Date de publication : 7 juin 2018

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164 400 milliards de Dollars ! La dette mondiale représente désormais 225% du PIB mondial et elle ne cesse de croître, d’où l’alerte lancée par le Fonds Monétaire International (FMI). Alors que les taux d’intérêts mondiaux remontent significativement depuis un an, faut-il alors craindre une nouvelle crise financière majeure ? Quelle allocation d’actifs convient-il de privilégier ?

Le stock et le flux

L’analyse de tout endettement doit toujours être réalisée selon deux axes distincts : le stock et le flux.

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Le stock de dette mondial est une photographie instantanée du niveau d’endettement des différents agents économiques et des divers pays. Une dette de 225% du PIB signifie qu’il faut désormais 2 années ¼ de richesse mondiale pour pouvoir rembourser intégralement les créanciers. La répartition de la dette entre les différents agents économiques est généralement le reflet du modèle économique et social adopté. Les pays “dirigistes” privilégient une mutualisation de la dette, l’État prenant à sa charge un très large éventail d’activités économiques soit directement, soit au travers des collectivités locales ou des entreprises qui sont sous sa tutelle. À l’inverse, les pays plus “libéraux” confient la plupart des projets aux entreprises privées, l’État se consacrant essentiellement aux missions régaliennes. Le cumul de dettes est aussi la conséquence des décisions passées des États, des entreprises et des individus. Ainsi, lorsque les États décident par exemple de limiter les conséquences de la crise des “subprimes” par un stimulus budgétaire extrêmement agressif, cela signifie assumer un très fort endettement additionnel pour stimuler “artificiellement” l’activité. Ce faisant, les États se privent de moyens financiers potentiels pour leurs interventions budgétaires futures. Autrement dit, un transfert temporel, voire même intergénérationnel, s’opère alors !

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Le stock de dette ne révèle toutefois qu’une image très parcellaire qu’il convient de compléter par l’analyse des flux d’endettement afin d’appréhender convenablement les dynamiques en œuvre. Entre 2007 et aujourd’hui, la dette mondiale a progressé de 200% du PIB à 225% du PIB. En seulement 10 ans, c’est donc 1⁄4 de la richesse annuelle mondiale qui a été hypothéquée au profit des créanciers ! Si la majeure partie du stock de dette mondiale émane des pays industrialisés (119 200 Mds $, soit 73% du total), c’est surtout dans les pays émergents que la dette progresse le plus vite. Ceci est tout particulièrement vrai pour la Chine où la dette globale, évaluée à 4 900 Mds $ en 2007, atteint désormais 25 500 Mds $. Autrement dit, 42% de l’endettement additionnel mondial contracté depuis 10 ans (+48 500 Mds $) est le seul fait de la Chine, la dette du pays ayant même progressé plus que celle de l’ensemble des pays développés (+19 300 Mds $) ! Le PIB de la Chine étant aujourd’hui évalué à 12 300 Mds $, ce sont donc près de 2 années de richesse du pays qui ont été “hypothéquées” durant ces 10 dernières années. La Chine vit de plus en plus à crédit et sa croissance économique manifeste des signes de plus en plus inquiétants d’addiction à la dette, d’où la défiance de nombreux investisseurs à l’égard du pays et de certains de ses partenaires.

La bonne et la mauvaise dette

S’inquiéter des montants d’endettement cumulés ou de la vitesse à laquelle la dette progresse, c’est porter un jugement de valeur a priori négatif quant au fait d’être endetté. Est-ce nécessairement justifié ?

La dette permet à deux agents économiques, le débiteur et le créancier, de croiser des intérêts opposés. S’endetter offre l’opportunité au débiteur de réaliser sur la durée des projets qui, sans cela, ne lui auraient peut-être jamais été accessibles. À l’inverse, le créancier consent à se séparer temporairement et moyennant rémunération de capitaux qui, s’ils n’étaient pas prêtés, resteraient stériles et perdraient même de la valeur du fait de l’érosion due à l’inflation. Mais la dette peut aussi être une fuite en avant permettant de masquer des problèmes structurels. Il est par exemple régulièrement reproché aux États d’avoir recours à la dette pour couvrir des frais de fonctionnement au lieu d’employer ces capitaux à effectuer des investissements de long terme. Comment faire la part des choses entre la bonne et la mauvaise dette ?

En faisant abstraction de tout jugement “éthique” quant aux projets financés (impact sur l’environnement, répartition des bénéfices tirés,…), le recours à l’endettement peut être considéré comme utile s’il ajoute de la richesse nette sur la durée. En première approche, on peut alors examiner l’évolution du PIB mondial et comparer cette donnée à l’évolution des emprunts. Sur les 10 dernières années, l’endettement mondial a augmenté de +48 500 Mds $ alors que le PIB n’a progressé “que” de +15 200 Mds $ … il a donc été nécessaire d’emprunter 3 fois plus de capitaux que ce qui a été créé comme richesse additionnelle dans le même temps. Il serait toutefois erroné d’en déduire que cet endettement est aberrant sans s’être préalablement renseigné quant à l’échéance des projets sur lesquels ces capitaux empruntés ont été investis. Impossible en effet de porter un jugement sur leur efficience s’ils n’ont pas atteint leur maturité. Un nouvel aéroport, une autoroute,… ne peut bien entendu jamais être rentable à si brève échéance ! En Chine, l’endettement récent contribue-t-il à entretenir une bulle immobilière ou bien ces capitaux sont-ils investis dans le développement de nouvelles technologies de pointe ? Afin de porter un jugement “qualifié”, il conviendrait donc d’analyser de très près chaque engagement financier et de porter à son égard un jugement “qualitatif” et non pas simplement “quantitatif” … tâche bien trop ardue si l’on souhaite être exhaustif !

