Date de publication : 9 mai 2018

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Les sociétés de technologies surperforment nettement les autres secteurs en bourse

Depuis de nombreuses années, les sociétés de technologies surperforment nettement les autres secteurs en bourse, d’où l’attachement que les investisseurs leur portent. Toutefois, des décrochages aussi soudains que violents entrecoupent ponctuellement leur ascension. Depuis la mi-mars 2018, Apple, Amazon, Facebook, Tesla,… reculent sensiblement mais elles semblent cette fois-ci peiner à effacer ces replis. Faut-il voir dans ce comportement atypique l’amorce d’une remise en cause de cette thématique en bourse ? Autrement dit, est-il temps de prendre ses bénéfices sur les sociétés de technologies ?

Le crépuscule des « idoles » ?

Bien que concomitants, les récents décrochages boursiers endurés par plusieurs sociétés emblématiques de la technologie semblent avoir des fondements très distincts.

Facebook, Google,… : l’usage abusif de données confidentielles.

« Si c’est gratuit, c’est vous le produit ! » Les utilisateurs de nombreux sites Internet consentent à dévoiler des informations personnelles en échange de prestations « gracieuses ». Autrement dit, ils acceptent d’être les destinataires de publicités de plus en plus ciblées. Toutefois, plusieurs scandales récents ont mis en évidence que l’ampleur des données collectées et stockées dépasse de beaucoup ce qui semble nécessaire ou acceptable, que la protection de ces données intimes est très insuffisante, et enfin que leur exploitation ou leur partage avec des entreprises tierces peut conduire à d’inquiétantes manipulations. Les scandales se multiplient : solvabilité financière d’individus dévoilée (« Equifax »), séropositivités divulguées (« Grindr »), « suggestions » politiques trompeuses (« Cambridge Analytica »), ciblages vidéos inappropriés et exploitation illégale de données d’enfants (« YouTube Kids »)… ! Ce qui devrait être un espace de liberté et d’accès à la connaissance devient une sphère d’enfermement et une source de suspicions multiples (« fake news », piratages en tout genre,…). Le développement des réseaux sociaux étant fondé sur le partage, lui-même dépendant de la confiance qu’on accorde, c’est donc la question de la croissance future de ces sociétés qui peut désormais poser question. Par ailleurs, les revenus de ces groupes résultant très majoritairement, voire exclusivement, de la publicité, leur modèle économique est donc potentiellement compromis.

Amazon,… : l’emploi cannibalisé ou délocalisé et une contribution fiscale dérisoire.

Les tweets virulents de D.Trump à l’encontre d’Amazon s’expliquent manifestement par son hostilité à l’égard de J.Bezos : plus grande fortune au monde, Démocrate convaincu, et propriétaire du Washington Post qui critique ouvertement le locataire de la Maison Blanche. En réalité, Amazon crée des emplois aux États-Unis comme ailleurs, permet à l’US Post de gagner de l’argent grâce au transport des marchandises qu’elle assure, la société est ancrée dans l’économie réelle (Kindle,…) et elle contribue à améliorer la visibilité et l’activité de plusieurs milliers de PME via son site marchand, et enfin le groupe paie des impôts dans chacun des États des États-Unis ! Toutefois, à quelques mois des élections de mi-mandat, l’argument avancé par D.Trump d’une destruction nette d’emplois engendrée par Amazon fait mouche auprès d’électeurs par ailleurs persuadés que les étrangers s’approprient leurs « jobs », tant sur le sol américain qu’à l’international. À l’instar de toute multinationale, le groupe Amazon débourse finalement peu d’impôts car tirant profit de la compétition fiscale que se livrent entre eux les pays (il s’agit toutefois là d’une situation d’optimisation fiscale et non pas d’une fraude fiscale !). Les reproches faits à Amazon peuvent plus généralement être imputés à l’ensemble des multinationales du secteur ayant un développement très rapide et tentaculaire, la hantise étant alors que ces sociétés qui sont souvent en situations d’oligopoles, voire de monopoles, n’échappent désormais à l’emprise des États. Par conséquent, s’il convenait de freiner leur expansion, voire d’envisager de les scinder en plusieurs entités distinctes, la question de l’intégrité du périmètre de ces entreprises deviendrait un véritable sujet de société et une préoccupation majeure pour leurs actionnaires !

Apple,… : la créativité déclinante incite à pratiquer l’obsolescence programmée.

