La Chèvre de Bois cède la place au Singe de Feu. C’est donc un animal bien facétieux qui conduira cette nouvelle année chinoise! Il faudra dès lors être malin et vif afin de s’adapter aux nombreuses péripéties boursières qui s’annoncent. Par son aptitude au mimétisme, le singe met parfois en œuvre une stratégie adaptative lui permettant d’échapper à d’éventuels prédateurs. En ce début d’année, les investisseurs semblent avoir unanimement adopté cette tactique, afin de préserver leurs capitaux placés en bourse. Mais lorsque tout le monde cherche simultanément à esquiver le danger, c’est la panique qui en résulte!
Les craintes des investisseurs sont les mêmes qu’en 2015 : la Chine réussira-t-elle sa transition vers les services, la chute du pétrole reflète-t-elle un ralentissement économique mondial, la hausse des taux par la FED va-t-elle déstabiliser les marchés du crédit et les pays émergents, le tassement industriel américain va-t-il contaminer les services, l’instabilité politique croissante en Europe (cf. « Brexit », Espagne, Pologne, Portugal,…) échappera-t-elle à tout contrôle? Si ces questionnements sont tous légitimes, le décrochage brutal des marchés doit en revanche interpeller. En effet, selon les dernières prévisions du FMI, la croissance économique mondiale devrait en réalité encore accélérer en 2016 et 2017 (respectivement +3.4% et +3.6%) par rapport à l’an passé (+3.1%)! Ainsi, les émergents devraient tirer leur épingle du jeu avec +4.3% puis +4.7% contre +4.0% en 2015. Pour leur part, la zone Euro et les Etats-Unis devraient respectivement se stabiliser autour de +1.7% et +2.6% durant les deux années à venir.
La Chine cristallise les craintes des investisseurs Au vu de l’accélération économique attendue durant les deux années à venir, le décrochage des places financières semble alors paradoxal!
En réalité, la principale préoccupation demeure la Chine qui, représentant désormais 13.5% de l’économie mondiale, verrait sa croissance se tasser encore de +6.9% en 2015 à +6.3% en 2016, puis +6% en 2017 (soit -13% en seulement 2 ans!). Cette dernière a ainsi décidé de basculer d’un modèle industriel exportateur pour cibler désormais prioritairement son marché domestique, en développant notamment les services. Hélas, cette «tertiarisation» de son économie pénalise la productivité des entreprises, alors même que leur compétitivité souffre déjà des hausses salariales accordées durant les dernières années. Afin d’estomper ces «effets secondaires» et contenir tout risque de révoltes sociales, les autorités ont déployé et continueront d’engager de vastes soutiens budgétaires ou fiscaux contra-cycliques afin de lisser cette décélération programmée. Bien qu’encore particulièrement enviable, ce n’est non pas le niveau mais la dynamique des différentes composantes de la croissance économique chinoise qui préoccupe, ceci du fait de son impact sur la croissance mondiale.
Mais, plus encore que la croissance chinoise, c’est l’inflexion de sa politique monétaire (i.e. dévaluation compétitive du Yuan amorcée en août 2015) qui fait désormais craindre une guerre des changes généralisée. En effet, les pays émergents doivent impérativement préserver leur compétitivité, afin de sauvegarder leurs parts de marchés, leurs revenus, et le pouvoir d’achat de leurs populations. Toute dévaluation d’ampleur par la Chine engendrerait donc un phénomène de dominos sur les devises émergentes! Si tel était le cas, investir dans ces pays deviendrait encore plus périlleux puisque le reflux de leurs devises pourrait plus qu’annihiler la performance attendue des investissements.
Mais les premières victimes collatérales de l’inflexion économique chinoise sont les pays producteurs ou transformateurs de matières premières. Ainsi, la moindre dynamique chinoise, provoque de très nombreuses situations de surproductions, nécessitant alors de constituer des stocks récurrents qui pèsent structurellement sur les prix. Toutefois, il serait réducteur de rendre la Chine seule responsable de ce phénomène puisque par exemple, selon l’OPEP, sa consommation de pétrole a encore progressé en 2015 (10.84mb/j contre 10.46mb/j en 2014) et prévoit qu’elle continuera de s’accroitre en 2016 (11.14mb/j)! En réalité, l’effondrement du pétrole, qui entraine largement celui des autres matières premières, est dû à des excès disproportionnés de productions (cf. schistes américains, passivité délibérée de l’OPEP,…) et non à un recul de la demande mondiale, celle-ci continuant de s’accroître! Les prix du pétrole et, par extension ceux des matières premières, ne sont donc pas le reflet d’un ralentissement économique, mais ils contrebalancent les excès de productions actuels, ainsi que des prix passés peut-être exubérants!
Les pays émergents producteurs de matières premières sont les premières victimes du tassement économique chinois Que le prix du pétrole s’équilibre en fin de compte cette année à 25$ ou à 50$, cette situation provoque de toute façon des transferts de pouvoir d’achat massifs des pays producteurs (cf. Moyen-Orient, Brésil, Russie,…) vers les pays consommateurs (cf. Europe, Inde,…), et accentue la vulnérabilité de nombreux pays émergents. Les investisseurs s’inquiètent donc bien plus de la mauvaise répartition des fruits de la croissance mondiale que de la croissance elle-même! En effet, les pays producteurs de matières souffrent souvent du syndrome de la «rente», ayant pour la plupart des économies trop peu diversifiées. Tout choc significatif sur le produit de la vente de leurs matières premières impacte alors drastiquement les finances de ces pays (cf. Russie, Arabie Saoudite, Venezuela,…) et la capacité de ces Etats à assurer les soutiens sociaux nécessaires (chômage,…). Fort heureusement, le Dollar s’appréciant fortement depuis 2 ans, celui-ci compense en partie ces pertes de revenus.
