Aux États-Unis, le 6 novembre, l’éléphant Républicain sera une fois encore opposé à l’âne Démocrate lors des élections de mi-mandat. L’enjeu est important pour l’Administration Trump qui souhaite préserver la majorité parlementaire dont elle dispose aujourd’hui, tant au Sénat qu’à la Chambre des Représentants. De ces élections dépend la capacité de D.Trump à poursuivre la mise en œuvre de sa politique durant les deux prochaines années et, de là, d’envisager plus sereinement son éventuelle candidature à un second mandat présidentiel.
L’éléphant dans un magasin de porcelaine
D.Trump veut convaincre les électeurs américains que, grâce à sa politique “atypique”, il est parvenu à restaurer la puissance et la grandeur des États-Unis (“Make America Great Again”). Son raisonnement de faiseur de “deals” est aussi simple que cynique : les États-Unis étant la première puissance économique et militaire au monde, tout rapport de force bilatéral ne peut alors que tourner en leur faveur. C’est pourquoi il s’est systématiquement appliqué à contester, voire à remettre en cause, toute organisation internationale ou toute structure multilatérale à même de jouer les contre-pouvoirs face aux États-Unis. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le Partenariat TransPacifique (TPP), l’Accord de Libre-Échange NordAméricain (ALENA), le Traité de Libre-Échange TransAtlantique (TAFTA), l’accord de Paris sur le climat, … l’éléphant Trump a fait des ravages à tous les étages de ce magasin de porcelaines internationales si laborieusement modelées grâce à des années de négociations. Même l’indépendance de la sacro-sainte Réserve Fédérale américaine (FED) a été ébréchée par certains tweets de Trump, ce dernier lui reprochant de pénaliser la compétitivité des entreprises américaines (cf. hausse du Dollar) et de renchérir le coût de la dette (cf. hausse des taux directeurs) !
D.Trump s’est “logiquement” attribué tout le mérite d’une croissance annuelle américaine progressant de +4.1% au second trimestre 2018, soit la plus forte hausse depuis 2014 ! Mais c’est faire bien vite abstraction de nombreux non-dits ou revers désormais de plus en plus visibles. L’économie américaine doit à l’exceptionnelle baisse d’impôts accordée aux sociétés cette exubérance provisoire. En dopant les bénéfices des entreprises, cet allégement fiscal a permis de soutenir l’investissement, d’intensifier les embauches, et a autorisé le versement de bonus exceptionnels se retrouvant en fin de compte dans la consommation des ménages. Mais la contrepartie de cette “largesse” fiscale est que le pays voit son déficit budgétaire s’accroître brutalement, et qu’il dépend de plus en plus de la “bienveillance” des investisseurs pour son financement !
De même, si les publications de résultats des entreprises américaines atteignent des records, plusieurs d’entre elles ont été contraintes d’alerter les investisseurs quant à leurs perspectives d’activité : difficultés d’assumer les surcoûts dûs aux barrières tarifaires (cf. Whirlpool, Coca Cola ou Alcoa à cause de l’acier et de l’aluminium), effets des rétorsions internationales se faisant désormais sentir (cf. Harley Davidson envisageant de délocaliser une partie de sa production en Europe, ou encore l’effondrement du prix du soja américain suite au retrait des acheteurs chinois,…), et une remontée du Dollar qui pénalise leur compétitivité à l’étranger comme sur le territoire national. Plus emblématique encore, les avertissements lancés simultanément par les trois constructeurs automobiles américains ne laissent aucune place aux doutes : le protectionnisme tarifaire a déjà un coût immédiat et il pourrait engendrer une forte vague de licenciements sur le territoire national.
Un éléphant, ça trompe énormément !
Les priorités de communication de D.Trump afin de s’attirer les faveurs des électeurs devraient être : de souligner la bonne tenue de l’emploi, de rassurer quant au pouvoir d’achat, de mettre en avant l’amélioration du patrimoine des américains et, enfin, de chercher à faire vibrer la fibre patriotique en jouant sur la peur de déclassement des américains (“America First”). Bien que le taux de chômage soit seulement de 3.9% en août, l’avertissement lancé par les constructeurs automobiles américains a probablement inquiété D.Trump … tout comme certains électeurs ! L’impact sur le pouvoir d’achat des ménages dû à l’accélération de l’inflation (2.9% en juillet), entre autres du fait de la hausse des prix pétroliers (cf. tensions avec l’Iran) et du rehaussement des taxes à l’importation, sera mis en évidence par les Démocrates pour affaiblir le camp des Républicains. Le patrimoine immobilier et boursier ne s’est jamais aussi bien porté, mais la question de son inéquitable répartition devrait en revanche être débattue. Enfin, si l’hostilité à l’égard de la Russie et de la Chine peuvent mobiliser une partie de l’électorat, s’aliéner l’Europe semble bien plus inconfortable au vu des attaches historiques transatlantiques.
