Un univers progressivement colonisé par des robots, un côté «obscur» qui fascine autant qu’il tourmente, et des «produits dérivés» omniprésents … l’espace boursier où bataille l’épargnant offre bien des similarités avec l’environnement hostile et énigmatique de la «Guerre des Etoiles». Toutefois, à la différence d’un «chevalier Jedi», l’investisseur n’est hélas, pour sa part, jamais certain que la «Force» soit avec lui. Par le détour de certains chapitres saillants de cette saga, cédons nous aussi à la tentation de la «science-fiction» et examinons quelques scenarii économiques et financiers, en espérant bien entendu qu’un heureux final vienne clôturer cette chronique.
La Menace Fantôme (Episode I)
La Chine est le révélateur des faiblesses des pays émergents «Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine» … c’est ainsi que commence chaque opus de la «Guerre des Etoiles» avant de transporter le spectateur vers des contrées éloignées et pleines d’écueils. Aujourd’hui, l’investisseur scrute lui aussi avec anxiété les territoires distants que sont les pays émergents, ceci afin de soupeser «La Menace Fantôme» qui en émane. Certains stratèges en sont convaincus, la prochaine récession économique mondiale approche, et celle-ci s’expliquera par le ralentissement prononcé de la croissance de ces pays. Alors qu’en 1998 les pays émergents ne représentaient que 20% du PIB mondial, c’est aujourd’hui 40% de l’économie qui en dépend, dont 13.5% pour la seule Chine! C’est pourquoi toute inflexion significative de leurs dynamiques a désormais un effet considérable sur les projections financières des investisseurs. Si de nombreuses spécificités les différencient, l’étroitesse des relations «clients-fournisseurs» qui les lient (cf. matières premières notamment!), et l’intensité de la compétition à laquelle ils se livrent afin de s’approprier des parts de marchés, unissent en fin de compte souvent leurs destinées. C’est pourquoi les investisseurs se sont affolés lorsque la Chine, qui est de loin le principal d’entre eux (i.e. 1/3 des pays émergents à elle seule!), a pris l’initiative de dévaluer sa devise en août, ceci afin d’améliorer la compétitivité de ses entreprises. Par mimétisme ou par effet de contagion, plusieurs pays émergents ont à leur tour dévalué leurs devises (cf. Kazakhstan, Vietnam,…) ou bien dû laisser leurs monnaies se déprécier (cf. Brésil, Malaisie,…). Mais la très forte volatilité de ces devises a pour conséquence de décourager les investisseurs internationaux d’y placer leurs capitaux, ceci du fait de l’incertitude qu’elle fait planer sur leurs rendements. Il devient dès lors difficile et onéreux pour les agents économiques des pays émergents de se procurer ces devises majeures. Cette situation est alors particulièrement préoccupante pour toutes les entreprises des pays émergents ayant contracté des dettes importantes libellées en devises occidentales. En effet, l’appréciation du Dollar ou de l’Euro renchérit mécaniquement les frais financiers liés à ces dettes. Puisqu’en parallèle la croissance de ces pays s’essouffle, l’endettement n’est alors plus couvert par une dynamique favorable des résultats, d’où le risque d’une prolifération des défauts financiers et des faillites. Après la crise des «subprimes» aux Etats-Unis, puis celle des dettes souveraines en Europe, faut-il désormais craindre une crise majeure due aux dettes d’entreprises des pays émergents?