Que craignent les instances internationales et les investisseurs ?

Alors même qu’un dérapage incontrôlé de l’endettement a déjà été à l’origine de la crise des “subprimes”, les autorités ont intentionnellement favorisé une reprise d’activité par l’endettement, notamment en abaissant drastiquement le coût de l’emprunt. Cette décision s’est révélée pertinente puisque la croissance économique semble aujourd’hui auto-entretenue. Pourquoi alors cette mise en garde du FMI ?

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Lorsque les revenus dégagés par un investissement dépassent l’ensemble des coûts, un bénéfice est réalisé. Il est alors tentant de s’endetter pour investir encore plus et accroître ainsi les bénéfices engrangés … c’est l’effet de levier de la dette. Mais cet endettement n’est judicieux qu’à condition que la croissance reste plus forte que le coût de l’emprunt. Croissance et niveau des taux d’intérêts sont donc les deux paramètres déterminants pour que la dette contractée durant les dernières années ne pénalise pas désormais les emprunteurs. Au vu du consensus, les instances internationales et les investisseurs restent plutôt optimistes quant aux perspectives de croissance économique, mais de nombreuses incertitudes pourraient les amener à réviser significativement ces prévisions. L’Administration Trump multiplie les initiatives qui pourraient déstabiliser la croissance mondiale : remise en cause des traités commerciaux internationaux et instauration de mesures protectionnistes, tensions géopolitiques nombreuses (Iran, Russie,…) aggravées par l’extra-territorialité des sanctions envisagées, frein à l’immigration,… Autant de facteurs qui incitent plutôt les chefs d’entreprises du monde entier à l’attentisme ! Par ailleurs, la croissance étant plus solide et l’inflation remontant, les banques centrales durcissent désormais graduellement leurs politiques monétaires, d’où la remontée des taux d’intérêts observée sur les marchés financiers. Qui plus est, la forte hausse des prix pétroliers (Brent à 80 $ désormais) pourrait intensifier l’inflation, tout en pesant sur la croissance économique mondiale ! Les emprunteurs pourraient être pris en ciseaux par une croissance économique décélérant et par des tensions inflationnistes faisant remonter les taux d’intérêts. La question de la rentabilité des investissements, voire de la solvabilité des emprunteurs, peut alors se poser !

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Dans cette hypothèse, les entreprises ayant des Bilans “précaires” (“High Yield”) et les pays émergents seraient les premières victimes d’une telle situation. Les pays émergents pourraient même cumuler les difficultés car leurs emprunts sont souvent contractés en devises fortes, en Dollar notamment, et ce dernier effectuant un spectaculaire redressement depuis quelques semaines, cela renchérit d’autant le coût des remboursements. Afin d’affiner ces raisonnements, il conviendra de faire du cas par cas en vérifiant l’échéancier des dettes, si des taux fixes ou variables sont dus,… Par ailleurs, la nature des détenteurs de ces dettes peut être déterminante : s’agit-il d’investisseurs domestiques ou bien étrangers, de banques centrales, de fonds spéculatifs ou bien d’institutions financières nationales contraintes de détenir ces dettes afin de respecter leurs ratios prudentiels,… ? Tant que la croissance restera forte et les taux d’intérêts modérés, ces tensions seront supportables, mais une plus grande vigilance s’impose indiscutablement ! Parce que les marges d’interventions budgétaires des États sont hélas toujours limitées, les banques centrales seraient LE “pompier” potentiel en cas de résurgence d’une crise d’endettement.

Quelques considérations boursières :

La remontée des taux d’intérêts était prévisible et ne semble être jusqu’à présent qu’une simple normalisation. Les rendements obligataires pourraient monter encore mais ce mouvement devrait rester limité car les perspectives de croissance économique sont bien inférieures aux cycles précédents … l’attrait des obligations se reconstitue donc progressivement. Les obligations souveraines, du fait de la capacité des États à lever l’impôt, devraient bientôt raviver l’intérêt des investisseurs. Les obligations d’entreprises ayant des Bilans solides (“Investment Grade”) devraient elles aussi séduire les investisseurs car ces sociétés sont bien armées pour passer les crises économiques. Le “High Yield” et les émergents pourraient subir quelques dégagements additionnels, principe de précaution oblige ! Les actions demeurent la classe d’actifs attrayante du fait d’un cycle économique encore favorable et grâce à des facteurs de soutiens financiers bénéfiques (dividendes, rachats d’actions, OPA,…), mais le contexte économique et géopolitique étant plus confus, la volatilité devrait rester bien plus forte qu’en 2017. À noter toutefois que la remontée des rendements obligataires atténue l’un des attraits des actions : le rendement du dividende devient parfois moins compétitif. Ainsi, le taux d’intérêt souverain à 2 ans américain dépasse désormais marginalement le rendement des dividendes du S&P500 par exemple !

 

L’éclairage du gérant : 164 400 000 000 000 $

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

Category: ÉclaireurÉclaireur Juin 2018Économie et marchés