Date de publication : 1 février 2017

Le retour des grandes manœuvres boursières ?

Ce premier mois boursier de l’année 2017 semble bien terne au vu des performances des grandes classes d’actifs. Et pourtant, à y regarder de plus près, un phénomène se détache et, avec lui, une dynamique favorable pour les marchés d’actions : les Offres Publiques d’Achat (OPA) reviennent en force en Europe ! Essilor sur Luxottica (16.6Mds €), Safran sur Zodiac (10.2Mds €)… les « serpents de mer » boursiers émergent et les rumeurs enflent quant à de nouvelles opérations éventuelles.
Nombre d’OPA déclarées

Sources : Bloomberg, Wesave
Les OPA, c’est-à-dire le rachat d’une société par une autre, sont favorables aux actionnaires puisqu’une prime de contrôle de 20% à 30% est généralementaccordée par la société prédatrice. De plus, l’annonce d’une OPA provoque des spéculations de rapprochements additionnels.En effet, les entreprises concurrentes du secteur peuvent avoir intérêt à unir à leur tour leurs forces pour éviter de se laisser distancer par le nouvel ensemble. Des primes spéculatives viennent alors doper le cours de bourse de certaines proies potentielles. Par ailleurs, une OPA permet de mettre en évidence la valorisation qu’un industriel accorde à une entreprise, cette valeur devenant ensuite une référence durable pour les investisseurs.

Les signes se multiplient depuis l’été 2016 d’une accélération de la croissance économique mondiale.

Lorsqu’un dirigeant d’entreprise prend l’initiative de lancer une OPA sur une autre société, c’est qu’il considère pouvoir créer de la valeur à terme grâce à la constitution de ce nouvel ensemble. Il s’agit donc indiscutablement d’un message de confiance quant aux perspectives à venir. En dépit des nombreuses incertitudes politiques persistantes, les signes se multiplient depuis l’été 2016 d’une accélération de la croissance économique mondiale. La multiplication des OPA peut donc être interprétée comme une manifestation de confiance des entrepreneurs dans la pérennité du cycle économique, ce que corrobore par ailleurs depuis plusieurs mois la forte hausse boursière des titres dits « cycliques ».
Une OPA est aussi une manière pour le chef d’entreprise de gagner du temps. En effet, plutôt que de réaliser ex-nihilo un investissement avec tous les risques d’exécution que cela peut impliquer, acheter un concurrent permet d’obtenir immédiatement la taille critique désirée. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’une brique technologique qui manque à la société. L’OPA permet alors à la société prédatrice de réaliser des gains de capacité ou de productivité. En revanche, à l’échelle macro-économique, l’OPA étant un substitut à l’investissement, la dynamique de ce dernier pourrait éventuellement décevoir encore un peu cette année.

Acheter un concurrent permet d’obtenir immédiatement la taille critique désirée.

Suite au rapprochement de deux entreprises, le nouvel ensemble peut offrir une gamme de biens ou de services enrichis, et conforter ainsi sa part de marché vis-à-vis d’une clientèle parfois versatile (cf. développement des « comparateurs » sur internet,…). Cette amélioration du rapport de force permet notamment d’imposer plus facilement ses prix à la clientèle. De même, le pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs s’améliore puisque la taille critique de la société est plus importante, ce qui permet de mieux maitriser ses coûts et donc d’améliorer ses marges bénéficiaires. Disposer d’une plus grande envergure permet enfin d’obtenir des conditions financières souvent plus favorables lorsqu’il s’agit de discuter avec certains créanciers (cf. facilités bancaires, taux d’intérêts plus avantageux, …).
L’attrait financier de ce type d’opération peut, bien entendu, se doubler d’importantes économies à réaliser sur des budgets qui deviennent redondants entre les deux sociétés rapprochées. Ainsi, le marketing, la comptabilité, l’informatique,… peuvent faire l’objet d’économies significatives. De même, la perspective d’une baisse de la fiscalité sur les entreprises (cf. Le retour annoncé des paradis fiscaux ?) améliore la faisabilité et la rentabilité potentielle du rapprochement entre les entreprises. Bien entendu, le risque de « casse sociale » avec d’importants licenciements, ou encore le risque d’abus de position concurrentielle, peuvent être le corolaire de ces fusions. C’est pourquoi les responsables politiques et les autorités de l’anti-trust sont particulièrement vigilantes quant aux conséquences de ces rapprochements structurants, quitte à parfois les interdire.
Mais, aujourd’hui, bien des pays européens sont confrontés à des pouvoirs politiques affaiblis ou qui risquent d’être évincés prochainement (cf. nombreuses élections). De plus, dans l’hypothèse où il serait nécessaire d’organiser la défense de certaines sociétés nationales, les marges de manœuvre budgétaires des Etats sont particulièrement étroites. Enfin, le renforcement du Dollar face à l’Euro (et bien plus encore face à la Livre Sterling !) rend plus abordable l’acquisition d’une entreprise européenne par un groupe américain, gommant de fait une partie de la prime d’acquisition. C’est pourquoi la « fenêtre de tir » pourrait être particulièrement propice aux OPA pour certaines entreprises prédatrices. Par ailleurs, le « Brexit », la montée des protectionnismes (cf. D.Trump),… sont autant de sources de déstabilisation potentiellement fortes pour les Etats ou pour la zone qui peuvent avoir intérêt à constituer en urgence des champions qui seraient mieux parés pour faire face à la concurrence internationale. Parce que les autorités sont affaiblies ou bien au contraire avec leur bénédiction, les rapprochements « patriotiques » entre entreprises européennes pourraient surprendre par leur ampleur cette année.

Des pays européens sont confrontés à des pouvoirs politiques affaiblis.

Cette opportunité «politique » se double d’une incitation financière particulièrement forte : les taux d’intérêts sont historiquement bas, mais ils remontent désormais. Ainsi, placer sa trésorerie ne rapporte plus rien à l’entreprise. A condition d’être confiant dans les perspectives économiques, ce qui est le cas aujourd’hui, mieux vaut alors employer cette trésorerie autrement, comme par exemple en rachetant un concurrent. De même, s’il est nécessaire de financer par endettement tout ou partie de cette acquisition, mieux vaut en accélérer la prise de décision. En effet, puisque les taux d’intérêts remontent, retarder la décision renchérit d’autant le coût futur de l’opération, et un concurrent pourrait prendre les devants pour profiter de ce contexte très favorable.

Placer sa trésorerie ne rapporte plus rien à l’entreprise.

Le thème des OPA devrait donc être un ressort important pour les marchés d’actions en 2017, atténuant d’autant leur potentiel repli ou la durée de ces replis en cas de turbulences boursières.

L’éclairage du gérant – Le retour des grandes manœuvres boursières ?

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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