Le temps des devises
L’actuelle volatilité historiquement faible des marchés d’actions ne doit pas tromper la vigilance des investisseurs : depuis le début d’année, le Dollar perd déjà 6% face à l’Euro !
Est-ce l’Euro qui s’apprécie ou bien le Dollar qui s’affaiblit ?
La première question à se poser lorsque l’on examine la variation entre ces deux devises, c’est si l’une d’entre elles explique ce mouvement ou bien s’il s’agit d’une divergence simultanée entre les deux monnaies. Pour répondre à cette question, il est intéressant d’observer le comportement du DXY, c’est- à-dire le Dollar face au panier de 6 grandes devises que sont l’Euro, le Franc suisse, la Couronne suédoise, le Dollar canadien, la Livre Sterling britannique et enfin le Yen japonais. Ainsi, le DXY perdant 5% depuis le début de l’année, on peut en conclure qu’il s’agit avant tout d’un repli du Dollar. Il convient toutefois de relativiser l’actuel recul du billet vert car ce dernier progresse encore de +23% depuis mai 2014 et même de +33% depuis mai 2011 !
Dollar face au panier de 6 grandes devises (DXY)
Sources : Bloomberg, WeSave
Comment expliquer les fluctuations récentes de l’Euro-Dollar ?
Si l’on zoome sur les derniers mois, le Dollar avait gagné +5.5% immédiatement après l’élection de D.Trump, mais il a désormais effacé l’intégralité de cette progression. Les investisseurs ont temporairement considéré que le programme économique du candidat Trump avait de véritables chances d’être mis en œuvre, le nouveau président américain disposant d’une Chambre des Représentants et d’un Sénat où les Républicains sont majoritaires dans les deux cas. Les graves « maladresses » accumulées par D.Trump font désormais douter du calendrier et de l’ampleur des réformes qui seront implémentées, l’éventuelle destitution du président étant même parfois évoquée. En parallèle, l’élection d’E.Macron, clairement proEuro et favorable à un renforcement de l’Union Européenne, a soutenu récemment l’Euro face aux principales devises internationales. La décote «politique» qui pénalisait jusqu’alors la zone Euro sanctionne désormais plutôt le Dollar du fait des incohérences du président américain depuis le début de son mandat.
Qu’est-ce qui provoque généralement les variations entre deux devises ?
Les interférences « politiques » étant difficiles à anticiper et étant souvent éphémères, il convient plutôt d’analyser les principaux déterminants fondamentaux des taux de changes afin d’apprécier le potentiel respectif de chacune de ces deux monnaies.
- Le premier facteur, de long terme, est l’état respectif des balances courantes des deux zones, c’est-à-dire le solde des flux financiers générés entre autres par les échanges de biens et de services. Du fait notamment de la contribution remarquable de l’Allemagne, la zone Euro dégage un excédent de +3.9% de son PIB fin 2016 alors que les Etats-Unis sont pour leur part en déficit de 2.6% de leur PIB. Ce facteur est donc favorable à l’Euro et pénalisant pour le Dollar.
Sources : OCDE, WeSave
- Le second facteur, de plus court terme, est le différentiel de taux d’intérêt entre les deux zones, corrigé de l’inflation. En effet, plus les taux d’intérêts réels sont élevés, plus ils attirent les investisseurs internationaux. Le cycle économique étant plus avancé aux Etats-Unis qu’en zone Euro, la banque centrale américaine (FED) a déjà relevé ses taux directeurs à trois reprises alors que la banque centrale européenne (BCE) continue pour sa part de déverser des liquidités (cf. « quantitative easing ») pour soutenir la croissance de la zone. Ce facteur est donc favorable au Dollar et pénalisant pour l’Euro.
Quelle perspective pour l’Euro-Dollar ?
Du court terme ou du long terme, quel facteur aura le plus d’influence durant les prochains mois ? Dans la mesure où les flux financiers s’ajustent plus rapidement que les marchés de biens et de services, l’influence des taux d’intérêts réels devrait plutôt l’emporter sur les balances courantes, et le Dollar devrait donc a priori plutôt s’apprécier face à l’Euro. Ceci suppose néanmoins que les perspectives de croissance économique et d’inflation évoluent peu par rapport aux actuelles anticipations des investisseurs.
C’est en cela que les incertitudes entourant la politique économique de D.Trump sont décisives, car la FED pourrait être contrainte d’ajuster sa politique monétaire en conséquence. Pour ce qui est de la zone Euro, le prochain aléa politique fort interviendra probablement lors des élections italiennes, qui devraient avoir lieu début 2018. A condition que D.Trump s’approprie enfin certains des codes et usages dus à sa fonction et aux responsabilités qui y sont attachées, le Dollar devrait se ressaisir à nouveau.
Quelles conséquences pour les allocations d’actifs ?
La compétitivité des entreprises étant fortement affectée par le comportement des devises, les prochaines publications de résultats trimestriels pourraient surprendre les investisseurs. Les sociétés américaines bénéficieront en effet a priori d’un surcroît de chiffre d’affaires et de rentabilité par rapport aux estimations actuelles, ceci grâce au repli du Dollar depuis le début d’année et par l’effet de conversions comptables favorables de certaines devises. Les marchés d’actions américaines amorçant souvent les tendances boursières, une nouvelle accélération haussière des actions peut donc être envisagée. En revanche, parce que les prix des matières premières et les fluctuations du Dollar ont souvent des affinités (cf. graphe), il conviendrait de rester prudent sur les matières premières et sur certains pays émergents si le Dollar devait s’apprécier à nouveau.
€-$ et Matières premières
Sources : Bloomberg, WeSave