Afin de prouver l’efficience de sa politique de rupture systématique, il serait donc “opportun” pour D.Trump d’arracher quelques avancées commerciales à l’international, permettant aux Républicains d’exploiter ce succès auprès des électeurs. Par ailleurs, il est impossible aux États-Unis d’assumer autant de fronts simultanément et, plus important encore, il faut prévenir un éventuel rapprochement entre l’Union Européenne et la Chine. Au vu de sa dynamique, la Chine est en effet perçue par Washington comme étant le seul concurrent sérieux des États-Unis, c’est donc sur elle que la pression devrait se maintenir jusqu’aux élections … voire audelà ! Le pragmatisme explique donc probablement certains des revirements spectaculaires du Président américain en juillet : un accord semble à nouveau envisageable pour l’ALENA, et la réunion entre D.Trump et J-C.Juncker s’est soldée par un beau succès … de façade.
Au-delà de la “suspension” des menaces tarifaires et de quelques “promesses” d’achats de produits agricoles et énergétiques américains, l’Administration américaine cherche surtout à obtenir un front commun transatlantique contre la Chine. Mais une trêve n’est pas la paix, et D.Trump pourrait exercer à nouveau ultérieurement son chantage commercial sur l’Union Européenne puisque rien n’a semble-t-il été explicitement chiffré lors de cet “accord”, les États-Unis pouvant tout aussi bien renforcer leurs nombreuses barrières non tarifaires (normes, réglementations,…) ! Habilement, cet “accord” met en situation de confrontation les constructeurs automobiles allemands et les agriculteurs français … de quoi perturber les efforts de convergence entre membres de l’Union Européenne, déjà accaparés par l’imminence du Brexit. Si l’Europe et les États-Unis parviennent à s’entendre, D.Trump pourra plus facilement convaincre la Chine de modifier ses pratiques, Pékin étant prêt à tenir tête aux Etats-Unis mais ne voulant pas être isolé. En fin de compte, D.Trump n’a pas nécessairement besoin de voir des accords commerciaux être concrètement ratifiés avant les élections, il lui suffit de simplement persuader les électeurs que sa méthode de faiseur de “deals” est efficace.
Pour conforter les chances des Républicains d’emporter les élections de mi-mandat, D.Trump doit rassurer quant au pouvoir d’achat des ménages et préserver d’ici là la valorisation de leur patrimoine. Puisque les prix de l’immobilier ne peuvent décrocher brutalement d’ici à cette échéance, les prix du pétrole et la tenue de Wall Street sont en revanche deux focus importants pour le Président. Afin d’enrayer la dynamique haussière du pétrole, D.Trump a donc sollicité ses soutiens au sein de l’OPEP (l’Arabie Saoudite notamment), il a laissé entendre que l’ampleur des réserves stratégiques américaines de pétrole pourrait être abaissée, il a encouragé les producteurs américains à intensifier l’exploitation des champs pétroliers nationaux, et il a même feint de tendre à nouveau la main aux dirigeants iraniens ! Pour ce qui est de Wall Street, les tensions commerciales internationales en font jusqu’à présent plutôt un “sanctuaire” aux yeux des investisseurs internationaux, tant pour l’obligataire que pour les actions et le Dollar. D.Trump pourrait donc entretenir intentionnellement une certaine dose de stress, notamment à l’égard de la Chine, afin de préserver cet état de fait, tout en attisant le patriotisme des américains. Si le bras de fer avec l’Empire du Milieu devait en fin de compte plutôt affecter Wall Street, il serait toujours temps de relâcher diplomatiquement la pression !
Un éléphant peut en cacher un autre !
Du fait de l’ampleur des dérapages budgétaires américains, l’appréciation du Dollar pourrait s’estomper, ce qui ne manquerait pas de provoquer des ajustements significatifs sur les diverses classes d’actifs financiers. L’obligataire américain pourrait connaître une nouvelle phase de hausse de ses rendements, de façon à séduire les investisseurs internationaux. Un repli ou une simple stabilisation du Dollar soulagerait les actifs des pays émergents mais, si la pression devait persister sur la Chine, ce ne serait qu’un apaisement en demi-teinte … mieux vaut alors plutôt miser sur les zones qui subiraient moins les foudres de D.Trump : la zone Euro notamment, l’Allemagne en tête. Parce que les matières premières sont généralement inversement corrélées aux évolutions du Dollar, cela pourrait être aussi un nouveau signal d’achat de cette classe d’actifs. En fin de compte, les élections de mi-mandat pourraient être l’occasion pour les investisseurs de rééquilibrer leurs portefeuilles, sans pour autant remettre en cause l’allocation vers les actifs dits “risqués”.