Un Nouvel Espoir (Episode IV)
Une moindre volatilité des devises permettrait de restaurer la confiance des investisseurs « Qui est le plus fou des deux, le fou, ou alors le fou qui le suit? » s’interrogeait Obi-Wan Kenobi. L’actuelle problématique des pays émergents ne pourrait être mieux posée qu’en ces termes! En effet, le précaire équilibre politique et social de ces pays dépend de leur dynamique économique … c’est ce qui explique leur irrépressible «obsession» à privilégier la croissance de court terme. Dès lors, la décision de la Chine de dévaluer sa monnaie risquait effectivement de contraindre bon nombre de ces pays d’adopter, dans son sillage, une politique de taux de changes compétitifs. Fort heureusement, la Chine a très vite perçu l’imprudence de son initiative. C’est pourquoi elle a tout d’abord décidé de procéder à des interventions massives sur le marché des changes afin d’y apaiser les tensions qu’elle avait elle-même engendrées. Par ailleurs, elle a facilité de nouveau l’accès au crédit sur son territoire en abaissant ses taux d’intérêts, et elle a annoncé divers soutiens budgétaires d’ampleur. Bien qu’inéluctable à long terme (cf. démographie,…), le ralentissement économique chinois sera donc encore graduel cette année, tout comme en début d’année prochaine. De même, parce que l’endettement des Etats et celui des ménages des pays émergents restent généralement sous contrôle, des renforts budgétaires et monétaires d’urgence ne manqueraient pas de contenir tout risque de récession imminent. Ces soutiens économiques, avérés ou latents, devraient apaiser en partie les angoisses des investisseurs, ce qui bénéficierait aux actifs apparentés aux émergents. Mais le risque de «folie» ne réside pas que dans le comportement des dirigeants de ces pays! En effet, ainsi que nous l’avons décrit précédemment, la décision des investisseurs internationaux de déserter ces zones exotiques pourrait être dévastatrice pour le financement des entreprises. Sous le sage prétexte du «principe de précaution», leur dérobade est paradoxalement susceptible de provoquer le krach économique et financier qu’elles redoutent. Mais, hélas, la «confiance» dans les pays émergents ne se décrète pas, elle se gagne … ce qui passera par des statistiques plus encourageantes. L’ampleur et la brutalité du ralentissement industriel durant l’été laissent précisément entrevoir une reprise économique à court terme … c’est l’effet «ressort»! Celui-ci proviendra notamment de l’effervescence manufacturière dont ces pays bénéficient tous les ans à la même époque, ceci afin de répondre aux sollicitations des fêtes de fin d’année. D’autre part, les mesures de soutiens monétaires, budgétaires et fiscales qu’ils ont adoptées soutiendront temporairement leur conjoncture. Enfin, la résilience de la consommation des ménages, tant dans les pays émergents que dans les pays développés, assure une récurrence d’activité à ces pays, indépendamment des atermoiements des marchés financiers. Si la vigilance reste bien entendu de mise, «Un Nouvel Espoir» est possible, mais à la stricte condition que la volatilité des devises s’apaise!
L’Empire Contre-attaque (Episode V)
L’hostilité à l’égard de l’establishment européen pourrait faire gagner le « Brexit » Dans la «Guerre des Etoiles», le principal ennemi (i.e. Dark Sidious) siège en réalité au cœur de la République. Alors que le péril que représentent les pays émergents est désormais un peu mieux appréhendé, le danger qui guette les épargnants pourrait plus sournoisement émaner des pays développés eux-mêmes. En effet, le Royaume-Uni menace de quitter l’Union Européenne … autrement dit, «L’Empire Contre-attaque»! Ainsi, à des fins purement électorales, David Cameron s’est engagé à convoquer d’ici la fin 2017 un référendum quant au maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne. Bien qu’étant pour sa part favorable à la préservation du lien étroit qui unit son pays à l’Union Européenne, il lui faudra toutefois convaincre sa population de la pertinence de ce choix. En effet, le modèle économique et social porté par l’Union Européenne est très éloigné de celui retenu par la Grande-Bretagne. C’est pourquoi le vote contestataire britannique risque d’être attisé par les réticences persistantes de nombreux pays européens à se réformer, à adopter des mesures d’austérité, à maitriser leurs dépenses sociales, à réduire leur endettement,… Qui plus est, la laborieuse et contestée gestion du dossier des flux migratoires en Europe pourrait mobiliser les votes nationalistes. La récente consultation électorale menée en Grèce démontre que le réalisme économique n’est, hélas, pas majoritaire! Cette perspective fait bien évidemment frémir les milieux financiers de Londres qui redoutent une éventuelle irrationalité économique populaire! Ceux-ci alerteront inévitablement quant aux risques de moindre attractivité du pays (cf. menaces de multinationales de délocaliser leurs sièges sociaux), de perte d’influence de la City, de risques pour l’emploi,… Pour sa part, le gouvernement de David Cameron cherchera à valoriser les synergies que la Grande-Bretagne et l’Union Européenne développent, ceci afin de souligner les avantages que le pays en tire. En parallèle, il ne manquera pas d’exercer aussi une forte pression («chantage», diront certains!) sur Bruxelles afin de voir confortés les privilèges spécifiques dont son pays bénéficie déjà, et il cherchera à négocier de nombreuses concessions et réformes additionnelles des institutions européennes. Mais ces manœuvres pouvant engendrer des distorsions inacceptables aux yeux des autres pays de l’Union Européenne, cette stratégie pourrait en fin de compte se retourner contre lui. Si le pragmatisme des britanniques, mais aussi des européens, devrait a priori permettre d’aboutir à une issue favorable, il ne faut toutefois «jamais sous-estimer le pouvoir du côté obscur de la Force»!
