Consommer aujourd’hui ou bien épargner afin de pouvoir dépenser demain ? Chacun répondra à cette question en fonction de son tempérament, mais en réalité bien plus encore selon son âge. Toutefois, ces décisions binaires ont une incidence majeure sur la croissance économique actuelle ou future, et donc sur la valeur dans le temps des actifs. C’est pourquoi les considérables transformations démographiques en cours, notamment au sein des pays développés, imposent de réexaminer les stratégies d’allocations d’actifs engagées jusqu’alors.
Le cycle de vie de l’épargnant
Afin de mieux percevoir ces enjeux, il convient de segmenter sommairement les comportements des individus au travers de trois tranches d’âge principales : jeunesse, maturité, retraite.
Durant la phase de «jeunesse», c’est-à-dire le début d’activité professionnelle, l’acquisition d’un bien immobilier ou la création d’entreprise sont les deux projets prioritaires. Parce que les différentes sortes de ressources sont alors modestes, le recours à l’endettement est indispensable et la capacité d’épargne est faible. Cette génération est donc constituée d’investisseurs se focalisant sur des biens tangibles et privilégiant la consommation immédiate aux dépens du futur, ce dernier étant amputé par le remboursement des dettes contractées. Ces primo-accédants influencent donc significativement les prix des biens immobiliers et ils dopent la croissance économique courante. Hélas, du fait du recul du taux de fécondité dans la plupart des pays développés, cette tranche d’âge s’érode graduellement.
Lors de la phase de «maturité», les revenus salariaux sont bien plus élevés, une fraction de l’entreprise constituée est parfois cédée, et le reliquat d’endettement est modéré. Dès lors, les remboursements pèsent bien moins sur la consommation courante qui, tout comme la capacité d’épargne, sont alors fortes. Alors même qu’elle cherche à se constituer un capital pour sa retraite ou en vue d’une transmission patrimoniale future, l’aversion pour le risque de cette génération n’est généralement pas absente. Sous cette réserve, une épargne diversifiée est alors privilégiée, les valorisations des actions et de certains placements peu liquides bénéficiant plus particulièrement des efforts financiers de cette tranche d’âge. Ainsi, les «matures» sont le pivot essentiel au bon financement de l’économie, tant pour le secteur privé que pour couvrir les déficits publics. A l’approche de la retraite, les investissements à revenus fixes ou récurrents (obligations, immobilier,…) l’emportent graduellement sur les actifs les plus versatiles détenus en portefeuille, ces arbitrages pénalisant peu à peu les prix des actions au profit des obligations.
Le patrimoine financier constitue le complément d’existence essentiel des retraités, il faut donc impérativement avoir préalablement épargné. Mais, du fait de l’envol du poids à venir de la population à la «retraite», ce sont surtout les habitudes de consommation et d’épargne de cette dernière génération qui seront les plus transformants pour l’avenir. En effet, selon la Banque Mondiale, 1 français sur 3 aura plus de 60 ans en 2050 et son espérance de vie moyenne sera de 83 ans, voire même au-delà si d’importantes innovations médicales venaient à s’imposer d’ici là. Pour cette génération, les revenus sociaux (allocations retraites) se substituent aux revenus salariaux, et l’endettement n’est plus alors que marginal, voire nul. Il est alors temps pour les entrepreneurs de transmettre leur société à leurs descendants ou bien, à défaut, de la céder. Parce que les montants des pensions de retraite sont d’ordinaire insuffisants et afin de préserver son train de vie antérieur et son autonomie financière, l’épargne accumulée précédemment constitue alors LE complément d’existence essentiel. Hormis des projets de transmission intergénérationnels, l’épargne est donc rendue liquide et l’aversion au risque est extrême. La part des actions est ramenée à la portion congrue et les obligations les plus sécurisées et liquides sont alors privilégiées, avant d’être cédées à leur tour au profit du cash. A ce stade ultime, le capital précédemment épargné est progressivement amputé afin de couvrir les dépenses courantes.
Les stratégies financières face à l’évolution de la démographie : l’arbitre Âge ?
Bien que cette analyse soit réductrice (cf. flux migratoires ignorés,…), et sous réserve d’une fiscalité bienveillante, il est incontestable que la structure d’âge de la population affecte significativement la valorisation des divers actifs financiers. Essayons alors de tirer quelques enseignements plausibles de l’importante transformation à venir de la pyramide des âges afin d’élaborer une allocation stratégique cohérente avec ces phénomènes démographiques futurs.
Afin de permettre à la génération «mature» de se constituer un capital et aux «retraités» de sécuriser leurs compléments de ressources, la formule du viager pourrait s’étendre. Le premier d’entre eux, l’immobilier, est un actif à part car il peut être à la fois un support d’épargne financière et un investissement ayant une valeur d’usage. En première approche, la moindre dynamique démographique de la «jeunesse» pourrait tout d’abord peser marginalement sur les prix. Toutefois, la diversité et la volatilité des situations familiales de la génération «mature», tout comme son besoin de revenus fixes dans le cadre de son épargne devraient à l’inverse soutenir les prix de l’immobilier. Enfin, la longévité accrue des «retraités» devrait limiter la mise à disposition de logements, d’où un déséquilibre chronique entre offre et demande de biens immobiliers, ce qui milite en fin de compte pour des prix immobiliers plutôt fermes. Afin de permettre à la génération «mature» de se constituer un capital et aux «retraités» de sécuriser leurs compléments de ressources, la formule du viager pourrait s’étendre, d’autant que la capacité d’emprunt des «matures» est importante et que les taux d’intérêts sont historiquement bas. Le principal risque pesant sur les prix futurs de l’immobilier est leur vulnérabilité en cas de hausse significative ou brutale des taux d’intérêts.
