Un jour ordinaire. Comme tous les mois, je reprends la plume pour mon éditorial. J’entreprends une fois encore d’analyser la conjoncture économique et boursière, afin d’envisager de possibles avenirs, d’autres lendemains. Ce faisant, j’espère aider les épargnants à améliorer leur retraite, à financer un habitat, à transmettre à leurs descendants,… Mais, de ces projets, de ce futur, cent trente citoyens en seront privés, ceci du fait d’une poignée de fanatiques. Non, ce vendredi 13 novembre n’est pas un jour ordinaire! Mais avoir peur du quotidien, renoncer à ses rêves, sacrifier ses valeurs, signifierait capituler face aux bourreaux. Aujourd’hui, comme demain, sera donc un jour ordinaire.
Liberté
L’Europe souffrira en 2016 de nombreux aléas politiques, ce qui justifie d’une certaine prudence Pouvoir exercer pleinement sa volonté, voilà la première aspiration des peuples. Mais plusieurs démocraties européennes sont aujourd’hui tiraillées entre, d’un côté, le devoir de laisser s’exprimer leurs habitants et, d’autre part, la crainte des conséquences économiques et sociales que ces votes peuvent engendrer. Ainsi, David Cameron a promis de convoquer d’ici la fin 2017 un référendum quant au maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne. Mais, afin de justifier le bien-fondé de cette démarche, il vient d’engager un bras de fer avec les instances et les dirigeants européens. Il conditionne ainsi son attachement à l’Europe au fait de voir confortés les privilèges spécifiques dont son pays bénéficie déjà, et veut négocier de nombreuses concessions et réformes additionnelles des institutions européennes. Encouragé par le fait que la Grande-Bretagne est la seconde puissance économique de la zone (i.e. 17% du PIB de l’U.E.) et que sa dynamique est bien orientée, ses prétentions sont de ce fait délibérément ambitieuses. Toutefois, au premier abord, ces revendications paraissent disproportionnées au regard des concessions envisageables par les 27 autres membres de l’Union Européenne. Mais les conséquences d’une sécession de la Grande-Bretagne («BREXIT») pourraient être «systémiques», tant pour l’Union Européenne que pour le Royaume-Uni lui-même (cf. vraisemblable indépendance de l’Ecosse dans ce cas), ce qui laisse espérer en définitive du pragmatisme des deux parties! Quelle que soit l’issue de ces négociations, puis du référendum, il est très probable que ces incertitudes engendreront un regain de volatilité sur les marchés financiers européens, et cela sur l’ensemble des classes d’actifs. Si la Grande-Bretagne est elle-même à l’origine de cette consultation populaire, l’Espagne subit en revanche les velléités séparatistes de la Catalogne. L’enjeu est majeur pour le pays puisque cette dernière est à l’origine de 20% du PIB national et qu’elle abrite 16% de sa population. Afin de stopper ce processus d’auto-détermination catalan, le gouvernement de Mariano Rajoy explore tous les arguments législatifs, constitutionnels et judiciaires à sa disposition. Mais il peut aussi compter sur le soutien des instances européennes qui excluraient la Catalogne de l’Union Européenne en cas d’indépendance. Cet imbroglio incitera toutefois probablement les investisseurs internationaux à différer d’éventuels placements dans le pays, ce qui nuira à la persistance de la reprise économique en cours. Pour sa part, le Portugal est désormais confronté à une alliance inédite des partis de gauche au Parlement, contraignant le gouvernement fraichement constitué (11 jours plus tôt!) à la démission. Dès lors, la pérennité des programmes d’austérité menés jusqu’à présent est plus aléatoire. Cette situation ne peut qu’inquiéter les créanciers du pays, d’où la tension subite des taux d’intérêts portugais. Au vu de la très forte dépendance du pays à l’égard des financements internationaux, cette précarité politique ne peut que susciter une défiance légitime à l’égard des actifs lusitaniens. En 2016, les sources d’inquiétudes «politiques» européennes seront dès lors nombreuses, ce qui devrait nourrir une certaine aversion au risque des épargnants, d’où des allocations financières peut-être plus prudentes ou plus activement gérées.
