Noël et le Nouvel An, les cadeaux et les excès, les vœux et les résolutions, les bilans et les perspectives. Immuablement, tous les ans, ces rituels signalent que le cycle va reprendre son cours. Un nouveau millésime débute, une nouvelle page blanche progressivement se remplira. Comme toujours, c’est avec la plus grande humilité qu’il conviendra d’aborder 2019, d’autant que 2018 a été particulièrement déroutante pour les investisseurs du monde entier. Ainsi, en dépit d’une dynamique économique finalement robuste et de bénéfices d’entreprises en progression, les actions, les obligations, les matières premières, et la plupart des devises ont le plus souvent affecté le patrimoine des épargnants en 2018. Sur quelles hypothèses et convictions peut-on désormais s’appuyer afin d’allouer l’épargne début 2019 ?
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Nos hypothèses et convictions :
L’évolution des politiques monétaires :
Garantes du bon fonctionnement du système financier, les banques centrales cherchent au travers de politiques monétaires orthodoxes ou non conventionnelles à aboutir au juste équilibre sur la durée entre croissance économique et inflation. Ayant dépensé énormément de moyens pour endiguer la crise des subprimes, elles ne voudront pas risquer de remettre en cause les succès des dernières années en rétablissant prématurément des conditions de financement trop restrictives. La dégradation du contexte politique et économique durant l’année 2018 a progressivement pesé sur les perspectives de croissance et d’inflation. Le pragmatisme devrait donc s’imposer aux banquiers centraux, impliquant toutefois qu’ils seront influencés plus qu’à l’habitude par l’évolution des données économiques (“data dépendance”) et que leurs décisions seront moins prévisibles pour les investisseurs, donc source de volatilité financière ponctuelle. La banque centrale américaine (FED) ayant déjà relevé significativement ses taux d’intérêts (2.5% désormais), celle-ci devrait désormais s’accorder du temps pour observer les effets de ces hausses sur l’économie avant toute nouvelle initiative, tout en réduisant encore en parallèle la taille de son Bilan. La banque centrale européenne (BCE) a déjà annoncé qu’elle ne fera rien avant la fin de l’été 2019, ce qui signifie qu’elle devrait disposer de peu d’instruments financiers pour intervenir si la conjoncture venait à se dégrader brutalement. Les banques centrales de la plupart des pays émergents devraient chercher à réduire leurs taux d’intérêts afin de soutenir leur croissance, sauf à ce que le Dollar s’apprécie à nouveau fortement. Enfin, le très violent recul du pétrole fin 2018 (-37.5% durant le seul dernier trimestre !) pèsera fortement sur les anticipations d’inflation, incitant plutôt les banques centrales à être complaisantes. Début 2019, les politiques monétaires seront perçues comme étant accommodantes à neutres, ou bien au pire très modérément restrictives, ce qui est plutôt un facteur de soutien pour beaucoup d’actifs financiers.
Les politiques budgétaires et fiscales :
En Europe, l’Italie a obtenu de Bruxelles une autorisation de dérapage budgétaire et a évité de faire l’objet d’une procédure d’infraction ; la France verra son déficit dépasser le seuil des 3% suite aux concessions accordées aux “gilets jaunes”; le Royaume-Uni se prépare à atténuer les effets du Brexit par des soutiens exceptionnels,… Même la vertueuse Allemagne devrait être plus proactive pour soutenir son économie puisque son excédent budgétaire prévisionnel ne sera “que” de +1% en 2019 contre +1.6% en 2018 ! Aux États-Unis, les soutiens majeurs déjà engagés depuis un an s’essouffleront, mais beaucoup de dépenses sont néanmoins étalées sur plusieurs années (Défense,…), d’où une croissance qui devrait rester forte : +2.6% selon le consensus. À juste titre, la croissance chinoise a été une importante source d’inquiétude en 2018, mais les autorités ont engagé de forts soutiens en fin d’année … leurs effets devraient se faire pleinement ressentir début 2019, l’intensité du tassement économique chinois restant alors “sous contrôle”. En 2019, la plupart des pays dans le monde devraient plutôt intensifier leurs soutiens budgétaires et fiscaux, atténuant d’autant le risque de ralentissement économique. Pour ce qui est de l’affectation de ces soutiens, certains pays privilégieront la consommation des ménages quand d’autres cibleront en priorité les entreprises, ce choix étant souvent déterminé par les calendriers électoraux de chacun. L’élection européenne en mai 2019 aura beaucoup d’importance quant aux politiques budgétaires plus ou moins accommodantes qui seront menées par la suite en Europe, ainsi que leur clé de répartition entre agents économiques. Bien entendu, ces décisions auront aussi des incidences significatives sur les allocations d’actifs des investisseurs, notamment sur le choix des pays ou secteurs à privilégier ou à éviter.
