Date de publication : 4 avril 2018

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America First !

« America first ! », tel fut le message adressé en septembre 2017 par D.Trump aux dirigeants du monde entier lors de sa première allocution à l’ONU. L’Administration américaine démontre aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’un simple slogan voué à être relayé sur Twitter, les États-Unis voulant imposer d’importantes mesures protectionnistes à leurs partenaires commerciaux. Cette décision est-elle l’amorce d’une révision en profondeur du libre-échange international, et quelles peuvent en être les conséquences économiques et boursières ?

L’échange juste (« Fair Trade ») plutôt que le libre-échange (« Free Trade »)

Les États-Unis ont une balance commerciale structurellement déficitaire vis-à-vis du reste du monde, atteignant désormais un niveau record depuis 2008. Les choix historiques de spécialisation économique du pays l’ont amené à privilégier toujours plus les activités tertiaires au détriment de l’agriculture et de l’industrie. Par ailleurs, le moindre coût du travail ou bien une meilleure qualification de la main d’œuvre étrangère, l’accès aux matières premières, des contraintes environnementales moins regardantes, s’emparer de marchés internationaux, une fiscalité avantageuse, constituaient autant de motifs justifiant de délocaliser ou d’importer de l’étranger certaines productions. Ce faisant, les entreprises américaines ont dopé leurs bénéfices, favorisant l’enrichissement national (les actionnaires et les salariés, les retraités via les fonds de pensions, l’État via la fiscalité prélevée), tout en stimulant concomitamment le développement de pays étrangers. Le consommateur américain a pour sa part vu son pouvoir d’achat démultiplié grâce à ces produits importés peu chers. Pourquoi alors remettre en cause le libre-échange ?

Lors de l’élection présidentielle, D.Trump a obtenu un nombre important de votes en promettant de sauver ou de créer beaucoup d’emplois sur le territoire américain et en pérennisant la croissance économique : « Make America Great Again ! ». Pour ce faire, les entreprises américaines ou étrangères sont incitées à investir de nouveau aux États-Unis. L’importante baisse d’impôts sur les entreprises, l’allègement de la fiscalité sur les capitaux rapatriés de l’étranger, ou bien encore le projet de dépenses massives dans les infrastructures du pays, sont cohérents avec ces objectifs. Mais ces aides budgétaires et fiscales ne peuvent produire leurs effets que sur le long terme. En attendant cette échéance, une grande partie de ces soutiens profite à des entreprises étrangères, dégradant encore plus la balance commerciale nationale. Afin de limiter ces « fuites » qui seraient notamment la conséquence du libre-échange, l’Administration Trump veut imposer des taxes sur certains produits en provenance de l’étranger, rétablissant par la contrainte ce qu’elle considère être un échange « juste ».

Le calendrier de diffusion de ces messages protectionnistes n’est toutefois probablement pas dénué d’arrière-pensées. Démontrer que les promesses de campagne sont respectées est d’autant plus important que se tiennent cet automne les élections de mi-mandat américaines, avec à la clé le maintien du contrôle du Congrès. Le débat autour du protectionnisme présente de plus l’avantage pour D.Trump de détourner en partie l’attention des médias de ses éventuelles relations adultérines, mais surtout de l’imminent rapport du procureur spécial R.Mueller quant aux possibles ingérences de la Russie durant l’élection présidentielle. Alors que la Chine se dote potentiellement d’un « Empereur » à vie et que le « Tsar » V.Poutine a été réélu pour un quatrième mandat de six ans, D.Trump est lui aussi tenté d’affirmer son autorité et celle de son pays en freinant économiquement ou diplomatiquement ces concurrents majeurs … ego et géostratégie convergent parfois ! Dénoncer certaines relations multilatérales (Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement, Accord de Libre-Échange Nord-Américain, Partenariat Trans-Pacifique,…) afin d’établir à leur place des échanges bilatéraux est une tactique plutôt habile, le nouveau rapport de force favorisant a priori les États-Unis du fait de la puissance économique et militaire du pays. De ce point de vue, la solidarité entre pays de la zone Euro pourrait être sous pression. En effet, l’Allemagne dégageant des excédents commerciaux majeurs vis-à-vis des États-Unis, elle sera logiquement la cible de mesures protectionnistes. Déjà affaiblie par le Brexit, par l’instabilité politique récurrente de ses États, mais aussi par des projets communautaires pas toujours consensuels (immigration,…), l’Union Européenne découvrira-t-elle des francs-tireurs dans ses rangs ?

Le commerce international n’est pas un jeu à somme nulle !

