Réunion de la banque centrale américaine : l’heure du bilan…
Le compte rendu de la réunion de la banque centrale américaine (FED) des 14 et 15 mars a surpris les investisseurs, les gouverneurs ayant débattu d’une possible réduction du Bilan de la FED ! La normalisation de la politique monétaire américaine pourrait prochainement franchir un cap additionnel. Si tel était le cas, quelles incidences cela pourrait-il avoir sur les marchés financiers et sur l’économie réelle ?
De quoi parle-t-on ?
La crise des « subprimes » a contraint la FED à adopter une politique monétaire extrêmement accommodante pour éviter les faillites bancaires en série et afin de faciliter l’octroi de crédits. Pour ce faire, les taux d’intérêts directeurs ont été ramenés au voisinage de 0%. Mais comme cela ne suffisait pas, la FED a engagé plusieurs programmes de « quantitative easings » successifs. Il s’agissait alors d’acheter des obligations hypothécaires ou bien encore des obligations émises par l’Etat américain afin d’injecter des capitaux dans le circuit financier et inciter les investisseurs à se reporter progressivement vers des actifs plus risqués. Cette stratégie a été payante puisque l’économie s’est redressée et que les rebonds des marchés financiers et de l’immobilier ont provoqué des effets de richesse importants. Par conséquent, la FED a pu remonter graduellement ses taux directeurs, les ramenant aujourd’hui au voisinage de 1%. Mais que faire des obligations acquises et stockées dans son Bilan ? Pour éviter tout soubresaut financier, la FED réinvestissait jusqu’alors sur de nouvelles émissions obligataires le produit des coupons qu’elle percevait et les capitaux des obligations arrivant à maturité. Ce faisant, elle avait stabilisé son Bilan à hauteur de 4500Mds$ (i.e. 20% du PIB américain). C’est ce programme régulier d’achat d’obligations qui pourrait être partiellement ou intégralement interrompu à partir de 2018.
Bilan total de la FED (en Mds $)
Sources : Bloomberg, WeSave
Comment procéder ?
La hantise de la FED serait de provoquer, par ses agissements, un krach financier qui déstabiliserait à son tour l’économie réelle. C’est pourquoi elle préfère indiquer très en amont ses intentions aux investisseurs. Les prochaines communications de la FED quant à son Bilan seront donc tout particulièrement scrutées : quel calendrier, quels montants, quelles obligations seront concernées, y aura-t-il concomitance avec la poursuite de la hausse des taux directeurs, … ?
Le Trésor américain émet tous les mois près de 100Mds$ d’obligations dont 1/3 est systématiquement souscrit par la FED.
En effet, la FED aura par exemple 420Mds$ d’obligations arrivant à échéance sur la seule année 2018, soit 35Mds$ par mois approximativement. Aujourd’hui, le Trésor américain émet tous les mois près de 100Mds$ d’obligations dont 1/3 est systématiquement souscrit par la FED. Si la FED devait renoncer à l’intégralité de ses interventions, il faudrait donc trouver des investisseurs prêts à se substituer à elle. De plus, les programmes fiscaux et les soutiens budgétaires envisagés par l’Administration Trump devraient accroitre significativement l’ampleur des futures émissions du Trésor.
Afin d’assurer le financement de l’intégralité de ces projets, le Trésor américain pourrait être contraint d’offrir des taux d’intérêts bien plus élevés qu’aujourd’hui, ce qui pourrait déstabiliser la valeur du stock des obligations actuellement en circulation à travers le monde entier. Toutefois, certains investisseurs qui s’étaient reportés sur d’autres classes d’actifs du fait de la faiblesse des rendements obligataires pourraient être séduits par les rendements désormais proposés sur les obligations. Mais ces capitaux seraient alors par exemple ponctionnés sur les marchés d’actions, privant certaines entreprises du financement envisagé de leurs projets. La FED devra donc être particulièrement prudente dans ses retraits de liquidités pour éviter de déstabiliser les marchés financiers et l’économie réelle. La maturité du portefeuille d’obligations de la FED avoisinant les 8 années, c’est de toute façon un programme de très longue haleine qui s’annonce et qui fera donc l’objet de nombreux « réglages » additionnels.
La Banque Centrale Européenne (BCE) devra-t-elle en faire autant ?
Alors que la FED a déjà engagé une remontée de ses taux directeurs et stabilisé son Bilan, la BCE procède pour sa part encore à des achats mensuels de 60Mds€ d’obligations de la zone Euro. Si certains membres de la BCE souhaitent la voir revenir au plus vite à une politique monétaire orthodoxe, celle-ci ne pourra pas stopper ses achats rapidement. En effet, à la différence de la FED, la BCE a engagé son « quantitative easing » afin d’éviter l’implosion de l’Union Européenne (U.E.). Il s’agissait donc d’une décision plus politique qu’économique.
Le cycle économique américain est bien plus avancé que celui de l’Europe et certains établissements bancaires européens restent très fragiles
A ce jour, les distorsions entre pays de l’U.E. restent bien trop importantes pour interrompre ce soutien implicite aux Etats les plus faibles, d’autant que le « Brexit » pourrait s’avérer être très déstabilisant. Par ailleurs, le cycle économique américain est bien plus avancé que celui de l’Europe et certains établissements bancaires européens restent très fragiles (cf. Italie notamment). Ainsi que l’a logiquement confirmé M.Draghi, la BCE continuera donc ses achats mensuels d’obligations jusqu’en fin d’année. Le « quantitative easing » sera même probablement prolongé en 2018, mais son ampleur pourrait être encore comprimée, surtout si le retour de l’inflation se confirmait dans la durée.
Quelles conséquences pour les allocations de portefeuilles ?
La FED sera comme toujours prudente dans ses initiatives et dans sa communication, ce qui devrait atténuer la volatilité potentielle des flux financiers qu’elle engendrera. La divergence des politiques monétaires transatlantiques devrait plutôt bénéficier au Dollar et améliorer la compétitivité relative des entreprises européennes. Le risque semble toujours asymétrique sur les obligations souveraines, notamment aux Etats-Unis, dans la mesure où l’ampleur de l’inflation à venir semble sous-estimée dans les prix des obligations. Les taux d’intérêts ne pourront toutefois pas trop monter, sous peine d’effets récessifs qui forceraient de nouveau les banques centrales à redevenir accommodantes. La synchronisation économique mondiale retrouvée incite à privilégier encore les actions, bien que leurs valorisations soient plus exigeantes qu’auparavant.