En matière de conflits commerciaux :
Les États-Unis et la Chine seront durablement en compétition pour le leadership mondial. La Chine a été vite et fortement affectée par les barrières tarifaires imposées par l’Administration Trump, signe que le pays est encore très dépendant de son commerce extérieur. C’est pourquoi, au-delà des divers soutiens déjà déployés pour préserver sa croissance, l’Empire du Milieu souhaite trouver un terrain d’entente commercial, sans toutefois “perdre la face”. D.Trump ambitionne pour sa part de se représenter pour un second mandat présidentiel … il lui faut démontrer avant cette échéance que sa méthode de négociations est efficace et qu’elle a permis d’améliorer la situation économique du pays. Au-delà de la trêve décidée jusqu’à la fin février 2019, une détente commerciale entre les deux plus grandes puissances nous semble être l’hypothèse qu’il convient plutôt de privilégier, sachant que leur affrontement “technologique” persistera en revanche durablement. Dans ce bras de fer de long terme, la Chine et les États-Unis chercheront certainement à s’attacher l’appui de l’Europe pour conforter leur influence, ce qui pourrait se traduire par de nouvelles tensions commerciales ponctuelles entre ces grandes zones. Le libre-échange devrait désormais laisser la place à la quête de l’échange durablement “équitable”; l’influence des institutions internationales sera amoindrie au profit de plus de bilatéralisme; le protectionnisme deviendra un instrument de pression assumé par les gouvernements et non plus un procédé inavouable.
Pour ce qui est du Brexit :
Le pragmatisme des Britanniques et des Européens l’a finalement emporté durant la phase de négociations du Brexit, l’Union Européenne faisant preuve à l’occasion d’une solidarité exemplaire. Mais la ratification par la Chambre des Communes de l’accord négocié par T.May devrait être toutefois très laborieuse, tant les membres de chaque Parti sont divisés quant aux avantages et dommages qu’un tel vote ferait courir au pays ou aux intérêts locaux, d’où le report du vote à la semaine du 14 janvier 2019. S’il semble très difficile de remettre en cause le choix initialement exprimé par le peuple lors du référendum du Brexit, les sondages montrent qu’une étroite majorité de la population serait toutefois désormais favorable au maintien de l’appartenance à l’Union Européenne (UE). Une partie de la population a donc pris conscience de l’extrême complexité et/ou de certaines incidences nocives que le Brexit implique, et les parlementaires devront intégrer cette inflexion de l’opinion publique dans leur jugement. Qui plus est, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a laissé légalement la porte ouverte à une décision unilatérale du Royaume-Uni de réintégrer la zone, l’article 50 du Traité de Lisbonne étant considéré comme révocable ! Il est impossible à ce stade de prévoir quel choix sera finalement adopté, mais les investisseurs attendent surtout qu’une décision soit enfin prise, rien n’étant pire à leurs yeux que l’incertitude elle-même. Même dans l’hypothèse d’un “hard Brexit”, des scénarios et des probabilités peuvent être alors élaborés, permettant d’envisager des allocations d’actifs étayées. Au-delà de la volatilité initiale que toute décision quant au Brexit entraînerait, la levée d’incertitude serait finalement une bonne nouvelle pour les investisseurs.
