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Une page majeure se tourne ! La banque centrale américaine (FED) a officiellement mis un terme à sa politique monétaire hétérodoxe (i.e. le « quantitative easing »), cette stratégie de stimulus financier qui a largement contribué à dissiper la crise économique et financière des dernières années. Mais la contrepartie de ces soutiens exceptionnels a été de devoir porter son Bilan à 4500Mds$, contre seulement 830Mds$ avant la crise, soit plus qu’un quintuplement ! Bien qu’évoquée très en amont, cette volonté de retour à la normale de son Bilan est-elle susceptible d’affecter significativement les marchés financiers et les allocations d’actifs ?
Après l’assouplissement quantitatif, le resserrement quantitatif…
« First in, first out ! ». Après avoir été la première banque centrale à engager des achats massifs d’obligations après la crise de 2008, la FED est donc aussi la première à mettre fin (temporairement ?) à cette politique monétaire. Désormais, seule une fraction décroissante des obligations détenues dans son Bilan seront renouvelées lorsque celles-ci arriveront à échéance. Elle entend ainsi réduire de 6Mds$ ses achats mensuels d’obligations émises par le Trésor américain, et de 4Mds$ les obligations adossées aux prêts hypothécaires (i.e. des Mortgage Backed Securities). Ce sont donc 10Mds$ que la FED entend tout d’abord soustraire de son Bilan à partir du mois d’octobre 2017. Très graduellement, ces montants seront portés à 50Mds$ (30Mds$ d’obligations d’Etat et 20Mds$ d’obligations adossées à de l’immobilier), ce qui deviendra alors un rythme mensuel normatif. Afin d’éviter d’engendrer de la volatilité sur les marchés financiers, la FED s’est employée à multiplier les précautions oratoires préalables. Ainsi, hormis la date de démarrage, le détail des modalités de ce « régime » avait été signifié aux investisseurs internationaux dès le mois de juin 2017. À dessein, la FED avait même précisé que cette compression très graduelle de son Bilan serait déconnectée des aléas statistiques de l’économie, ceci afin d’accroître la prévisibilité de son action.
La fin du « free lunch » ?
Mais en retirant ainsi des liquidités, la FED ne sonne-t-elle pas la fin progressive de l’accès au crédit peu cher, qui justifiait de s’exposer sereinement à la plupart des actifs risqués en bourse, et notamment aux actions ? La séquence de non-réinvestissements sur les obligations sera de -30Mds$ fin 2017, -300Mds$ en 2018, puis -600Mds$ par an au-delà. Le taux d’emprise de la FED sur les obligations souveraines américaines avoisinant actuellement les 17% du marché (source : Citi Research), cela signifie que, bien que conséquent, ce retrait graduel ne devrait pas déstabiliser outre mesure cette classe d’actifs puisque seule une fraction de ce volume est concernée par cette « cure d’amaigrissement ». Les capitaux que la FED n’investira plus sur les obligations du pays devront en revanche être contrebalancés par ceux d’autres investisseurs américains ou internationaux. Ces fonds pourront provenir de marchés obligataires étrangers, mais pourront aussi bien être ponctionnés sur d’autres classes d’actifs. Toutefois, hormis les devises, la profondeur et la liquidité du marché obligataire est bien plus importante que celle des autres classes d’actifs financiers. Si les premiers retraits de la FED devaient être peu perceptibles et dilués, leurs effets cumulés dans le temps pourraient en revanche s’avérer être plus déstabilisants pour certains actifs financiers peu liquides.
Une banque centrale peut en cacher une autre…
Avant d’annoncer le détail du resserrement quantitatif envisagé, les équipes de la FED ont procédé à diverses simulations et « stress tests » afin de mesurer les impacts potentiels de cette décision. Leur conclusion est donc que cette mise à la diète est soutenable pour les marchés financiers internationaux. Mais la FED n’est pas la seule banque centrale à avoir engagé un « quantitative easing ». L’actuelle reprise économique en zone Euro a relancé le débat entre les gouverneurs de la BCE (Banque Centrale Européenne) quant au bien-fondé de prolonger les 60Mds€ d’achats mensuels d’obligations. Il est ainsi fort probable que la BCE mette fin à son assouplissement quantitatif d’ici la fin de 2018, mais sans pour autant souhaiter réduire immédiatement son Bilan.
Bilan de la FED et de la BCE rapportés aux PIB respectifs des 2 zones (en %)
Sources : Bloomberg, WeSave
En effet, la FED a par exemple stabilisé durant 3 ans son Bilan avant de finalement décider de le comprimer graduellement. La BCE devra être d’autant plus prudente que le poids de son Bilan rapporté au PIB est déjà de 43% contre « seulement » 24% pour celui de la FED ! C’est cette incertitude quant à la masse de capitaux cumulés qui viendraient à manquer qui pourrait être la source de sursauts de volatilités pour les marchés financiers. Mais les flux ne sont pas tous sortants ! La Banque du Japon a confirmé vouloir encore durablement injecter des capitaux, son objectif d’inflation restant toujours hors de portée. De plus, le repli de l’inflation dans la plupart des pays émergents permet actuellement à leurs banques centrales de baisser significativement leurs taux directeurs, stratégie facilitée cette année par le repli du Dollar. C’est pourquoi il est particulièrement difficile d’anticiper, en net, ce que seront les flux engendrés par les diverses banques centrales durant les prochains mois ou années. Mais en fin de compte, les agents économiques (Etats, entreprises et particuliers) sont très fortement endettés, ce qui limite la capacité des banques centrales à réduire drastiquement la taille de leurs Bilans et à remonter leurs taux directeurs… le crédit doit rester durablement peu cher ! La décision de la FED n’en reste pas moins une rupture très importante qui nécessitera pour les gérants d’aller désormais au-delà d’une traditionnelle analyse de contexte et de valorisations, mais qui imposera d’être particulièrement vigilant quant aux flux financiers et à leurs possibles effets de dominos sur les autres classes d’actifs.
Quelques considérations de marchés :
Alors que les rendements obligataires sont déjà très faibles, le retrait graduel de capitaux de la FED devrait inciter à un peu plus de prudence quant à l’exposition sur cette classe d’actifs. Si le Dollar devait être un peu plus soutenu par le caractère moins accommodant de la FED, les supports financiers qui lui sont le plus corrélés devront faire l’objet d’une vigilance accrue : matières premières (l’or notamment) et les émergents pourraient s’essouffler. Parce que le message de la FED reste en fin de compte un message de confiance dans les perspectives économiques, les actions pourraient demeurer une classe d’actifs captive malgré une valorisation élevée. Les investisseurs devront en revanche probablement s’attendre à de plus fréquents pics de volatilités, même si ceux-ci devaient finalement rester éphémères.