Date de publication : 6 mars 2018

Marchés financiers : le chêne ou le roseau ?

Le début du mois de février a été caractérisé par une forte baisse des marchés financiers. Ainsi que nous l’avions anticipé, quelques signes d’accélération de l’inflation font redouter que les banques centrales ne durcissent désormais plus vite et plus fortement leurs politiques monétaires. Plusieurs classes d’actifs ont toutefois surréagi par rapport à nos attentes. Après plusieurs années favorables, la dynamique des marchés est-elle alors proche de la rupture ou bien n’est-ce qu’une simple inflexion temporaire ? L’analyse détaillée du comportement des diverses classes d’actifs durant ce choc boursier nous semble riche en enseignements.

État des lieux des évolutions des grandes classes d’actifs financiers durant le mois de février et quelques conclusions qui en découlent :

Les obligations

  • Accélération de la hausse des rendements des obligations d’État qui avait démarré en septembre 2017. Autrement dit, la valorisation des obligations se dégrade. Le taux à 10 ans américain dépasse les 2.90%, celui de l’Allemagne oscille autour de 0.70%-0.75%, et celui de la France a franchi temporairement le cap des 1.00%.
  • Contrairement à l’habitude, les obligations n’ont pas servi d’actif refuge : les obligations et les actions ont baissé simultanément.
  • En relatif, les rendements des obligations des pays « périphériques » européens (Italie, Espagne, Grèce,…) résistent mieux que ceux des pays « cœur » (Allemagne, France, Pays-Bas,…).
  • Les obligations des pays émergents se détériorent à peu près au même rythme que celles des pays développés.
  • Bonne résistance relative des obligations d’entreprises les mieux notées (« Investment Grade »), mais en revanche forte dégradation des obligations d’entreprises à haut rendement (« High Yield »).

Réflexions et conclusions induites :

  • L’actuelle politique budgétaire et fiscale expansive américaine accélère la croissance du pays, mais elle accentue aussi le risque d’inflation, notamment par les salaires, le chômage étant déjà à 4.1%. Les investisseurs anticipent désormais 3 à 4 hausses de taux directeurs par la FED en 2018, ces derniers remonteraient alors vers 2.50%.
  • Au-delà des craintes d’inflation, le marché des obligations souveraines américaines se détériore car le Trésor américain doit émettre beaucoup plus d’obligations pour compenser ses moindres recettes fiscales, et cela alors même que la FED réduit simultanément son Bilan (300 Mds $ d’achats d’obligations en moins en 2018, puis 600 Mds $ au-delà). Ce changement d’équilibre entre l’offre et la demande d’obligations est voué à être STRUCTUREL, alors que la remontée d’inflation ne devrait être que CONJONCTURELLE. La pression qui s’exerce actuellement sur les marchés obligataires est donc plutôt d’ordre financier qu’économique.
  • Les pays étant en concurrence pour lever les capitaux auprès des investisseurs internationaux, il y a logiquement contagion de la hausse des rendements américains aux autres dettes souveraines. L’homogénéité de cette remontée des rendements internationaux indique toutefois qu’à ce stade le scénario économique projeté n’est que modérément affecté par la remontée des coûts de financement. La bonne tenue des obligations périphériques européennes suggère aussi que l’aversion au risque des investisseurs reste compensée par les rendements servis.
  • La dette des entreprises les mieux notées étant adossée à des bilans et à des trésoreries solides, ces dettes sont logiquement encore recherchées, d’autant que la croissance mondiale reste bien orientée. En revanche, la forte dégradation du « High Yield » révèle que la quête de rendement par les investisseurs devient plus sélective et qu’une discrimination qualitative émerge désormais.
  • La baisse concomitante des obligations et des actions a été attisée par la crainte d’une remontée de l’inflation et par l’inflexion des politiques monétaires que cela peut induire. Les capitaux ainsi dégagés se sont portés sur le cash, mais cette situation ne peut être que temporaire. L’analyse de la collecte de chacune de ces deux classes d’actifs éclairera quant au scénario économique et financier envisagé par les investisseurs. Dans un contexte un peu plus inflationniste, les actions seront a priori privilégiées par rapport aux obligations. À noter toutefois que le rendement des obligations dépasse désormais parfois celui des dividendes versés sur les actions, comme c’est par exemple le cas aux États-Unis.

Les actions

  • Violent décrochage des actions début février, mais la moitié de cette baisse est finalement effacée en fin de mois. Il s’agit là du plus fort recul depuis janvier-février 2016 pour les indices américains, pourtant réputés être les moins versatiles.
  • Le choc sur les actions a démarré aux États-Unis, mais l’ampleur de la correction a finalement été la même en zone euro, au Japon ou dans les pays émergents si on corrige des effets dus aux fluctuations des devises.
  • Fort recul des secteurs les plus endettés (télécoms, services collectifs) ou bien les plus sensibles aux remontées de taux d’intérêts (immobilier). Bonne résistance en relatif des financières bénéficiant partiellement des hausses de taux, des secteurs cycliques (transports, médias) et de ceux modérément affectés par une remontée de l’inflation car étant capables de faire passer des hausses tarifaires (« pricing power »).
  • Les valeurs de croissance (« Growth ») se comportent plutôt mieux que les sociétés considérées comme décotées (« Value »).
  • L’ampleur de la baisse a été à peu près équivalente sur les sociétés de petites capitalisations que sur les grandes multinationales. C’est donc l’ensemble de la classe d’actifs des actions qui fait l’objet de dégagements.

