Date de publication : 4 juillet 2018

“Au théâtre, tout est dans l’acte !”. Afin d’être crédible sur la durée, le gouvernement de coalition présidant dorénavant à la destinée du peuple italien devra s’approprier cet aphorisme. Le temps des “boniments” électoraux est révolu, et il convient désormais d’être à la hauteur du mandat accordé ! Mais comment réconcilier un programme électoral “populiste” avec les contraintes européennes et les pressions des investisseurs internationaux ? En sur-jouant leurs rôles respectifs par excès de zèle, les différents acteurs de cette confrontation ne risquent-t-ils pas de provoquer une crise majeure, voire fatale à la zone ? Quelles dispositions faut-il éventuellement prendre dans une allocation d’actifs diversifiés ?

Tragédie grecque et/ou Commedia dell’arte

Alors que la Grèce amorce graduellement une sortie de crise financière et que ses principaux marqueurs économiques se redressent enfin, l’Italie pourrait être confrontée à son tour à d’importantes difficultés de financement. Le coût auquel l’État italien emprunte sur les marchés financiers s’est en effet envolé alors que le nouveau gouvernement de coalition s’apprêtait à prendre ses fonctions.



Cette situation est particulièrement inquiétante car, pour reprendre l’expression anglo-saxonne, l’Italie est “Too Big to Fail” … autrement dit, l’enjeu est potentiellement systémique pour l’Union Européenne (U.E.) ! Pays fondateur de l’U.E., l’Italie a un poids bien plus important que la Grèce. La population grecque ne représente que 2.1% de l’U.E. alors que l’Italie pèse 11.9% de l’ensemble. Le PIB italien (1 717 Mds €, soit 11.2% du total) est près de 10 fois supérieur à celui de la Grèce … les enjeux en matière d’investissement, de consommation ou d’échanges commerciaux avec les autres pays de l’U.E. sont donc considérables ! De plus, le retrait du Royaume-Uni de l’U.E. ne fera qu’accentuer le poids des membres restants, l’Italie accédant même alors au podium de la zone aux côtés de l’Allemagne et de la France.

Tableau macro-économie Italie

Aujourd’hui, l’U.E. consacre beaucoup d’énergie et de moyens à atténuer les méfaits potentiels du Brexit, alors même que le contexte international est de plus en plus pressant et oppressant : montée du protectionnisme, risque de marginalisation technologique, terrorisme, immigration subie,… L’U.E. doit impérativement trouver un nouveau souffle afin de remobiliser ses membres et proposer enfin une perspective motivante à une population qui, élection après élection, confirme son rejet croissant des technocrates et des politiciens, notamment au travers des votes “populistes”. Dans ce contexte, il est essentiel que les pays de l’U.E. œuvrent de concert et parlent d’une même voix ! Mais l’improbable coalition entre la Ligue (Droite radicale du nord de l’Italie) et le Mouvement 5 Étoiles (Gauche radicale du reste de l’Italie) est parvenue à s’entendre sur un programme d’union. La Ligue entend avant tout mettre en place une importante baisse de fiscalité, quand le Mouvement 5 Étoiles souhaite notamment instaurer un “revenu de citoyenneté” d’au moins 780 €. La concomitance de baisses d’impôts massives et de subventions sociales pérennes dégradera nécessairement brutalement et durablement le Budget du pays, alors même que celui-ci est déjà déficitaire. Ce mix d’allègements fiscaux et de relance budgétaire, qui fait au demeurant étrangement écho au programme de l’Administration Trump aux États-Unis, s’oppose frontalement aux règles d’orthodoxie budgétaire de l’U.E. ! Monologues, tirades, quiproquos, ruptures, intrigues, rebondissements,… l’U.E. sera bientôt le théâtre de nombreuses joutes, et il est impossible de savoir par avance si le spectacle donné sera une comédie ou bien une tragédie.

Chaos ou catharsis ?