L’aptitude d’Apple à renouveler son catalogue de produits innovants s’essouffle depuis plusieurs années : fini l’effet « Waouh » ! La société a construit sa réputation sur le design, sur la qualité de ses produits, et sur sa faculté à constamment impressionner ses usagers par une « expérience utilisateur » très aboutie. Mais ce positionnement « haut de gamme » d’Apple, justifiant jusqu’alors d’appliquer des prix et des marges élevés, est désormais disputé par plusieurs concurrents majeurs, contraignant le groupe à tendre vers une offre plus « mass market ». L’effet volume devient désormais plus central dans son modèle économique. Il est dès lors particulièrement préoccupant que la société soit soupçonnée de dégrader intentionnellement la performance et la durée de vie de ses smartphones afin d’accélérer leur remplacement par la clientèle ! La question de l’obsolescence programmée n’est pas nouvelle, les secteurs des imprimantes, de l’électroménager,… étant suspectés depuis longtemps de telles pratiques. Mais, alors que les consommateurs sont de plus en plus sensibilisés par la nécessité de préserver l’environnement et que des produits alternatifs d’excellente qualité sont désormais proposés par les concurrents d’Apple, la réputation et les bénéfices de l’entreprise pourraient être mis à mal si ces soupçons étaient avérés.

Broadcom,… : les transferts technologiques vers l’étranger filtrés.

Le rachat de la société de semi-conducteurs Qualcomm par son homologue Broadcom, opération de 100 Mds $, a finalement été bloqué suite à l’avis défavorable émis par le Comité américain sur les investissements étrangers. Alors que la compétition pour le leadership technologique est engagée entre les États-Unis et la Chine, l’Administration Trump est particulièrement vigilante quant aux éventuels transferts de technologies hors du territoire national. Mais les opérations de fusions et acquisitions sont dans les gènes des sociétés de technologies. Il est en effet souvent nécessaire d’acquérir des briques technologiques qu’il serait trop coûteux ou trop chronophage de développer soi-même. Cette stratégie permet aussi parfois d’éliminer à un stade précoce des concurrents potentiels, confortant ainsi les perspectives de croissance de long terme de la société. Facebook, Google,… ne seraient pas les leaders qu’ils sont devenus aujourd’hui sans l’absorption d’Instagram, de WhatsApp, de YouTube ou encore de Waze ! Si les fusions et acquisitions étaient trop fréquemment bloquées par le régulateur américain, c’est la capacité même de ces groupes à innover et à grandir qui serait remise en cause, et il faudrait alors reconsidérer leur statut de valeurs de croissance et donc leur valorisation boursière. Par ailleurs, le flot régulier de fusions et acquisitions tend à entretenir une prime spéculative sur beaucoup de sociétés du secteur, primes qu’il faudrait comprimer, voire éliminer, si les autorités faisaient obstacle à ces opérations.

Un air de nouvelle ère … celle du réglementaire !

La revue des motifs expliquant les récents décrochages boursiers des sociétés technologiques conduit à un constat commun : une dose de régulation s’impose désormais !

De l’adolescence à l’âge adulte !

Beaucoup de sociétés emblématiques de la technologie sont encore très jeunes puisque n’ayant qu’une vingtaine d’années d’existence. Leur modèle économique a généralement une caractéristique commune : au-delà d’un certain seuil, un client additionnel ne coûte presque plus rien à l’entreprise, ce qui signifie que le chiffre d’affaires qu’il génère se convertit presque intégralement en bénéfices (surtout si la fiscalité a été optimisée !). Ces groupes accordent donc logiquement une priorité absolue à leur croissance, de façon à accéder au plus vite à ce « client marginal » et à satisfaire alors la rentabilité financière attendue par les divers « sponsors » que sont les créanciers et les actionnaires. L’agilité et la vitesse d’exécution sont donc indispensables pour réussir, la concurrence étant intense et la technologie développée pouvant très vite devenir désuète. C’est pourquoi les préoccupations sociétales (environnement, social, gouvernance) ont très souvent été reléguées au second plan. Mais les scandales récents démontrent qu’il n’est plus possible d’ignorer ces sujets, l’avenir de ces groupes pouvant désormais en dépendre. Maturité et prospérité de ces sociétés devront désormais aussi rimer avec respectabilité !

La confiance a ses limites !

Être « cool » ne veut pas dire être philanthrope ! L’auto-régulation morale des groupes de technologies relève a priori de la chimère, les intérêts financiers l’emportant hélas le plus souvent. Ainsi, l’énergie considérable qu’elles déploient lorsqu’il s’agit d’effectuer de l’optimisation fiscale aurait par exemple tout aussi bien pu être consacrée à mieux protéger les intérêts de leurs utilisateurs, mais il n’en a rien été ! Le « marketing » étant leur spécialité, il faut s’attendre à des démonstrations de contrition et à de multiples promesses de corriger ces « erreurs de jeunesse ». Mais les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ! Les autorités sont aujourd’hui sous la pression du public pour réguler de façon beaucoup plus rigoureuse les pratiques de ces sociétés. Hasard du calendrier, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), élaboré par l’Union Européenne et qui s’y imposera à partir du 25 mai 2018, aura notamment pour caractéristique de responsabiliser beaucoup plus les entreprises lorsqu’il s’agit de collecter, stocker et exploiter des données personnelles. Il sera intéressant d’observer comment les sociétés de technologies internationales s’approprient ces nouvelles règles beaucoup plus exigeantes que leurs pratiques courantes, et de voir si cela s’imposera finalement comme une véritable norme internationale.