Les flux, encore les flux, toujours les flux ! :
Les fondamentaux économiques étaient solides en 2018, et pourtant la performance des diverses classes d’actifs a été désastreuse, notamment en toute fin d’année ! En 2018, les allocations des investisseurs ont été extrêmement concentrées sur quelques thématiques (actions américaines, technologiques, luxe,…), expliquant l’ampleur des divergences de performance entre établissements ayant fait ou non ces choix. Les investisseurs à l’écart de ces thématiques ont pour la plupart été contraints de s’aligner sur le consensus, sous peine d’enregistrer un retard de performance intolérable vis-à-vis de la clientèle. Tout le monde étant investi sur les mêmes thématiques, il est finalement devenu impossible de trouver un acheteur marginal lorsque, collectivement, les investisseurs ont voulu alléger leurs positions. C’est ce qui explique la violence des baisses durant le dernier trimestre, phénomène d’autant plus puissant que la liquidité est toujours moindre à l’approche des fêtes de fin d’année, et que les algorithmes financiers ajoutent de la volatilité dans ces circonstances exceptionnelles. Les investisseurs agissant à “marche forcée” afin d’être en phase avec les rachats dus à la clientèle, la question de la valorisation ne se pose même plus, puisqu’il faut OBLIGATOIREMENT reconstituer des liquidités. Des excès baissiers nous semblent donc avoir été réalisés en fin d’année puisque le contexte économique et financier devrait rester clément en 2019 et que les valorisations ont fortement décliné durant l’année. Toutes les zones, secteurs ou classes d’actifs ont finalement beaucoup souffert, les opportunités sont dès lors très nombreuses et variées, ce qui signifie que les concentrations thématiques devraient s’atténuer l’an prochain.
2) Les vues par classes d’actifs et allocations financières envisageables :
Les obligations d’États :
Jusqu’au dernier trimestre de 2018, les obligations souveraines étaient mal orientées car l’inflation et les anticipations d’inflation s’étaient reconstituées. Les investisseurs en avaient déduit que les banques centrales seraient incitées à durcir plus vite ou plus fortement leurs politiques monétaires, pénalisant d’autant la valorisation des obligations. Mais la dynamique économique s’est détériorée et les risques d’inflation se sont apaisés, provoquant des achats de précaution d’obligations d’États. Le manque de prévisibilité du contexte politique et économique justifie de conserver actuellement une exposition aux obligations souveraines, mais leurs rendements protègent peu, comme l’a démontré leur contribution modérée dans les portefeuilles diversifiés durant le dernier trimestre de l’année. Il convient aussi de ne pas sous-estimer la versatilité du sentiment des investisseurs et du risque de persistance d’inflation si la croissance économique anticipée par le consensus venait à se réaliser en 2019. Une exposition neutre nous semble adaptée au contexte en ce début d’année.
Les obligations d’entreprises :
Fin 2018, la brutale dégradation des conditions de financement des entreprises au travers des marchés financiers a été un important sujet d’inquiétude, leur capacité à investir pouvant vite s’en ressentir. Les banques centrales ne manqueront pas de se saisir de ce problème s’il venait à perdurer début 2019. Au-delà des doutes exprimés par certains investisseurs quant à la persistance de la croissance économique en 2019, c’est plus encore la question de la capacité des entreprises à réaliser des bénéfices qui interroge, leur solvabilité déterminant la capacité à rembourser les créanciers. Le violent repli des prix du pétrole fin 2018 devrait toutefois abaisser les coûts de production et de transport des entreprises, et devait restituer un peu de pouvoir d’achat aux ménages … les bénéfices et les chiffres d’affaires devraient tous deux en profiter. Dans l’attente des prochaines publications trimestrielles, les investisseurs resteront vigilants quant aux situations bilancielles des sociétés, c’est pourquoi les entreprises ayant des trésoreries nettes abondantes devraient prioritairement les séduire. Bien que leurs rendements aient fortement monté en 2018, les entreprises en situation financière plus tendue auront en revanche besoin d’une dynamique économique plus favorable pour attirer les capitaux à elles. Les obligations d’entreprises nous semblent devoir être plutôt sur-pondérées dans les allocations d’actifs, mais en restant sélectif.