L’hypothèse implicite de la décision des États-Unis de mettre en place des mesures protectionnistes est que le libre-échange est un jeu à somme nulle : ce que l’un gagne, l’autre le perd ! Depuis 1817, l’économiste britannique D.Ricardo a pourtant démontré que ce postulat était erroné, les individus, les entreprises, ou encore les pays ayant intérêt à se spécialiser en fonction de leurs compétences et de leurs atouts spécifiques. Cette théorie, dite de “l’avantage comparatif”, démontre que la spécialisation, couplée au libre-échange, permet de disposer en cumulé de beaucoup plus de biens et services qu’auparavant … le “gâteau” à se partager est alors plus important. Remettre en cause le libre-échange est une régression, le débat autour de la répartition du “gâteau” aboutissant en fin de compte à sa diminution. De plus, la compression des effectifs dans l’industrie durant les dernières décennies s’explique avant tout par le progrès technique et les gains de productivité et non par l’ouverture au commerce international … le diagnostic est alors erroné ou bien, plus probablement, de mauvaise foi !

Les États-Unis ont décidé d’imposer une surtaxe de respectivement 25% et 10% sur l’acier et l’aluminium étrangers. Des exemptions temporaires ont toutefois été accordées au Mexique, au Canada, à l’Union Européenne, à l’Australie, à la Corée du Sud et au Brésil, c’est-à-dire paradoxalement les principaux exportateurs vers les États-Unis ! En réalité, la principale cible des États-Unis est la Chine, son déficit commercial représentant à lui seul près de la moitié (47%) du déficit total annuel (375 Mds $ pour un total de 796 Mds $) ! Afin officiellement de « riposter aux pratiques chinoises en matière de propriété intellectuelle dans le domaine de la technologie », 50 à 60 Mds $ d’importations chinoises seraient désormais surtaxées. Ces menaces protectionnistes sont bien évidemment un moyen de pression exercé sur les différents interlocuteurs afin de les contraindre à engager des négociations ayant des bases plus favorables pour les États-Unis. Mais aucun État souverain, aucune zone unifiée, ne peut tolérer une telle intimidation sans envisager d’engager des mesures de rétorsion. La rhétorique autour du terme « réciprocité » peut alors vite déraper en guerre commerciale ! La riposte chinoise, qui se veut « mesurée et proportionnelle », ciblera notamment l’agriculture, le prêt-à-porter américain,… autrement dit l’électorat de D.Trump.

Des tensions commerciales exacerbées auraient nécessairement d’importantes répercussions économiques mondiales. Les produits bannis du territoire américain seraient redirigés vers les autres marchés internationaux, d’où un surcroît d’offre non sollicitée par une demande préalable … leurs prix baisseraient ! Une dynamique de prix moins favorable décourageant les entreprises de produire du fait de moindres bénéfices potentiels, il faudrait réduire les capacités et comprimer les coûts, ce qui converge généralement vers des licenciements, privant les autres secteurs d’activité de clients potentiels. Pour protéger leurs concitoyens, la tentation du repli sur soi par des mesures protectionnistes tarifaires ou non tarifaires, pourrait séduire l’ensemble des zones. Les pays émergents, importants producteurs de matières premières et de produits à valeur ajoutée modérée, seraient les principaux perdants de conflits commerciaux qui prendraient de l’ampleur. Les tensions inflationnistes diminuant, les banques centrales retarderaient probablement la normalisation de leurs politiques monétaires, voire même redeviendraient ponctuellement accommodantes ! Ces inflexions monétaires ne manqueraient pas de déstabiliser les actuels équilibres entre devises. Il pourrait même être tentant de chercher à compenser le tassement d’activité par une « discrète » dévaluation de la devise et regagner ainsi un peu de compétitivité relative, la guerre commerciale débouchant alors potentiellement sur une guerre des changes.

Le paradoxe est que, même dans l’hypothèse d’absence complète de rétorsions commerciales, les États-Unis pourraient être perdants. Protéger les emplois dans l’acier et l’aluminium via des taxes additionnelles signifie aussi que les entreprises américaines ayant besoin de ces métaux devront les payer plus cher qu’auparavant. La profitabilité et donc les emplois des secteurs de l’automobile, de la construction aéronautique, de l’emballage,… seraient partiellement sacrifiés sur l’autel de quelques embauches dans la métallurgie. Par ailleurs, la production de certains métaux exige une technicité qu’il pourrait être difficile de reproduire … l’importation resterait alors inévitable, bien que plus onéreuse. Le libre-échange, en maintenant la pression concurrentielle et en élargissant les débouchés, favorise in fine la croissance et le pouvoir d’achat ! Les États-Unis subiraient un surcroît d’inflation et le consommateur final verrait son pouvoir d’achat se dégrader (notamment celui des plus modestes !), ce qui pèserait sur la consommation et la croissance nationale. Afin de lutter contre les pressions inflationnistes, la banque centrale américaine (FED) pourrait devoir rehausser plus vite et plus fort ses taux d’intérêts, pénalisant l’économie américaine par des conditions de financement plus restrictives. L’État américain pourrait plus particulièrement rencontrer des difficultés de financement si certains pays, traditionnellement acheteurs majeurs de sa dette souveraine, venaient à lui faire défaut. Ainsi, sans même entrer en conflit commercial, la Chine ou le Japon pourraient faire pression sur les États-Unis en privilégiant temporairement les obligations d’autres zones géographiques. Paradoxalement, l’Union Européenne ou le Japon pourraient profiter de ces tensions commerciales pour améliorer les termes de leurs relations avec la Chine, les États-Unis perdant en fin de compte de leur influence sur la scène internationale au profit des autres grandes puissances !

