Date de publication : 31 août 2015

La curiosité, l’envie d’explorer, mais aussi la patience et le sens de l’écoute,… à n’en pas douter, l’investisseur possède plusieurs traits de caractère en commun avec Alice, l’héroïne de Lewis Carroll! Par ailleurs, les marchés financiers lui font souvent éprouver la sensation d’évoluer dans un univers absurde, au comportement bizarre et souvent paradoxal. Au travers de certaines rencontres emblématiques que fait Alice, essayons d’éclairer plusieurs points majeurs de notre contexte actuel, ceci afin de nous soustraire à ce «terrier» en ayant identifié une allocation financière adaptée.

Le Lapin Blanc

 «Je suis en retard! En retard! En retard!»

La FED va mettre fin à près de 10 années de politique monétaire accommodante Janet Yellen, l’actuelle présidente de la banque centrale américaine (FED), n’ose le dire à haute voix, de peur de la réaction épidermique que ses propos pourraient provoquer auprès des investisseurs, mais elle a bien conscience de ce qu’il lui faut désormais relever ses taux d’intérêts directeurs. En effet, au travers de sa politique monétaire, la FED a pour double mission de favoriser la croissance économique du pays, mais aussi de veiller à ce que l’inflation américaine ne soit ni trop faible, ni trop forte. La très rassurante statistique du chômage (5.1% en août 2015), tout comme la dynamique de la plupart des indicateurs économiques du pays, justifieraient depuis déjà plusieurs mois d’avoir durci sa politique monétaire. Cependant, une inflation quasi nulle sur un an (+0.2% en août 2015), et donc encore très éloignée de la cible de +2% que la FED s’est fixée, tout comme les signaux de fébrilité des investisseurs à chaque fois qu’elle a seulement indiqué «envisager» de relever ses taux directeurs, l’ont jusqu’alors incité à temporiser. Mais, le considérable recul du prix des matières premières, tout comme l’atonie atypique des salaires, approchent de leur terme … l’inflation américaine remontera donc graduellement d’ici l’an prochain. Par ailleurs, de manière à pouvoir agir efficacement lors du prochain retournement de cycle économique, la FED doit préalablement reconstituer des marges d’interventions sur ses taux directeurs. Afin de préserver une certaine neutralité à l’égard de la campagne présidentielle à venir (novembre 2016),  la FED s’imposera donc sûrement d’agir à partir de cet automne, par touches successives, en amont de ce rendez-vous politique majeur. De l’aveu même de Janet Yellen, la normalisation de la politique monétaire américaine sera très progressive, ceci afin d’éviter que les investisseurs n’en surestiment la portée et que cette décision ne déstabilise gravement les marchés financiers. En effet, si le fort décrochage de nombreuses devises (notamment dans les pays émergents!) traduit certainement les faiblesses temporaires ou structurelles de ces économies, ces turbulences reflètent aussi les anticipations des investisseurs quant aux manœuvres à venir de la FED. Hormis les fluctuations de devises, il est essentiel que cette décision n’affecte pas non plus trop brutalement les taux d’intérêts mondiaux, car si elle venait à entraver l’accès au crédit des agents économiques, cela pourrait mettre fin prématurément à la reprise économique en cours. Les «paroles» d’accompagnement de la FED seront donc tout aussi déterminantes quant à la psychologie à venir des marchés financiers que ne le seront ses «actes».

