Le déclin de la productivité des entreprises américaines (-0.5% au 2nd trimestre 2016) inquiète bon nombre d’observateurs et les amène à conclure qu’il faut de ce fait se méfier des marchés d’actions de la zone. Mais c’est bien vite confondre deux notions distinctes: la productivité et la rentabilité.
Une moindre productivité n’est pas nécessairement synonyme de moindre rentabilité.
Si le terme de productivité est employé pour mesurer la performance économique d’une firme au niveau de son exploitation, le terme de rentabilité fait en revanche référence à l’appréciation financière des résultats de l’entreprise. La productivité est le rapport entre la production et le coût des facteurs (travail, capital) nécessaires à cette production. La productivité peut donc se dégrader par une moindre production (numérateur) ou bien encore par une hausse du coût des facteurs (dénominateur). Actuellement, la dégradation de la productivité américaine s’explique principalement par une hausse des salaires américains (+2.6% sur un an en juillet). Mais la productivité ne mesure en revanche pas l’évolution dans le temps des recettes issues de ces productions. Dès lors que les prix de ventes progressent, la productivité peut se dégrader sans pour autant que la rentabilité n’en soit nécessairement affectée. Il convient alors d’analyser au cas par cas chaque secteur d’activité, voire chaque entreprise, afin d’identifier les entreprises qui bénéficient de progressions suffisantes de leurs prix de ventes pour absorber cette hausse des coûts salariaux. Ce «pricing power» est d’autant plus important que l’entreprise dispose de situations de monopole ou d’oligopole, ce qui est le cas de bon nombre de sociétés cotées en bourse aux Etats-Unis … la moindre productivité du pays n’est donc pas nécessairement synonyme de moindre rentabilité des entreprises cotées aux Etats-Unis.
Mesurer la productivité est de moins en moins pertinent pour juger de l’économie américaine.
Il est particulièrement difficile de mesurer la productivité dans les secteurs de services, notamment lorsqu’il s’agit d’intégrer le rôle des technologies de l’information et de la communication (internet,…). De même, la productivité d’un professeur ou celle d’un médecin ne peuvent être approchées par des mesures habituellement employées pour l’industrie ou l’agriculture car la qualité du service rendu n’est pas nécessairement homogène dans le temps. Les statisticiens ont de ce fait recours à des conventions arbitraires afin de mesurer la productivité de ces services. Parce que les services contribuent à près de 80% du PIB américain, les marges d’erreurs sont dès lors particulièrement importantes. Se focaliser sur la productivité pour juger de la santé économique des Etats-Unis signifie que l’on s’expose à des biais méthodologiques très forts altérant la fiabilité des statistiques publiées.
Bonne nouvelle pour les entreprises, les salaires remontent!
A court terme, la rentabilité des entreprises est en réalité bien évidemment pénalisée par toute remontée des salaires puisque cela détériore la structure de coûts de production. Mais, depuis la crise des «subprimes», les entreprises ont optimisé de façon drastique leurs coûts, notamment au travers d’une gestion étroite de la masse salariale. Les hausses de salaires actuelles ne traduisent donc qu’un effet de rattrapage après de nombreuses années d’ascétisme des employés. De plus, les politiques monétaires accommodantes des banques centrales ont permis aux entreprises de réaliser des économies majeures sur leurs frais financiers, gains dont seuls les actionnaires et créanciers avaient tiré profit. Aujourd’hui, la problématique pour les entreprises est de trouver des débouchés plutôt que la production elle-même ou ses coûts. Parce que la consommation représente près des 2/3 du PIB américain, tout rehaussement des salaires se traduit alors par une amélioration directe des chiffres d’affaires des entreprises américaines ou bien, lorsqu’une part des salaires est épargnée à des fins de consommation ultérieure, à une amélioration des perspectives de plus long terme des entreprises américaines produisant pour le marché domestique. La dégradation de la productivité américaine est le reflet d’un rééquilibrage partiel de la répartition des richesses en faveur des salariés mais redonne des perspectives d’activité aux entreprises, ce qui est positif pour les marchés d’actions américains.