielle, etc… sont autant de facteurs améliorant la productivité et la rentabilité des entreprises et, bien entendu, les grandes multinationales de la technologie en ont été les premières bénéficiaires, d’où la performance spectaculaire des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Si le secteur de la technologie a été le grand gagnant de cette phase, d’autres secteurs y ont en revanche perdu, tel que par exemple l’immobilier commercial et de bureau du fait de la généralisation du télétravail.
  • La guerre en Ukraine a pour sa part fait ressortir deux secteurs que sont les matières premières et la défense, sachant que ce second thème est une fois encore très directement associé à la technologie. Dans le même temps, la montée en puissance depuis plusieurs années de l’investissement « socialement responsable » a été un frein, voire à empêché de nombreux fonds traditionnels engagés dans cette dynamique d’investir sur ces 2 thèmes que sont les matières premières et la défense, d’où là encore une nouvelle source de contre-performance par rapport aux grands indices, et la tentation pour de nombreux investisseurs de se porter sur des ETF profitant, eux, de la dynamique favorable de ces 2 secteurs.
  • La COVID a perturbé les circuits de production et de livraison de beaucoup de biens, provoquant de nombreuses pénuries, d’où une première vague de flambées de prix. La guerre en Ukraine a ensuite, à son tour, fait flamber les prix énergétiques et de diverses denrées agricoles, d’où une seconde vague d’inflation. La résultante de ces 2 événements rapprochés a été une inflation historiquement élevée, contraignant les Banques centrales à remonter très brutalement leurs taux directeurs. Les sociétés endettées ou bien dont le modèle économique nécessite d’emprunter beaucoup de capitaux (on retrouve l’immobilier par exemple) ont de ce fait vu leurs perspectives se dégrader brutalement quand, à l’inverse, les sociétés disposant d’une importante trésorerie ont vu ces capitaux être soudainement très bien rémunérés, à tel point que ces contributions financières ont pu parfois faire passer au second plan certaines déceptions opérationnelles ponctuelles ! Il se trouve que les leaders de la technologie sont aussi de formidables « machines à cash » grâce à leurs positions de monopole ou d’oligopole.
  • Enfin, depuis 2023, le thème de l’intelligence artificielle a offert un nouveau relai de performance à ces sociétés de technologies puisqu’elles peuvent y investir massivement grâce à leurs trésoreries pléthoriques, qu’elles sont parfois déjà positionnées sur le thème (cf. services de serveurs informatiques, ou bien être actionnaires de sociétés dans le domaine, tel que Microsoft dans OpenAI…), et qu’elles disposent généralement de bases de données phénoménales pouvant être richement valorisées à l’avenir. 

« Appliquez-vous à garder en toute chose le juste milieu. » (Confucius)

La concentration de performance, notamment sur la thématique de la technologie, et la faible rotation des investissements depuis 3-4 ans, ont toutes deux contribué à empêcher les gérants traditionnels de mettre en valeur leur savoir-faire en termes de sélection de valeurs. Cette concentration n’est-elle pas désormais une source de risque potentiel pour l’épargnant si les dynamiques en cours devaient s’inverser, ou bien, plus prosaïquement, ces sociétés ne sont-elles pas trop chèrement valorisées en bourse ?

En se concentrant sur le marché phare des actions, se trouvant être aussi le leader de la technologie, il est indéniable que le poids des GAFAM a considérablement progressé au sein de la cote boursière américaine depuis la COVID : ces seules 5 sociétés ont vu leur poids cumulé passer au sein du S&P500 de 17,7% fin 2019 à 24,7% aujourd’hui, soit près d’1⁄3 de plus. Les caractéristiques propres de ces sociétés justifiaient de s’y exposer tant que les investisseurs craignaient une récession ou bien parce que leur croissance était très forte, mais leur appréciation boursière n’a-t-elle pas été excessive ? En 2023, la progression de leurs bénéfices a été de +23% quand, en agrégé, les 495 autres sociétés du S&P500 ont vu le leur reculer de près de -2% : la surperformance des GAFAM se justifiait donc par les fondamentaux absolus ou relatifs réalisés l’an dernier. Pour autant, si les prévisions actuelles des marchés se réalisent, les 495 sociétés pourraient voir leurs bénéfices progresser d’environ 17% d’ici à la fin d’année quand les GAFAM ne progresseraient « que » de 10%, justifiant alors de mieux répartir son épargne sur l’ensemble des sociétés de l’indice. Par ailleurs, ne faut-il pas craindre de voir les GAFAM être très directement ciblées par des risques judiciaires (procès pour abus de monopole) aux conséquences financières importantes, les durcissements de fiscalité ne pourraient-ils pas les cibler très spécifiquement, les régulateurs ne vont-ils pas freiner leur croissance future en interdisant certaines acquisitions de concurrents par exemple, quel sort D.Trump leur réserverait-il s’il était réélu en novembre, etc… ?