Le premier acte a déjà commencé, et les investisseurs internationaux en sont les protagonistes. Leur constat est simple : la dette publique italienne (2 263 Mds €) est la plus importante de l’U.E., le ratio dette/PIB du pays (132%) est le 2nd derrière la Grèce, et l’Italie ayant l’une des plus faibles croissance économique de la zone (+1.3% annualisé au 1er trimestre 2018), sa capacité à rembourser ses créanciers est donc contrainte. Dès lors, la perspective d’un programme économique rationnant les rentrées fiscales et susceptible d’ajouter 100 à 150 Mds € de déficit additionnel a incité de nombreux investisseurs à délaisser la dette italienne au profit de signatures plus sécurisantes, notamment celle de l’Allemagne. De plus, à l’instar des obligations, les actions italiennes ont fait l’objet d’une brutale défection, le MIB cédant jusqu’à -13% par rapport à son plus haut annuel du 7 mai, le secteur bancaire national perdant même -22% dans le même temps. La pression financière imposée à la nouvelle équipe dirigeante italienne est donc très forte.



Plus inquiétant, les dettes et les actions de plusieurs pays “vulnérables” de la zone Euro ont, elle aussi, fait l’objet d’allègements prononcés. Faut-il y voir un simple principe de précaution de la part des investisseurs ou bien est-ce la manifestation d’une inquiétude plus structurelle quant à la survie à terme de la zone ? Tout comme le peuple grec interrogé sur le sujet avant lui, les sondages montrent qu’en dépit des nombreux reproches faits à l’U.E., les Italiens restent majoritairement attachés à l’Euro … posture que le nouveau gouvernement italien a officiellement reprise à son compte ! À ce stade, la résistance de l’Euro face au panier des principales devises internationales est plutôt rassurante, mais elle devra être étroitement surveillée à l’avenir !



Comme toujours en Bourse, après une première réaction “épidermique”, les investisseurs prennent ensuite le temps de la réflexion, ce qui a généralement pour effet d’atténuer le choc boursier initial. L’Italie dispose d’atouts économiques qu’il ne faut pas sous-estimer ! Son tissu industriel est diversifié et performant, bien que moins compétitif que lorsque le pays disposait de très bas salaires et de la possibilité de procéder à des dévaluations compétitives grâce à la Lire italienne. Cette performance industrielle se concrétise par une balance commerciale et une balance courante toutes deux excédentaires. Autrement dit, l’Italie exporte plus aujourd’hui qu’elle n’importe, et elle prête plus aux autres pays qu’elle n’emprunte. L’Italie dégage donc un excédent d’épargne et elle est “modérément” dépendante des financements externes puisque 68% de sa dette est détenue par des créanciers nationaux, 27% par des partenaires européens, et que seulement 5% des investisseurs sont extérieurs à la zone Euro ! Par ailleurs, au prix d’importants sacrifices budgétaires, l’Italie respecte à ce jour la contrainte européenne de déficit public en % du PIB (2.3% en 2017 contre 2.5% en 2016) … cette austérité ayant d’ailleurs eu pour effet d’attiser les votes contestataires !



Le nouveau gouvernement italien fait valoir que le problème du pays n’est pas tant l’ampleur de sa dette, mais plutôt une croissance économique nationale insuffisante en raison de contraintes budgétaires européennes excessives. La réduction de la fiscalité et la relance budgétaire envisagées visent à doper la croissance nationale, dans l’espoir que le surplus de croissance ainsi obtenu génère de nouvelles rentrées fiscales permettant de rembourser à leur tour les injections budgétaires initiales. Tout comme aux États-Unis, il s’agit donc d’un programme de relance économique où sont conjointement stimulées l’offre et la demande nationale. Pour mettre en œuvre ce programme économique anticonformiste, l’Italie doit donc négocier plus de flexibilité budgétaire auprès de l’U.E. … le pacte de stabilité et de croissance européen pourrait donc être remis en cause !