La Chenille Bleue

Le régime d’exceptionnelle liquidité financière va perdurer Aux antipodes de l’agitation ambiante, le flegmatique et apaisant ver à soie bleu recommande à Alice de «garder son sang-froid» et lui dévoile qu’en se nourrissant du champignon, il lui sera possible de parvenir à grandir. Depuis son accession à la présidence de la BCE, Mario Draghi n’a eu de cesse, lui aussi, d’apaiser les investisseurs et, en fin de compte, grâce notamment au «quantitative easing», de faire croître les marchés. Si il est prématuré de savoir si le «champignon» de la BCE sera finalement vénéneux ou pas, il n’en demeure pas moins qu’il a contribué à restaurer la confiance, la croissance, et qu’il est un indiscutable soutien à la performance des marchés financiers européens. En effet, l’écrasement des taux d’intérêts qu’il insuffle provoque un effet d’éviction à l’égard des classes d’actifs les moins volatiles (monétaire et obligataire souverain notamment!), et les investisseurs sont progressivement incités à remettre du risque dans leurs allocations. Par ailleurs, l’Euro s’érodant du fait de cette politique monétaire, la compétitivité des entreprises européennes s’en trouve dopée, tant sur les marchés domestiques qu’à l’international, ce qui accrédite leur potentiel d’appréciation boursier (cf. publications optimistes lors du second trimestre). Au-delà de la BCE, les principales banques centrales mènent pour la plupart des politiques monétaires accommodantes … le régime d’exceptionnelle liquidité financière qui caractérise nos économies depuis plusieurs années ne sera donc que marginalement affecté par la décision imminente de la FED. En conséquence, et en dépit de phases récurrentes de volatilité déstabilisante, il convient bien de «garder son sang-froid»!

Le Chat du Cheshire

En perte de vitesse, la croissance économique chinoise asphyxie la dynamique des pays émergents Doué pour les considérations philosophiques, l’énigmatique Chat du Cheshire ne cesse de jouer des tours à Alice en lui indiquant une direction à suivre puis, l’instant d’après, celle radicalement opposée. Aux yeux des investisseurs, les messages délivrés par les autorités chinoises sont tout aussi équivoques que ceux émis par le «chafouin». Ainsi, après avoir fait l’intense promotion des marchés d’actions auprès du peuple, le gouvernement se retrouve à devoir gérer les conséquences d’un très brutal krach boursier. En réalité, la Chine est probablement confrontée à une impasse stratégique. Ainsi, afin d’être moins dépendante du commerce international, elle a souhaité hisser sa production vers des biens et services à plus forte valeur ajoutée. A ce premier objectif louable, les autorités en ont adjoint un second qui était de parvenir à financer une plus large part de son économie au travers des marchés financiers, ceci afin de suppléer aux défaillances d’un système bancaire accablé de dettes de piètre qualité. Ce faisant, plutôt que d’entretenir une spéculation immobilière malsaine, l’épargne des ménages aurait alors alimenté des pans bien plus vastes de l’économie nationale, tout en permettant un enrichissement «capitaliste» du peuple. Mais l’économie chinoise étant gangrenée par les excès de capacités de production et par les investissements non rentables, la dé-corrélation entre l’image idyllique projetée par la bourse et la réalité ne pouvait qu’aboutir à un cataclysme financier et à l’appauvrissement brutal de ses victimes! L’Empire du Milieu voit donc lui échapper un des rouages majeurs du financement de l’économie, et ses prochaines impulsions économiques et campagnes de propagande seront bien plus laborieuses à produire leurs effets! Le tassement de la croissance économique chinoise est donc, hélas, amené à se perpétuer durant les prochaines années, et son intégration financière internationale sera plus délicate à mener. Conscients de ces tendances néfastes, les dirigeants chinois ont été contraints d’ajourner ces objectifs et, afin de gagner du temps, de procéder à la dévaluation du Yuan en août. Sauf à bénéficier de la dynamique d’autres donneurs d’ordres, les prix de nombreuses matières premières resteront en conséquence asphyxiés par une demande chinoise languissante et par de nombreux excès d’offre. A terme, tel le Chat du Cheshire qui disparaît dans les airs, le vulnérable équilibre social du pays pourrait lui aussi se dissoudre du fait de la combinaison du vieillissement de sa population (cf. conséquences de la politique de l’enfant unique) et du ralentissement de sa croissance économique.

