Date de publication : 31 mars 2016

Des aventuriers explorant des territoires en apparence féconds, mais très souvent hostiles, et où la technologie est omniprésente. Une quête vers le futur où les voyageurs sont à maintes reprises détournés de leurs objectifs. Des frontières que l’on pensait inaccessibles et qui deviennent finalement des réalités. L’actuel contexte économique et financier aurait certainement inspiré à cet obscur agent de change que fut Jules Verne la matière pour élaborer une nouvelle fiction à rebondissements. Par le biais de quelques références à son œuvre, essayons de nous faire une meilleure idée du scénario à venir et de ses possibles incidences financières.

Sans dessus dessous – 1889

Union Européenne implique normalement qu’il y ait une « Union » Le bilan de l’Union Européenne s’apparente hélas à cette citation de Jules Verne: « Ce que les joueurs regrettent par-dessus tout, c’est moins la perte de leur argent que celle de leurs folles espérances » (Vingt mille lieues sous les mers). Des décennies d’efforts cumulés, d’énergies conjuguées et de capitaux investis, pour n’aboutir qu’à de telles confusions, incohérences et défauts de cohésion entre membres! Faut-il alors renoncer, sauver l’essentiel, ou aller de l’avant ? Les dirigeants européens, qui sont tenus de rendre des comptes périodiquement à leurs électeurs, vont devoir déterminer la direction qu’ils souhaitent adopter. Si l’Union Européenne ne fait pas la démonstration que l’union fait la force, alors le repli sur soi l’emportera. Le Royaume-Uni a pour sa part ouvert la boîte de Pandore en engageant un référendum sur l’éventuel «Brexit» … d’autres pays suivront-ils la voie ainsi tracée? Paradoxalement, si le «Brexit» devait l’emporter, ce pourrait être le catalyseur d’une nouvelle accélération de l’Union, mais plus probablement alors sous l’égide d’un cercle resserré de membres. Toutefois, aujourd’hui, l’urgence consiste déjà à tenter de restaurer le fonctionnement régulier de l’espace Schengen. En effet, entre les impératifs de la lutte contre le terrorisme et la nécessité de coordonner les flux chaotiques de migrants, la tentation de se retrancher derrière ses frontières est particulièrement forte. Mais la croissance économique européenne étant déjà modeste (+1.7% selon le consensus pour 2016), tout frein à la circulation des personnes affecte aussi la dynamique des échanges intra-zone, c’est-à-dire près des 3/4 du commerce des pays de l’Union. Par ailleurs, le «plan Juncker» de relance de l’investissement (315Mds€) repose avant tout sur la contribution volontaire du secteur privé à hauteur de 250Mds€. Si la confiance dans les perspectives de l’Union venait à trop se déliter, les investisseurs privés ne pourraient plus justifier alors d’engager de tels investissements! Parce que le contexte politique européen est déjà particulièrement troublé, il est indispensable d’apaiser au plus vite ces tourments grandissants.

L’Île mystérieuse – 1874

Le Brexit peut l’emporter, car c’est le peuple qui vote Du fait de l’ampleur des potentielles implications que revêt le référendum du «Brexit», les conclusions du vote du 23 juin seront attendues avec une extrême appréhension. En effet, le Royaume-Uni et l’Union Européenne ne peuvent au mieux que préserver le vulnérable statu quo existant mais, dans le cas d’un «Brexit», tous deux seraient immanquablement sanctionnés par les investisseurs. En effet, le processus serait très long et complexe pour Londres de renégocier ses relations avec les vingt-sept autres Etats membres, mais tout autant avec l’étranger puisque la plupart des traités commerciaux liant le Royaume-Uni au reste du monde passent aujourd’hui par l’Union européenne. C’est pourquoi la confédération de l’industrie britannique (CBI) cherche à orienter le vote en estimant que le «Brexit» pourrait coûter 100Mds£ et 1 million d’emplois, et qu’elle met en avant de manière opportuniste la menace de Moody’s de dégrader la notation du pays. Bien que le pragmatisme économique des électeurs puisse finalement l’emporter, le «Brexit» devrait toutefois avoir de nombreux adeptes, tant est démotivant le spectacle d’une Europe frappée régulièrement par des attentats, incapable de gérer ses flux migratoires, et ou le terme d’«Union» semble bien galvaudé au vu du traitement réservé durant ces dernières années à la Grèce ou à Chypre. Pour ce qui est de l’Union Européenne, elle chercherait à conclure des accords commerciaux afin de limiter l’impact du départ du Royaume-Uni mais, ce faisant, elle s’exposerait encore plus à de nouvelles exigences d’exemptions supplémentaires, voire à de nouvelles sorties puisque les autres pays auraient pour exemple une sécession à l’impact modéré ! « Tout est possible de la part d’un excentrique, surtout quand il est anglais! » rappelait Jules Verne dans Une ville flottante. Parce que reposant sur le Peuple, l’issue de ce vote restera incertaine jusqu’à son terme. En dépit de l’ampleur de l’enjeu, les investisseurs semblent avoir paradoxalement très peu ajusté leurs allocations (cf. analyses des flux financiers par Blackrock). C’est pourquoi les sondages à l’approche de l’échéance revêtiront une importance plus forte encore qu’à l’accoutumée et que la volatilité de la plupart des actifs financiers devrait s’intensifier.