Les obligations souveraines resteront un actif recherché pour la qualité de leur signature (faible risque de défaut), mais en revanche plus pour leur rendement tant que les Etats émettront des obligations avec des taux d’intérêts négatifs. En effet, les politiques monétaires hors norme des banques centrales ont engendré la situation paradoxale où celui qui prête à un Etat n’est souvent plus intégralement remboursé des sommes qu’il leur confie. Tant que cette situation perdurera, les obligations souveraines n’intéresseront alors que très modérément les divers épargnants, quelle que soit la génération concernée. Parce qu’il est indispensable que les déficits des Etats soient financés dans la durée, il est alors probable que les contraintes réglementaires qui obligent les banques à détenir dans leurs bilans des dettes souveraines soient durablement préservées. C’est aussi la raison pour laquelle les banques centrales pourront difficilement interrompre leurs «quantitative easings» qui, sans être irréversibles, subiront eux aussi les effets des contraintes démographiques. C’est pourquoi les banques centrales insistent tant pour que les Etats mettent en œuvre les réformes structurelles permettant tout d’abord de rééquilibrer leurs budgets, puis de résorber graduellement les besoins de financement. Mais se pose aujourd’hui le dilemme pour les Etats du choix entre l’austérité de court terme ou bien l’emprunt afin de réaliser des investissements dopant la croissance future et donc les rentrées fiscales.
Le tassement des rendements souverains devrait principalement profiter aux obligations d’entreprises. Les obligations d’entreprises devraient être les gagnantes de cette conjonction de mesures exceptionnelles prises par les banques centrales et des transformations démographiques à venir. En effet, les épargnants recherchant des revenus fixes rémunérateurs, les obligations d’entreprises seront un support d’investissement alors particulièrement recherché. Les investisseurs devraient se porter en priorité sur les obligations les mieux notées (i.e. «Investment Grade»), c’est pourquoi les entreprises les plus solides devraient donc disposer de moyens de financements aisés pour mettre en œuvre leurs politiques d’investissements ou d’acquisitions de concurrents. Bien que le risque de défaut soit supérieur, les obligations d’entreprises moins bien notées (i.e. «High Yield») tireront aussi parti de la recherche de rendement des épargnants. Il conviendra toutefois alors d’accorder une vigilance accrue aux risques de défauts, de bien diversifier les obligations d’entreprises intégrées au sein des portefeuilles, et d’anticiper convenablement les retournements de cycles économiques qui fragilisent ce type d’émetteurs. Afin de limiter les risques de déconvenues pour leurs porteurs, les autorités de tutelle porteront probablement une attention plus forte qu’aujourd’hui quant à l’encadrement de cette classe d’actifs.
L’inadéquation entre le capital constitué et l’espérance de vie contraignent à épargner plus longtemps, et notamment sur les classes d’actifs versatiles. En première analyse, les actions devraient être les grandes perdantes de ces flux démographiques futurs. Mais l’allongement de l’espérance de vie contraint les retraités à constituer un capital de plus en plus significatif et dont l’échéance est prolongée, ceci afin de pouvoir compléter des pensions de retraites insuffisantes et préserver leur train de vie. Alors qu’il y avait auparavant adéquation entre le capital constitué par le «retraité» et son espérance de vie, il lui faut aujourd’hui épargner plus longtemps et notamment sur les classes d’actifs plus volatiles afin de satisfaire à ces nouvelles exigences financières. Les entreprises ne pouvant constamment émettre des dettes puisque ceci finit par peser sur leur notation, elles doivent également accroître le capital coté en bourse. La liquidité des actions devrait donc s’améliorer, ce qui sera bien entendu favorable aux investisseurs se portant sur cette classe d’actifs. Cet appétit prolongé pour les actions devrait aussi inciter une plus grande variété d’entreprises à se faire coter, ce qui améliorera la dispersion des risques pour les épargnants investissant sur les actions. Si la forte volatilité des marchés financiers provoque de fréquentes réticences à se porter sur les actions, c’est toutefois cette classe d’actifs qui, sur la durée, contribuera très fortement à l’appréciation du capital épargné.
Pour ce qui est des actifs alternatifs, ils seront recherchés pour leur capacité à améliorer la rentabilité globale et afin d’assurer une meilleure diversification des portefeuilles. Puisque les actions et les obligations d’entreprises constitueront des supports d’investissement importants au sein des portefeuilles, il conviendra de rechercher des actifs alternatifs les plus décorrélés des aléas des cycles économiques, de manière à lisser les performances dans le temps. C’est pourquoi, une vigilance accrue devra être portée quant à leur liquidité, à la transparence parfois discutable des méthodes ou des rythmes de valorisations, aux éventuels effets de leviers,…
Conclusion
Les transformations démographiques majeures à venir affecteront fortement les prix des actifs via deux leviers principaux: la demande et l’offre d’actifs sera fonction des nouvelles dynamiques d’épargne des ménages, et par ailleurs la tolérance à l’égard des actifs risqués devrait être plus forte qu’auparavant. Mais réaménager aussi radicalement son patrimoine financier sera complexe à mettre en œuvre car cela implique de diversifier fortement son épargne afin de pouvoir bénéficier de sources de performances alternatives et traditionnellement difficiles d’accès. De plus, il conviendra d’accorder une attention toute particulière aux structures de frais, afin d’éviter toute déperdition superflue de performance. Mais c’est avant tout l’analyse rigoureuse des risques attachés à ces diverses classes d’actifs qui devra faire l’objet de toutes les attentions, de manière à les anticiper au mieux, plutôt que d’en être les victimes.