La Reine de Cœur

L’instabilité politique européenne devrait régulièrement affecter les actifs financiers de la zone Femme imposante, la Reine de Cœur règne sur le Royaume de Cœur en disposant du droit de vie ou de mort sur tous ceux qu’elle côtoie. Bien entendu, si Angela Merkel n’ordonne pas pour sa part la décapitation de ceux qui la contrarient, sa volonté est toutefois déterminante lors des négociations internationales, et il est difficile de s’opposer aux thèses et aux valeurs qu’elle défend! François Hollande s’y est risqué à propos du dossier grec, en prenant le parti d’Alexis Tsipras. Prise à revers par l’annonce surprise de la tenue du référendum grec, puis par le «oxi» qui en est résulté, la France a été contrainte de s’aligner en urgence sur les thèses défendues par l’Allemagne et par les créanciers de la Grèce. Si Yanis Varoufakis, l’ex ministre des finances grec, était dans son rôle en préparant secrètement l’éventualité d’une sortie de la Grèce de la zone Euro, les méthodes envisagées (i.e. pirater les bases de données d’institutions grecques placées sous la tutelle des créanciers du pays) étaient intolérables aux yeux de ses partenaires. En fin de compte, et au plus complet mépris du vote exprimé par son peuple, le parlement grec a donc été contraint de ratifier un plan d’aide bien plus contraignant que celui qui lui était préalablement soumis, et Yanis Varoufakis a dû démissionner. A n’en pas douter, les vues suspicieuses de l’Allemagne à l’égard de la Grèce l’emporteront désormais systématiquement lors d’hypothétiques discussions de restructuration additionnelle de sa dette, et la légendaire fierté du peuple grec sera alors de nouveau mise à rude épreuve! Pour ce qui est de la France, déjà régulièrement accusée de vouloir fédérer un bloc solidaire de pays du sud de l’Europe, son attitude pourrait lui valoir un traitement plus intransigeant par les «censeurs» européens lors des futurs examens de son Budget. Qui plus est, la Reine de Cœur pourrait même se chercher un nouveau Roi! Ainsi, afin d’œuvrer à la préservation de l’intégrité de l’Union Européenne (cf. référendum à venir sur le «Brexit»), tout en gagnant un soutien additionnel majeur aux thèses de rigueur et d’austérité qu’elle défend, Angela Merkel resserrera certainement bientôt ses liens avec David Cameron. Il faut donc s’attendre à ce que des accidents «politiques» affectent de nouveau occasionnellement l’ensemble des actifs financiers européens.

Quelques considérations de marchés

Les retraits de liquidités que la FED mettra en œuvre prochainement ne devraient pas entrainer de volatilité exagérée des marchés financiers, tant cet évènement est attendu et annoncé depuis longtemps. Pour sa part, la BCE continuera d’afficher un discours volontaire et de mener une politique monétaire très accommodante, ceci afin d’entretenir la dynamique de reprise économique en cours. Les obligations européennes, et notamment du sud de l’Europe bénéficieront encore du soutien de la BCE et les obligations américaines seront, pour leur part, sensibles aux discours de la FED. En dépit de soubresauts politiques ponctuels, les entreprises européennes devraient donc encore bénéficier de nombreuses impulsions favorables: des taux d’intérêts bas, des coûts de matières premières modérés, et une devise compétitive. La dynamique des pays émergents restera en revanche en retrait par rapport aux prouesses des dernières décennies, ceci du fait de nombreuses difficultés spécifiques auxquelles sont confrontés leurs principaux représentants, notamment la Chine (cf. dévaluation du Yuan). Il conviendra d’être vigilant quant à la volatilité possible des devises et ce, plus particulièrement dans les pays émergents. Les actions européennes doivent être de ce fait encore privilégiées au dépend des émergents. Si les fusions, les acquisitions et autres opérations sur le capital des sociétés (scissions, introductions en bourse,…) devraient encore régulièrement animer la cote, les niveaux de valorisation atteints par certaines sociétés exigent de leurs dirigeants une excellente exécution de leurs projets, sous peine de voir désormais les investisseurs sanctionner ces titres en bourse. Les prix de la plupart des matières premières avoisinant désormais ceux du bas de cycle de 2008-2009, le risque d’un repli additionnel substantiel s’atténue, militant pour quelques achats tactiques ponctuels.

 

Alice au pays des merveilles de la finance

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

Category: Économie et marchés