Le Réveil de la Force (Episode VII)
Les banques centrales, unies afin d’apaiser la volatilité des marchés financiers L’issue de chaque épisode de la «Guerre des Etoiles» est toujours favorable au côté «lumineux » de la Force. En cette fin d’année, l’épargnant ne peut que constater avec soulagement que «Le Réveil de la Force» lui est bénéfique. Ainsi, les banques centrales semblent toutes œuvrer de concert afin d’imprimer un heureux final à une année 2015 bien tourmentée. Tout d’abord, dès le mois de septembre, la banque centrale américaine (FED) a décidé de temporiser quant au relèvement programmé de ses taux directeurs. Ainsi, allant jusqu’à prendre le risque de mettre en cause sa crédibilité (i.e. décision prise sous la pression des marchés financiers?), le «Grand Maître» des marchés financiers a pris le parti d’assumer encore plus son rôle de «guide» à l’égard de ses consœurs. Le «Padawan» européen, c’est-à-dire la BCE, n’attendait que ce signal pour, à son tour, laisser entendre fin octobre que son soutien monétaire (i.e. «quantitative easing») serait très probablement prolongé et/ou amplifié. Que ce soit de la FED ou bien de la BCE, les investisseurs seront à l’affût d’annonces plus concrètes de leur part en décembre! Enfin, la banque centrale de Chine a, pour sa part, baissé ses taux d’intérêts, de manière à doper l’activité économique du pays et, par ricochet, celle de ses partenaires. Une telle conjonction de «Forces» déployées simultanément ne peut que doper temporairement le moral des épargnants et des chefs d’entreprises qui y verront tous deux de nouvelles opportunités d’investissements. Ces diverses prises de positions et effets d’annonces des banques centrales ont, en fin de compte, restauré le cycle d’appréciation du Dollar. Du fait de ce mouvement haussier du billet vert, la croissance américaine sera plus faible, ce qui permettra à la FED de justifier, a posteriori, son statu quo du mois de septembre. Pour sa part, la BCE bénéficiera de l’affaiblissement de l’Euro pour atteindre plus aisément sa cible d’inflation (cf. inflation importée), tout en bénéficiant d’une croissance économique plus consistante au sein de la zone. Le soutien monétaire chinois raffermira marginalement la croissance du pays, ce qui devrait atténuer un peu l’aversion que suscitent aujourd’hui les pays émergents aux yeux des investisseurs internationaux. Toutefois, si les arbitrages financiers traditionnels sont restaurés, la hausse du Dollar pourrait nuire à nouveau aux prix des matières premières, ce qui porterait préjudice à de nombreux pays émergents et alimenterait les tendances déflationnistes mondiales. Par ailleurs, bien qu’elles puissent espérer un léger sursaut d’activité, la hausse du Dollar reste très nuisible aux entreprises des pays émergents endettées en Dollar! « Difficile à voir. Toujours en mouvement est l’avenir. » professait Maître Yoda … c’est pourquoi, par prudence, quelques prises de bénéfices tactiques semblent désormais opportunes avant que la FED ou la BCE ne communiquent en décembre, le risque de déception n‘étant alors pas exclu.
Quelques considérations de marchés
Les banques centrales entretenant la profusion de liquidités, les rendements obligataires devraient donc rester très faibles. C’est pourquoi les épargnants devront rechercher des rendements complémentaires, notamment au travers des marchés d’actions. Les dynamiques de rachats d’actions, de versements de dividendes, et de fusions et acquisitions devraient rester fortes dans un contexte de croissance économique anémiée, ce qui est favorable à cette classe d’actifs. Les incertitudes entourant les perspectives économiques et financières de long terme des pays émergents sont telles qu’il semble raisonnable de rationner l’allocation sur ces pays, au risque de rater quelques opportunités boursières temporaires. Il conviendra d’être plus particulièrement vigilant à l’égard des sociétés de pays émergents qui seraient fortement endettées en devises étrangères … l’exposition au «high yield» émergent semble donc être une option téméraire! La tendance structurelle de renforcement du Dollar justifie de rester exposés aux marchés américains, mais à condition de bénéficier de l’effet Dollar! Du fait de fondamentaux économiques porteurs et d’un retard de valorisation persistant, la zone Euro doit encore être privilégiée dans les allocations. Dans la mesure où les sociétés européennes sont significativement exposées aux marchés émergents, surpondérer la zone Euro permet de bénéficier du rebond potentiel des émergents, sans toutefois subir les fluctuations aléatoires de leurs devises ou encore les défauts de liquidités qui les caractérisent. Toutefois, le risque potentiel de sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne, mais aussi cette exposition aux émergents laissent augurer de phases de volatilités fréquentes pour les actions européennes. Bien que la hausse du Dollar ne milite pas en faveur des matières premières, leurs cours restent proches de ceux du point bas de 2008-2009, le rendement-risque semble intéressant pour un investisseur de long terme et prêt à assumer les aléas boursiers de court terme.