Cette revalorisation du Dollar s’explique par le fait que la banque centrale américaine jugeant à juste titre que le pays avait retrouvé une croissance plus pérenne, son soutien monétaire hétérodoxe (i.e. «quantitative easing») ne se justifiait plus. En décembre 2015, la FED a ainsi même procédé à un premier relèvement de ses taux d’intérêts directeurs. Si cette hausse du Dollar dope la compétitivité de nombreux pays qui en avaient particulièrement besoin (cf. entreprises de la zone Euro,…), celle-ci fait toutefois de nombreuses victimes. Au premier chef, les pays émergents ayant arrimé leurs devises au Dollar car ils ont vu leur compétitivité se dégrader fortement. Par ailleurs, les Etats ou entreprises ayant contracté des dettes en Dollar ont vu brutalement le coût de leurs emprunts s’envoler … les défauts de paiements pourraient alors se multiplier, notamment au sein des pays émergents déjà fragilisés! Enfin, les entreprises américaines doivent lutter encore plus afin de préserver leurs parts de marchés domestiques ou à l’international. Mais si une appréciation excessive du Dollar devait trop pénaliser la croissance et l’inflation américaine, la FED pourrait reporter, voire même renoncer aux prochaines hausses de taux envisagées … un Dollar trop fort serait un substitut aux hausses de taux d’intérêts de la FED!
Si les entreprises américaines subissent une concurrence étrangère plus affutée du fait du Dollar fort, leurs trésoreries nettes et leurs marges sont néanmoins aujourd’hui proches des plus hauts historiques. Elles pourraient alors envisager de sacrifier une fraction de ces marges afin de préserver leurs parts de marchés. D’autre part, en dépit d’un taux de chômage national retombé à seulement 5%, l’absence d’inflation leur permet de contenir les éventuelles revendications salariales de leurs employés. Enfin, en dépit de la hausse récente des taux directeurs par la FED, le coût de l’emprunt a rarement été aussi peu onéreux … l’investissement souffre en réalité principalement de l’insuffisance de débouchés à la production (cf. léthargie des salaires, état des finances publiques,…)!
L’économie américaine surprendra encore par sa fermeté Si certains stratèges s’alarment de l’atonie de l’investissement américain, c’est qu’ils extrapolent souvent à tort de l’impact additionnel de l’effondrement des investissements liés aux schistes (prospection, forage, transport, stockage, transformation,…). En terme de masse de capitaux, les projets auxquels ce secteur et ses divers satellites vont devoir encore renoncer seront de moins en moins significatifs … leur impact dépressif va donc s’estomper! En revanche, les contributeurs industriels majeurs que sont l’aéronautique, l’automobile, la construction,… bénéficient de dynamiques toujours favorables. Pour ce qui est des services à destination des entreprises, les budgets ayant été réduits à la portion congrue depuis la crise des «subprimes», ils bénéficient désormais de volants d’affaires moins compressibles que par le passé. En ce qui concerne les services aux particuliers, les nouvelles habitudes de consommation (cf. «uberisation», caractérisée par un colossal recul des prix) font émerger soudainement de nouvelles sociétés aux dépens d’autres … la «destruction-créatrice» modélisée par Joseph Schumpeter trouve une nouvelle démonstration majeure. En fin de compte, les inquiétudes quant à une éventuelle dégradation de l’industrie et des services américains semblent exagérées, et la faiblesse de l’inflation du pays justifiera une démarche pragmatique de remontée très graduelle de ses taux par la FED.
Alors même que le discours très accommodant de la BCE «magnétise» les investisseurs vers la zone Euro, celle-ci pourrait en réalité être la source de bien des déconvenues cette année. En effet, les aléas politiques au sein de la zone sont trop nombreux pour qu’en fin de compte l’un d’entre eux ne dégénère pas significativement! Bien que promettant de nouvelles mesures de soutiens monétaires dès le mois de mars, Mario Draghi et la BCE voudront certainement conserver des marges de manœuvres afin de protéger la zone en cas de véritable urgence (cf. BREXIT,…) … le risque de déception quant aux «actes» de la BCE pourrait être fort! Si par ailleurs la FED venait à temporiser quant au relèvement de ses taux directeurs, l’Euro-Dollar pourrait prendre à contre-pied tous les paris consensuels actuels, et le Dollar refluerait au lieu de s’apprécier. Au-delà de certains ajustements sur les expositions à certaines classes d’actifs (cf. matières premières), ceci justifierait de reconsidérer en profondeur l’allocation géographique des capitaux (i.e. privilégier alors les Etats-Unis).
Quelques considérations de marchés :
Plus encore que le tassement économique chinois, le risque de guerre des changes affecte les perspectives d’investissements dans les zones émergentes … la retenue et la sélectivité doivent donc guider tout investisseur qui souhaite y placer des capitaux. La prudence suggère aussi d’être sous-pondéré sur la zone Euro, alors qu’en revanche le marché d’actions helvétique pourrait tirer parti de son profil plus défensif. La locomotive américaine offre pour sa part de nombreux atouts résiduels pour les investisseurs mais, contrairement aux deux années précédentes, son potentiel de performance pourrait désormais moins reposer sur l’appréciation de sa devise … une surexposition aux Etats-Unis parait justifiée, mais une couverture de change pourrait être de nouveau opportune en cours d’année. Dans la mesure où les allocations des investisseurs sont souvent consensuelles, toute modification significative de leurs anticipations provoque désormais des comportements grégaires, faisant apparaitre de graves défauts de liquidités et de violents sursauts de volatilité sur les marchés (cf. début d’année) … ceci justifie de disposer encore d’une forme d’assurance financière, par exemple au travers d’une exposition tactique sur l’or.