Date de publication : 1 novembre 2016

Plus d’alignement des planètes ?

Depuis près de 2 ans, la thèse dominante guidant les allocations des investisseurs et des stratèges financiers sur les marchés européens était qu’il y avait un « alignement des planètes » justifiant d’être investi tant sur les obligations que sur les actions.
Cet « alignement des planètes » reposait sur 3 tendances concomitantes :

  • Un affaiblissement des prix des matières premières atténuant l’inflation, situation favorable au pouvoir d’achat des ménages et permettant simultanément aux entreprises de comprimer leurs coûts de production.
  • Des taux d’intérêts très bas du fait d’une politique monétaire extrêmement accommodante de la BCE, justifiée tout autant par la langueur économique européenne que par le risque de désinflation, voire de déflation, pesant sur la zone.
  • Un Euro s’érodant graduellement face aux grandes devises étrangères, avec pour effet de doper la compétitivité des entreprises européennes, tant à l’international qu’au sein de la zone.

Qu’en est-il désormais ?

Alors que le cycle économique mondial s’essoufflait déjà, la décision de la Chine de dévaluer sa devise en août 2015 a provoqué la crainte soudaine qu’une récession économique pourrait être imminente. Les investisseurs ont alors brutalement délaissé les actifs cycliques, et plus particulièrement les matières premières. En réalité, l’économie mondiale a tenu, ce qui explique qu’après les aberrations baissières de février 2016, les prix des matières premières se soient progressivement rétablis. Mais ces excès ont servi de révélateur aux producteurs de matières premières qui, afin de préserver leurs revenus, ont accéléré la restructuration de leur offre, notamment en fermant ou en mettant en sommeil de nombreux sites désormais non rentables, ou bien encore en s’imposant des quotas (cf. OPEP). Parce qu’une forte accélération économique mondiale semble très improbable, la demande de matières premières ne devrait que très peu croître l’an prochain. Dès lors, sauf choc d’offre additionnel, la dynamique de reprise des prix des matières premières est donc plutôt vouée à s’essouffler. Le facteur « matières premières » devrait donc être désormais moins favorable aux actifs financiers européens, sans toutefois pour autant devenir un handicap.

Parce qu’une forte accélération économique mondiale semble très improbable, la demande de matières premières ne devrait que très peu croître l’an prochain.

L’abondance de liquidités, notamment sous l’impulsion de la BCE, a été la seconde motivation clé justifiant de se porter sur les actifs européens. La mission première de la BCE étant de « piloter » l’inflation au travers de sa politique monétaire, la désinflation provoquée par le recul des prix des matières premières l’incitait à être particulièrement accommodante, d’autant que simultanément la distribution de crédit par les banques laissait encore à désirer. Mais l’actuelle remontée des prix des matières premières, tout comme l’amélioration de l’emploi et de son corollaire les salaires, restaurent graduellement un peu d’inflation et de perspective d’inflation au sein de l’Union Européenne. Néanmoins, l’ambition de la BCE de retrouver une inflation de 2% semble toujours hors de portée pour l’an prochain, notamment du fait des éventuels impacts récessifs du « Brexit ».
Le « Quantitative Easing » actuellement mené par la BCE, qui doit en théorie prendre fin en mars 2017, devrait de ce fait être prorogé. Mais la BCE a déjà aujourd’hui des difficultés à trouver la contrepartie pour les 80Mds€ d’obligations qu’elle cherche à acquérir chaque mois. Dès lors, l’allongement de la durée de son « Quantitative Easing » risquerait d’accentuer encore la pénurie de titres disponibles. Ce programme d’achat étant discrétionnaire, la BCE pourrait ainsi envisager d’en assouplir certaines contraintes (i.e. pourcentage de chaque émission qu’il est possible d’acquérir, répartition par pays,…), voire de réduire un peu l’ampleur de ses achats mensuels. C’est cette seconde crainte, dite du « tapering », tout comme l’effet d’entraînement haussier des taux d’intérêts américains, qui provoque actuellement un sursaut de volatilité sur les obligations européennes. Si les dirigeants de la BCE se doivent d’envisager les modalités d’une graduelle normalisation à terme de leur politique monétaire, sa mise en œuvre semble en tout état de cause bien prématurée au vu de la situation de nombreux pays périphériques (Grèce, Portugal, …) et de la perspective du « Brexit ». Encore accommodante l’an prochain, la politique monétaire de la BCE devrait être désormais un filet de sécurité boursier plutôt qu’une véritable impulsion favorable pour les actifs financiers européens.

La politique monétaire de la BCE devrait être désormais un filet de sécurité boursier plutôt qu’une véritable impulsion favorable pour les actifs financiers européens.

Ultime « planète », l’hypothèse que les entreprises européennes puissent réaliser des gains de compétitivité significatifs grâce à la faiblesse de l’Euro aura, jusqu’à présent, plutôt été démentie par les faits. Ainsi, face au Dollar, les bornes 1.05 et 1.15 délimitent un corridor de fluctuation tenace depuis 2 ans, et cela en dépit des nombreux aléas politiques qui auraient dû affaiblir l’Euro : « Brexit », absence de gouvernement en Espagne, référendum italien, élections à venir en France et en Allemagne,… De même, le « Brexit » ayant entraîné l’effondrement de -15% de la Livre Sterling contre l’Euro (autour de -20% sur l’ensemble de l’année 2016), les pays de l’Union Européenne ont donc un nouveau concurrent particulièrement compétitif et bénéficiant encore temporairement des « passeports » économiques européens. Seul le Yen s’est fortement apprécié face à l’Euro puisque progressant de près de +15% cette année et +25% sur 2 ans.
Les politiques monétaires respectives des principales banques centrales resteront bien entendu une source majeure d’orientation entre devises, le Dollar étant voué a priori à se renforcer selon ce critère. Toutefois, au-delà des taux d’intérêts, bien d’autres facteurs peuvent influencer significativement les devises : la croissance économique et l’inflation respective entre chaque zone, la dette publique, la balance courante, ou bien encore certains évènements géopolitiques. La croissance européenne devrait être pénalisée par le « Brexit », l’inflation pourrait progresser un peu, la dette et la balance courante dépendront comme toujours de la capacité de l’Allemagne à dégager des excédents budgétaires et commerciaux, et les aléas politiques devraient rester nombreux en Europe.

Le « Brexit » incite à des initiatives fédératrices au sein de l’Union Européenne.

Si de prime abord la valorisation des marchés d’actions européens peut paraître attrayante en relatif aujourd’hui, l’alignement des planètes est toutefois moins favorable : les matières premières, l’impulsion monétaire ou encore la compétitivité par la devise seront désormais plutôt « neutres ». Parce que le « Brexit » incite à des initiatives fédératrices au sein de l’Union Européenne, d’éventuels plans de soutiens budgétaires coordonnés pourraient en revanche insuffler une dynamique que les investisseurs n’intègrent pas aujourd’hui dans leurs modèles, mais bien des obstacles politiques devront être surmontés afin d’y parvenir.
Total des actifs au Bilan de la BCE (Mds €)
Sources : Bloomberg, WeSave
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Marchés européens. Plus d’alignement des planètes ? – L’éclairage du gérant

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

Category: Économie et marchés