Un billet de loterie – 1886

La BCE prend en main la politique industrielle européenne en achetant des obligations d’entreprises “C’est à force de répandre le bon grain qu’une semence finit par tomber dans un sillon fertile” (Les Naufragés du “Jonathan”). Mario Draghi a probablement fait sienne cette réflexion de Jules Verne en décidant d’élargir à l’extrême la palette des instruments non conventionnels déployés par la BCE. Sans surprise, et bien que déjà en territoires négatifs, les taux directeurs ont été une nouvelle fois abaissés. Mais, dans la mesure où les taux d’intérêts négatifs posent un véritable problème de rentabilité aux banques, plus subtile a été la décision de la BCE de rémunérer les établissements développant significativement leur offre de crédit (cf. TLTRO). Toutefois, la BCE a peut-être franchi le Rubicon en s’autorisant à acheter à partir du mois de juin des obligations émises par les sociétés européennes les plus solides (hormis les banques et assurances). L’intention est louable: en se portant acquéreur de ces dettes d’entreprises, la BCE espère écraser la rémunération de ces obligations et inciter les investisseurs à se reporter sur des obligations d’entreprises de moins bonne qualité mais mieux rémunérées … le coût de financement baisserait alors pour l’ensemble des entreprises. Mais l’influent président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a immédiatement manifesté de très nombreuses réserves à l’égard de ces «expérimentations de politiques monétaires téméraires!». En effet, se pose tout d’abord la question de l’aléa moral: l’incitation à l’orthodoxie financière et aux réformes structurelles disparait si les «mauvais élèves» (entreprises, secteurs ou encore pays) bénéficient indûment des soutiens de la banque centrale! Par ailleurs, les entreprises peuvent développer des addictions dangereuses à l’égard des financements via les marchés financiers aux dépens de ceux proposés par leurs banquiers, au risque de créer des bulles financières additionnelles! En fin de compte, ces débats entre la Bundesbank et la BCE pourraient être soumis au Tribunal fédéral allemand de Karlsruhe afin qu’il porte un jugement quant au respect ou non de ses mandats par la BCE! Le nouveau plan de la BCE repose essentiellement sur le crédit, mais encore faut-il que les entreprises aient envie d’investir car le contexte actuel décourage plutôt les initiatives. Il est probable que ces annonces incitent les investisseurs à alléger un peu leurs expositions aux actions européennes au profit des obligations d’entreprises de la zone, celles-ci faisant l’objet d’achats par la BCE. Par ailleurs, les entreprises privilégieront certainement désormais encore plus les émissions de dettes plutôt que d’engager des augmentations de capital!

Maître du Monde – 1904

La FED joue un jeu dangereux avec sa crédibilité Parce que la réaction de la BCE face à la crise a été tardive, parfois mal dosée, et qu’elle destine sa politique monétaire à des Etats particulièrement hétérogènes, son efficacité fait débat. Pour sa part, la FED peut se réjouir du fait qu’“Un minimum bien employé suffit à tout” (Le tour du monde en quatre-vingts jours)! Grâce à ses interventions opportunes, les Etats-Unis bénéficient aujourd’hui d’une croissance satisfaisante. Ainsi, le chômage frôle l’incompressibilité (4.9% en février 2016) et, en dépit de dynamiques salariales ternes, les ménages parviennent tout à la fois à épargner et à consommer grâce au surcroît de pouvoir d’achat engendré par des prix pétroliers et des taux d’intérêts très bas. Par ailleurs, bien qu’inégalement répartis parmi la population, les forts rebonds des prix de l’immobilier et des marchés financiers ont dopé le patrimoine et la confiance de nombreux américains. En dépit d’un Dollar affectant la compétitivité des sociétés américaines, les marchés extérieurs difficiles sont souvent contrebalancés par des marchés nationaux qui constituent toujours un socle d’activité captif. Toutefois, parce que les marges avaient atteint des niveaux historiques, les contrôles de gestion sont de nouveau plus méticuleux et les investissements sont plus parcimonieux, ceci afin de maintenir une génération de cash disponible satisfaisante. Dès lors, les versements de dividendes et rachats d’actions restent plantureux, laissant même la place à des acquisitions ponctuelles de concurrents. Pour sa part, l’Etat américain reconstitue quelques marges de manœuvres budgétaires grâce à une collecte d’impôts plus consistante. Si la FED a décidé de temporiser afin de relever de nouveau ses taux directeurs, c’est donc bien du fait de la volatilité qu’elle risquait d’engendrer sur les marchés financiers et des possibles impacts nocifs sur les partenaires internationaux vulnérables (pays émergents notamment!), plutôt que du fait de fondamentaux économiques nationaux mitigés. Afin de conforter sa crédibilité, il lui faudra faire abstraction des pressions des marchés financiers et reconstituer quelques volants d’interventions monétaires pour l’avenir.