Le cadre d’investissement de long terme reste porteur pour les actions : 

  • La croissance économique sera tout d’abord soutenue par des investissements massifs et récurrents que les Etats, avec l’appui des entreprises, doivent effectuer durant les prochaines années : investissements de souveraineté (défense, santé, énergie…), relocalisations stratégiques (semi-conducteurs…), transition climatique (énergies renouvelables, gestion de l’eau…), compétition numérique (intelligence artificielle…), éducation, etc…
  • La croissance sera aussi portée par le double impact favorable du vieillissement de la population sur la consommation : le pouvoir de négociation salarial des employés s’améliore puisque la main d’œuvre qualifiée devient plus rare, et les personnes âgées qui sont de plus en plus représentées dans la population ont déjà effectué les grandes dépenses de la vie et elles disposent généralement d’une épargne de précaution disponible.

La dynamique financière de court terme vient en appui de ces fondamentaux favorables : 

  • L’important recul de l’inflation va permettre aux Banques centrales de normaliser leurs politiques monétaires : les taux directeurs de la FED et de la BCE devraient baisser à partir de cet été de façon que les taux d’intérêts réels (taux d’intérêts retraités de l’inflation) restent supportables pour nos économies. Ces allègements de charges financières sont nécessaires car nos économies sont aujourd’hui très endettées, et elles ont besoin de rester endettées pour que puissent être réalisés les projets d’investissements indiqués précédemment.
  • La moindre rémunération à venir du monétaire encouragera les investisseurs à réduire cette classe d’actifs dans leurs allocations au profit probablement de l’obligataire en priorité, mais également vers les actions. Ces phénomènes de flux de capitaux ne doivent pas être sous-estimés car les sommes placées actuellement sur le monétaire dans le monde dépassent les 8800 Mds $ (source : Goldman Sachs), soit plus de 3 fois le PIB de la France !

Comment alors rester investi sur les actions, sans pour autant subir le risque des biais sectoriels (technologiques notamment) ou de valeurs décrits précédemment ? La diversification est le principe fondamental devant guider les allocations d’actifs de tout épargnant, mais vers quels secteurs ou vers quelles valeurs faut-il porter ses capitaux ? Les difficultés rencontrées par les gérants traditionnels montrent que l’on peut vite se tromper de thème ou même tout simplement de timing, et que les frais peuvent vite contrebalancer les surperformances recherchées. Les ETF permettant de répliquer la plupart des stratégies pratiquées par les gérants traditionnels (sectorielles, thématiques, styles de gestion « croissance » ou « value », tailles de capitalisations boursières spécifiques…), et cela à moindre frais, c’est probablement sur ce type de supports financiers qu’il reste préférable de porter son attention. Mais les incertitudes sont très nombreuses, compliquant d’autant les choix de l’épargnant : contexte géopolitique international tendu, élection présidentielle américaine en fin d’année, des impacts encore très incertains de l’intelligence artificielle sur la croissance et la rentabilité des entreprises de la plupart des secteurs, etc…

Dans le contexte actuel, l’emploi d’ETF équipondérés pourrait être une approche constructive afin de neutraliser les risques spécifiques associés à une poignée de sociétés, mais aussi pour atténuer certains biais sectoriels. Contrairement aux ETF traditionnels, où les poids des titres sont déterminés en fonction de leur capitalisation boursière, au sein de l’ETF équipondéré, chaque titre représente une part égale de l’indice, et cela quel que soit son cours de bourse ou sa valorisation. Cette approche équipondérée est particulièrement pertinente pour les indices boursiers très larges, car cela permet de mieux refléter les poids sectoriels réels de l’économie, ainsi qu’on peut le constater par exemple entre le S&P500 et son équivalent équipondéré. Les indices équipondérés permettent de s’exposer aux mêmes actions que des indices traditionnels, sur des indices boursiers ayant accumulé des retards de performance, mais aussi caractérisés actuellement par une bien plus faible valorisation globale et une moindre volatilité.

Conclusion : 

Les marchés financiers sont la meilleure des écoles pour appréhender très vite le concept d’humilité ! Les leaders des indices sont des champions hors norme, et ils le resteront probablement durablement tant leurs atouts sont importants. Pour autant, leur surperformance pourrait temporairement s’épuiser, laissant de l’espace au reste des sociétés des indices pour se mettre à leur tour en valeur. La baisse des taux directeurs par les Banques centrales pourrait être éventuellement le signal tant attendu pour une meilleure dispersion des performances, c’est pourquoi cette citation de Confucius nous semble devoir être bientôt appliquée aussi au sein des indices boursiers : « Pour bâtir haut, il faut creuser profond » !

Mise en balance

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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