Le pire n’est jamais sûr !

Le débat autour du protectionnisme détourne, hélas, l’attention des bons fondamentaux économiques persistants : près de 4% de croissance mondiale, bien synchronisée entre les différents pays. Les investisseurs se doivent toutefois d’intégrer dans leurs allocations financières les aléas et les sources de volatilité que ces conflits commerciaux peuvent potentiellement engendrer. Ceci explique le fort recul des marchés d’actions en mars et le report favorable vers la “protection” qu’offrent les obligations souveraines.

L’Administration Trump ne peut toutefois prendre le risque de déstabiliser ou de fragiliser l’économie nationale avant les élections de mi-mandat, sous peine de subir un revers électoral sévère. Le décrochage de Wall Street affectant le patrimoine et la confiance des américains, il représente un avertissement qui sera certainement pris en considération par les autorités américaines. De plus, les américains sont pragmatiques dès lors qu’il s’agit de “Business”. Les exemptions accordées temporairement à certains pays accréditent plutôt l’hypothèse d’un protectionnisme “soft”. D.Trump est un “Deal Maker”, mais sa méthode de négociation est extrêmement déstabilisante car, d’habitude, les “pénalités” sont postérieures et non préalables aux tractations ! Le scénario le plus probable reste celui de quelques barrières douanières effectivement mises en œuvre, mais relevant plutôt du symbole, afin de maintenir la pression sur les interlocuteurs tant que dureront les négociations. Les perspectives économiques mondiales ne seraient alors pas menacées par ce “désordre” commercial temporaire !

Le principe de précaution nous a suggéré de restructurer nos allocations dans le sens de la prudence, bien que le scénario d’une guerre commerciale généralisée nous semble peu probable à terme. En attendant d’avoir plus d’éléments concrets pour conforter ou infirmer cette hypothèse, l’exposition aux actions “domestiques” nous paraît plus confortable que les grandes sociétés exportatrices. Le choix des secteurs à privilégier est en revanche complexe, les rationalités économiques pouvant être brutalement remises en cause par la décision d’un État d’en “punir” un autre par une frappe “chirurgicale”. Les thématiques de « rendement » (télécoms, services collectifs) offrent une forme de protection temporaire. L’environnement économique étant moins prévisible, les obligations d’entreprises sont moins recherchées, et les investisseurs se délestent même logiquement des obligations d’entreprises ayant des bilans fragiles (“High Yield”). Les obligations souveraines offrent un refuge temporaire, mais le risque inflationniste américain et le possible “veto” de certains acheteurs habituels de la dette souveraine du pays (Chine notamment!) nous incitent à être très circonspects sur cette dernière. En revanche, bien que sa rémunération soit faible, la dette européenne nous semble plus confortable. Nous conservons une forte prudence à l’égard des émergents qui semblent être une victime collatérale probable des tensions en cours, notamment ceux ayant des liens étroits avec la Chine.

Nous cherchons a priori un point d’entrée sur les actions. La période précédant les publications de résultats trimestriels pourrait toutefois rester difficile pour cette classe d’actifs, les sociétés étant contraintes de suspendre temporairement les programmes d’achats de leurs propres actions. Il sera particulièrement instructif de passer au crible les communications des entreprises quant aux impacts de ces tensions commerciales sur leurs perspectives : cela remet-il en cause certains investissements ou est-ce simplement leur localisation géographique qui change ? Pour les multinationales, le modèle économique consistant à produire localement pour vendre localement pourrait s’imposer encore plus qu’auparavant, ce qui bouleverserait les croissances respectives des différentes zones et justifierait de reconsidérer les allocations géographiques. Plus encore que d’habitude, l’allocation d’actifs sera un exercice complexe et nous partagerons avec vous nos convictions et leurs éventuelles évolutions dans le temps.

 

L’éclairage du gérant : America First !

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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