Le Phare du bout du monde – 1905

La Chine ne pourra éternellement échapper aux effets de la «gravité économique» Alors que la «locomotive» américaine continue de bien se porter, l’inertie du «wagon» chinois semble en revanche s’accroître tous les ans un peu plus. Si la Chine bénéficie encore d’une croissance économique très enviable (entre 6.5% et 7% selon les autorités), de très nombreuses incertitudes pèsent en effet sur ce pays qui représente désormais 13.5% du PIB mondial. Les dirigeants chinois ont réaffirmé être en mesure de préserver la croissance nationale grâce à divers soutiens monétaires, budgétaires ou fiscaux. Indéniablement, les réserves de changes (3200Mds$) ou capacités d’endettement (17% de dette/PIB) offrent d’importants leviers d’interventions résiduels, mais ces ingérences économiques sont de moins en moins pertinentes. Ainsi, les réserves de changes ont fondu de -20% en 2015 pour un résultat plus que contestable si l’on se réfère au comportement du Yuan ou au krach boursier chinois! Par ailleurs, endetter significativement l’Etat afin d’engager de vastes soutiens budgétaires serait pertinent si le pays ne souffrait pas déjà de surinvestissements et d’excès de capacités industrielles chroniques! Si c’est en revanche le secteur tertiaire qui devait être ciblé pour ces injections de fonds, les gaspillages seraient majeurs, le retour sur investissement serait très décevant, et la contribution des services au PIB étant très difficile à mesurer, la défiance entourant les statistiques nationales ne pourrait que s’intensifier. « On peut braver les lois humaines, mais non résister aux lois naturelles » (Vingt mille lieues sous les mers). Après plusieurs décennies d’hyper-croissance, la Chine ne pourra éternellement échapper aux effets de la «gravité économique» … ce n’est qu’une question de temps, et mieux vaut disposer alors de réserves d’intervention contra-cycliques afin d’atténuer les très fortes tensions sociales qui ne manqueront pas de se manifester! C’est pourquoi, bien que les dirigeants chinois contestent cette hypothèse, une dévaluation significative additionnelle du Yuan doit être envisagée, toutefois plus probablement par des ajustements graduels plutôt que par un à-coup brutal.

Quelques considérations de marchés :

La perception des pays émergents par les investisseurs reste intimement liée à celle de la croissance chinoise. Bien que la Chine puisse encore travestir pendant un temps ses fondamentaux, le principe de précaution impose de rester sous-pondéré sur les pays émergents et sur la Chine. A défaut d’être coordonnées, les déclarations des pays producteurs de pétrole semblent plus convergentes alors que la consommation mondiale poursuit sa régulière progression … le pétrole a peut-être alors déjà vu son point bas mais, autour de 40$, les leviers de progression des prix ne semblent plus significatifs. Les métaux industriels sont pour leur part toujours pénalisés simultanément par des surcapacités et pas un reflux de consommation de ces produits … la correction de leurs prix n’est alors peut-être pas achevée. Au vu de la complexité du contexte, l’or devrait bénéficier encore de flux captifs. Bien que les potentiels boursiers soient élevés, notamment parce que s’y ajoutent des leviers de devises, mieux vaut rester sous-pondéré sur les actions des pays émergents. Si les soutiens de la BCE facilitent les accès au crédit tant pour les entreprises que pour les particuliers de la zone, les aléas politiques ternissent ce facteur favorable … une sous-pondération tactique semble justifiée tant que le référendum sur le «Brexit» n’aura pas été tranché. Seules les actions américaines justifient d’une surpondération, d’autant que la FED est d’évidence attentive à l’impact de ses décisions sur les marchés financiers, et notamment sur le Dollar. Parce que les risques d’inflation sont ténus, et en dépit de rendements souvent dérisoires, les obligations souveraines justifient encore leur qualificatif d’actif «refuge». Les obligations d’entreprises européennes devraient bénéficier des soutiens de la BCE, c’est pourquoi nous privilégierions plutôt celles-ci aux dépens des actions de la zone.

Les Banques Centrales en terrain connu

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

Category: Économie et marchés