La régulation est-elle véritablement souhaitée ou souhaitable ?

En dépit des pressions populaires, la volonté de réglementer les pratiques de ces sociétés est-elle sincère ? Les « faiblesses » de l’audition de M.Zuckerberg par les sénateurs américains laissent plutôt imaginer que des contraintes a minima seront finalement imposées à ces groupes. Il est en effet délicat de fortement pénaliser des entreprises qui sont des créateurs massifs d’emplois et des sources de rentrées fiscales majeures pour le pays et qui, accessoirement, sont de très généreux donateurs lors des campagnes politiques. De plus, l’hypothèse de leur délocalisation à l’étranger serait catastrophique pour la croissance américaine, car tout un écosystème économique en dépend, c’est pourquoi il est indispensable de préserver un environnement financier et réglementaire accommodant. Par ailleurs, la volonté de la Chine de s’imposer désormais en tant que puissance technologique (« Made in China 2025 ») inquiète fortement les autorités américaines, d’où leur décision de contrôler très étroitement le risque de « pillages » technologiques. Les fusions et acquisitions devraient donc demeurer possibles, tant qu’elles resteront « domestiques ».

Est-il par ailleurs bien certain qu’accentuer les contraintes réglementaires soit finalement souhaitable ? La difficulté de l’Europe à ériger des géants dans le secteur provient en partie de l’excès de zèle réglementaire de Bruxelles et des États. Afin de complaire à ces nouvelles règles, les entreprises devront consacrer des moyens humains, matériels,… ce qui peut engendrer des surcoûts très élevés. Seuls les grands groupes seraient alors en mesure d’y faire face financièrement, les start-ups n’en ayant pas les moyens. Les situations de monopoles ou d’oligopoles seraient donc cristallisées et la créativité du secteur s’en ressentirait très fortement. L’offre de produits et de services du secteur s’appauvrirait d’autant, les petites sociétés étant vouées à ne plus être que des proies à terme pour les grands groupes, ou bien encore des faire-valoir afin d’éviter l’accusation de monopole. C’est alors l’ensemble des critères d’évaluation du secteur qu’il faudrait reconsidérer : croissance, compétitivité, rentabilité,…

Quelques considérations de marchés

Les sociétés de technologies focalisent régulièrement l’attention et les débats entre investisseurs. Traditionnellement, deux controverses s’imposent : leur croissance est-elle soutenable et ne sont-elles pas alors trop chères ? Désormais, les critères non financiers (environnement, social, gouvernance) s’ajouteront à ce duo. Personne ne voulant « tuer la poule aux œufs d’or », la régulation devrait rester « supportable » et des délais d’adaptation devraient être accordés aux entreprises, notamment aux start-ups, afin d’entretenir ce vivier créatif. En fin de compte, le juge de paix final à tous ces problèmes sera le consommateur/utilisateur ! Mieux vaut privilégier temporairement les groupes ayant des modèles économiques s’appuyant sur plusieurs sources de revenus distincts … Apple ou Amazon semblent ainsi moins exposés que Facebook ou Google. Parce qu’il n’est pas aisé d’identifier dès à présent les futurs gagnants ou perdants de ces régulations, mais aussi afin de limiter la volatilité en portefeuille, la diversification au sein des sociétés de technologies semble encore plus nécessaire qu’à l’ordinaire, ce que permettent précisément les instruments financiers indiciels (ETF) que nous utilisons dans notre gestion. Comme toujours, les publications de résultats trimestriels seront des rendez-vous essentiels pour ces sociétés. Elles chercheront à rassurer les investisseurs quant à leurs perspectives et rappelleront certainement à l’occasion que leur « agilité » devrait permettre de faire face à ces nouvelles contraintes réglementaires. De plus, les sociétés disposant d’une très forte réserve de trésorerie disponible pourront enfin procéder à des rachats de leurs propres actions en bourse, ces opérations étant systématiquement suspendues avant les publications de résultats, ce qui explique d’ailleurs certainement en partie l’accès de faiblesse récent de certains titres. Ces rachats d’actions seront autant de signaux de confiance envoyés aux investisseurs car sinon, pourquoi acheter des actions dont la valeur baisserait plus tard ? Les sociétés de technologies doivent retrouver un « momentum » plus favorable qui leur fait défaut aujourd’hui. Au demeurant, plusieurs introductions en bourse (Spotify, Dropbox) ont été menées avec succès alors même que le thème était contesté, ce qui démontre l’intérêt persistant des investisseurs pour les technologiques. Leurs solides fondamentaux nous semblent justifier encore une surexposition à cette thématique, d’autant qu’il serait très difficile de trouver un investissement de substitution aussi porteur sur la durée !

L’éclairage du gérant : Time to « Tech » Profit ?

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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