Réflexions et conclusions induites :

  • L’amplitude et la vitesse du recul des actions américaines s’expliquent notamment par la liquidation forcée de stratégies financières désormais perdantes. Ainsi, beaucoup d’établissements financiers misaient depuis plusieurs années sur le tassement de la volatilité des actions américaines en vendant l’indice correspondant, le VIX. Jusqu’alors lucrative, cette stratégie devient moins pertinente dès lors que la « protection » des banques centrales s’estompe. Le VIX est brutalement passé de 10 à 50 et il ne revient que graduellement vers sa moyenne de long terme à 17. L’insuffisante liquidité de ces produits financiers a provoqué des liquidations très brutales et, par arbitrage, a induit des ventes massives sur les actions américaines. Cette baisse des actions est donc bien plus un phénomène FINANCIER que le reflet de changements dans le contexte économique.
  • Les investisseurs seront plus vigilants quant à la liquidité des supports financiers détenus en portefeuilles. Les petites et moyennes capitalisations, ou bien encore les marchés émergents, pourraient ainsi faire l’objet d’une « décote » lors des futures allocations financières.
  • Deux thématiques s’imposent pour les choix sectoriels en ce début d’année : la remontée des taux d’intérêts et celle de l’inflation. De plus, l’absence de rotation sectorielle significative en ce début d’année suggère que le scénario économique est peu modifié, ces deux risques potentiels étant identifiés depuis longtemps.
  • Les valeurs de croissance (« Growth ») restant recherchées malgré des valorisations jugées souvent élevées, c’est que l’hypothèse d’une croissance pérenne reste privilégiée par les investisseurs. Par ailleurs, malgré la forte sensibilité de ces sociétés aux remontées de taux d’intérêts, leur capacité à délivrer de la croissance et des bénéfices ne semble pas remise en cause à ce stade. En revanche, toute déception lors des publications de résultats sera sévèrement sanctionnée.
  • Les fortes révisions en hausse de chiffres d’affaires et de résultats des entreprises lors des publications trimestrielles ayant diminué le risque de sur-valorisation des actions, la dynamique de cette classe d’actifs reste donc favorable.

Les devises et les matières premières

  • Léger rebond du Dollar en février qui regagne autour de +2% face aux principales devises, mais qui cède toujours près de -2% depuis le début d’année.
  • Au vu de l’ampleur des variations sur les actions et les obligations, il n’y a pas eu de réaction significative sur les devises dites « refuge », tel le Franc Suisse ou le Yen.
  • Forte volatilité du pétrole qui cède provisoirement -10% en début de mois, avant d’effacer ensuite la moitié de cette baisse.
  • Léger recul de l’or dont les fluctuations ont été inversement proportionnelles au rebond du Dollar durant cette période.

Réflexions et conclusions induites :

  • Les grands chocs financiers engendrent toujours d’importantes variations sur les devises du fait des rapatriements de capitaux que cela induit. L’absence de mouvement significatif sur les devises est donc rassurant. Le choc financier qui vient d’intervenir est avant tout technique et il ne semble pas remettre en cause de façon significative les allocations diversifiées des investisseurs.
  • Les obligations et les actions ayant baissé simultanément, l’or aurait pu servir temporairement d’actif refuge … et cela n’a pas été le cas ! Les investisseurs restent donc plutôt sereins, même si cette alerte incitera à plus de prudence quant à la liquidité des actifs financiers détenus.
  • Les fluctuations du Dollar continuent d’avoir une forte influence sur les prix des matières premières : lorsque le billet vert monte, les matières premières baissent et réciproquement. Cette relation s’est encore vérifiée durant ce mois, mais les mouvements sur le pétrole ont été exacerbés à la fois par l’ampleur de la hausse qui avait précédé, mais aussi par plusieurs statistiques de stocks pétroliers (américains notamment) et par des déclarations de l’OPEP qui ont accentué sa volatilité.

Conclusions :

La fin de la protection « inconditionnelle » des banques centrales, même très graduelle et étalée dans le temps, révélera des prises de risques financières excessives par certains investisseurs, d’où de possibles chocs financiers ponctuels et plus de volatilité à attendre sur les marchés.
Notre scénario économique reste inchangé : la croissance devrait être solide et bien synchronisée à travers le monde entier. Bien qu’un peu d’inflation ressurgisse, cela ne devrait pas être pour autant un sujet de préoccupation majeur car l’intensité de la concurrence internationale et la montée en puissance du commerce électronique (Amazon,…) tempèrent ce risque.
Notre vigilance se porte actuellement surtout sur les tensions croissantes dans les relations commerciales entre les États-Unis et certains de ses grands partenaires commerciaux, notamment avec la Chine. La tentation protectionniste monte afin de tirer le plus grand profit possible de l’actuelle reprise économique. Toutefois, ce risque de choc « politique » nous semble encore insuffisant à ce stade pour justifier un changement dans nos convictions et nos allocations financières.

L’éclairage du gérant – Marchés financiers – Février 2018

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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