Les actions :
La croissance économique mondiale ralentira en 2019, certes, mais une récession semble très peu probable puisque les États engageront des soutiens budgétaires et fiscaux et que les banques centrales seront plutôt incitées à être à nouveau accommodantes. Le pic des marges bénéficiaires des entreprises ne nous semble pas atteint, du fait notamment du fort repli du pétrole. La progression des bénéfices sera moins importante qu’en 2018, mais la dynamique devrait rester positive. En termes de valorisation, les actions sont beaucoup moins chères que fin 2017 puisque les indices ont fortement baissé alors même que les entreprises ont généré d’importants bénéfices en 2018, notamment aux États-Unis du fait des baisses de fiscalité. Les fortes réductions de valorisations inciteront certains groupes à profiter de l’occasion pour racheter à moindre coût des concurrents ou des briques technologiques qui leur seraient utiles … les fusions et acquisitions pourraient redevenir un thème de soutien pour les actions en 2019. Si les fusions et acquisitions reprenaient, les petites et moyennes valeurs en profiteraient plus particulièrement car ce sont des cibles potentielles pour les grands groupes. La correction des marchés fin 2018 semble être excessive, nous incitant à être provisoirement acheteurs des actions, mais le “momentum” offre actuellement peu de soutien significatif : il s’agit donc d’un achat “opportuniste”. La convergence de croissance économique à travers le monde et, par ricochet, celle des bénéfices d’entreprises, devrait entraîner une moindre divergence entre les performances des pays. Nous privilégions encore dans nos allocations les valeurs de technologies pour leur surcroît de croissance, des bilans souvent très solides, et des situations de monopoles ou d’oligopoles favorables aux bénéfices.
Les matières premières :
La baisse du pétrole semble principalement due à un excès de production et non pas à un tassement de la demande. L’ampleur du repli des prix du pétrole est telle que de nombreux sites dans le monde, certains schistes pétroliers aux États-Unis notamment, ne sont plus rentables. L’arrêt de ces sites de production devrait permettre au pétrole de se redresser un peu. Les prix des métaux industriels dépendront surtout de la santé industrielle de la Chine, le pays étant le plus gros consommateur au monde. Les signaux de croissance chinoise début 2019 seront donc déterminants pour les métaux industriels. Pour ce qui est des métaux précieux, l’or a retrouvé quelques acheteurs en 2018. Au-delà des investisseurs se reportant par “réflexe” vers l’or, quelques banques centrales se sont aussi portées acquéreuses d’or, notamment la Russie pour réemployer le produit de la vente des obligations américaines cédées par rétorsion aux sanctions appliquées au pays. En attendant d’éventuels signes d’une activité économique conforme aux attentes du consensus, les matières premières doivent être sous-pondérées, sauf l’or qui peut encore servir d’actif refuge ou de diversification.
Les devises et marchés émergents :
En 2018, au-delà de certaines décisions de l’Administration Trump (rapatriement de capitaux vers les États-Unis moins fiscalisés,…), l’action de la FED a largement participé à déstabiliser les parités entre devises, affaiblissant tout particulièrement celles des pays émergents. En 2019, le différentiel de politique monétaire entre les pays devrait se réduire, ce qui devrait atténuer la volatilité sur les principales devises. L’Europe sera toutefois confrontée à deux inconnues importantes durant le premier semestre : le vote du Brexit et l’élection européenne (du 23 au 26 mai). Il semble difficile d’adopter une vue très optimiste sur la Livre Sterling et sur l’Euro avant ces deux échéances majeures. La dynamique du Dollar semble en revanche s’essouffler, ce qui est un point favorable pour les allocations sur les pays émergents. Une sous-pondération sur les émergents semble toutefois toujours préférable, la liquidité boursière de ces pays étant mauvaise et la croissance économique mondiale en phase de ralentissement et non pas d’accélération. Les importants soutiens économiques apportés par la Chine fin 2018 pourraient toutefois surprendre favorablement début 2019 et permettre une sur-performance temporaire des émergents.