Le gouvernement de G.Conte souhaite tourner le dos à l’austérité, mais pas à l’U.E. ! L’Italie se sachant potentiellement “systémique” et le contexte international étant de plus en plus confus, le nouveau gouvernement italien exercera probablement une forme de chantage à l’ “Italexit” sur ses partenaires européens. Parce que l’hypothèse d’une rupture avec l’Italie serait dévastatrice, divers artifices comptables ou financements européens préférentiels pourraient éventuellement être accordés à l’Italie, permettant à l’U.E. de gagner du temps afin de trouver un modus vivendi de long terme. Mais l’actuel gouvernement italien pourrait tout aussi bien n’être qu’éphémère, l’instabilité politique étant une caractéristique récurrente du pays (65 remaniements ministériels en 70 ans !) … l’U.E. pourrait alors faire quelques concessions de façade en espérant qu’un nouveau centre de gravité politique plus “U.E. compatible” s’impose à nouveau en Italie. Quelle que soit l’issue finale des échanges à venir, l’Italie sera indéniablement la porte-parole de revendications démocratiques et légitimes, allant bien au-delà de ses propres frontières, et cette prise de parole décalée et libérée aura d’autant plus d’importance que l’U.E. doit impérativement se réformer et se relancer. Le bien-fondé de l’actuel modèle économique et social européen s’appuyant sur l’orthodoxie budgétaire incessante et sur la quête permanente de l’excédent commercial, tel que prôné par l’Allemagne, sera âprement débattu et des modèles de société alternatives lui seront opposés. Les cyniques manœuvres politiques et commerciales de D.Trump sont en effet un révélateur de la dépendance externe de l’U.E., et elles pourraient paradoxalement favoriser une nouvelle synthèse de long terme pour l’U.E., où ses forces “domestiques” seraient prépondérantes. Les prochains face-à-face entre membres de l’U.E. conduiront assurément à des crispations, à des rancœurs,… mais, telle la catharsis au théâtre, certaines passions seront peut-être alors “purgées” pour laisser place à un épilogue constructif pour tous.

Quelques considérations boursières :

L’aversion au risque des investisseurs devrait les inciter à temporairement sous-pondérer ou bien à être neutres sur les actions européennes dans leurs allocations d’actifs. Les pays du sud de l’Europe (“périphériques”) et le secteur bancaire seront probablement les plus exposés à la volatilité. Toutefois, en confirmant qu’elle maintiendra une politique monétaire durablement accommodante, la Banque Centrale Européenne (BCE) a accordé du temps supplémentaire à l’U.E. pour se réorganiser, ce qui devrait offrir une certaine protection face aux éventuels risques baissiers. Les pays émergents étant pour leur part actuellement pénalisés par la remontée du Dollar et par la hausse des taux américains, l’allocation géographique américaine devrait s’imposer logiquement, au bémol près de sa surperformance déjà acquise et des différentiels de valorisation relatifs entre les zones. La recherche de “protection” redonne de l’attrait aux obligations souveraines dans les allocations d’actifs. Les investisseurs se portent naturellement en priorité sur les signatures réputées les plus sûres, mais cela pénalise d’autant les rendements finalement obtenus … c’est donc une allocation de “confort” ! Les obligations des pays “périphériques” sont désormais plus spéculatives mais leurs rendements sont en revanche bien plus attrayants qu’auparavant … tout est alors question du degré d’appétence au risque de l’investisseur ! La communication de la BCE a été habile lors des évènements récents car, sans céder à la panique, elle a toutefois prolongé implicitement son “bouclier protecteur”, mais cela compliquera d’autant la normalisation de sa politique monétaire avant le prochain pic d’activité dans la zone. Le cycle économique n’étant pas remis en cause à ce stade, les obligations d’entreprises semblent offrir un attrait persistant. Les investisseurs internationaux qui s’attendaient en début d’année à la poursuite de l’appréciation de l’Euro ont été contraints de réviser leurs convictions. S’ils préservent leur exposition aux actifs européens, il est en revanche probable que des couvertures de devises soient désormais mises en place. Le contrepoint au recul de l’Euro est le rebond du Dollar, ce qui est généralement une mauvaise nouvelle pour les matières premières … cet actif de diversification perd donc provisoirement un peu d’attrait financier.

Commedia dell’arte

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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