Egalité
Une plus forte convergence des croissances économiques caractérisera l’année 2016 En 2016, au vu de l’actuel consensus des économistes, la croissance des principaux pays développés devrait être un peu plus soutenue (2.2% contre 2% en 2015), mais sera surtout plus «harmonieuse». Bien entendu, comme toujours, ces conjectures seront soumises à de réguliers correctifs en cours d’année, de multiples facteurs imprévus en altérant l’exactitude. C’est pourquoi il est plus instructif de s’intéresser au second axe de ces anticipations: une plus forte convergence des croissances économiques. En effet, les allocations financières des investisseurs ne reposent pas fatalement sur le taux de croissance absolu des pays, mais plutôt sur leurs dynamiques. Ainsi, cette année, la France et l’Italie figurent parmi les plus fortes performances boursières européennes, bien qu’étant parmi les moins-disant en terme de croissance du PIB (respectivement 1.1% et 0.8%). L’Espagne, qui bénéficie pour sa part d’une croissance de 3.1%, voit son marché financier se débattre afin de sauvegarder l’équilibre. De même, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne affichent de piètres performances boursières en dépit de croissances confortables (respectivement 2.4% et 2.5%). Ce paradoxe peut s’expliquer en réalité par divers motifs. Ainsi que nous l’avons exposé précédemment, des facteurs de risques «politiques» potentiels ou avérés peuvent tout d’abord affecter spécifiquement certaines zones. Par ailleurs, les transformations économiques structurelles engagées par ces divers pays sont à des stades de maturité très variables, c’est pourquoi l’effet de levier résiduel est en fait bien plus puissant dans les pays dont le processus de réformes est le plus en retard. Plus généralement, les économies occidentales sont désormais désynchronisées, à tel point que certaines politiques monétaires vont dorénavant radicalement diverger. Ainsi, les Etats-Unis et le Royaume-Uni connaitront prochainement un relèvement de leurs taux d’intérêts directeurs, ceci de façon modérée et graduelle. En revanche, la Banque Centrale Européenne (BCE) devrait pour sa part prolonger et/ou accroitre son soutien monétaire exceptionnel («quantitative easing»). L’anticipation de ce schisme monétaire s’est traduite par une très violente appréciation du Dollar et de la Livre Sterling. Par cet effet «devises», les entreprises européennes bénéficient temporairement d’une compétitivité accrue, tant sur leurs marchés domestiques qu’à l’international. En revanche, les entreprises américaines et britanniques subissent la double peine: des pertes de parts de marchés et, de plus, lorsque leurs filiales vendent des produits libellés en Euros, la contrevaleur en Dollar ou en Livre Sterling de ces chiffres d’affaires est érodée par la dépréciation de ce même Euro. En outre, si cette situation venait à dégrader significativement leurs trésoreries, cela risquerait même de remettre en cause leurs politiques de versements de dividendes ou de rachats d’actions, ou bien pourrait les inciter à s’endetter déraisonnablement pour ce faire! Aux yeux des entreprises américaines ou britanniques, ce nouveau rapport de force entre devises peut en revanche rendre particulièrement séduisantes certaines proies potentielles en Europe: le coût de leur acquisition diminue, ces cibles bénéficient temporairement d’une meilleure dynamique, et elles offriront plus tard un effet de levier financier favorable lorsque l’Euro s’appréciera de nouveau! Mais la brutalité de ces variations de taux de changes est déstabilisante pour toutes les entreprises car elles se répercutent sur leurs décisions d’implantations géographiques, sur leurs stratégies commerciales, cela peut faire s’envoler le coût de leurs dettes,… En fin de compte, la convergence des croissances économiques entre pays développés risque d’être à l’origine de très nombreux stress pour les entreprises et pour les épargnants en 2016, tant les sources d’erreurs d’allocations seront importantes!
Fraternité
«Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité»
Des allocations grégaires intensifient le risque de volatilité des marchés Par cette formule, François Hollande a ajourné, avec la caution bienveillante de l’Union Européenne, certaines des contraintes budgétaires qui auraient dû s’imposer à la France. Les circonstances exigent bien évidemment un recentrage autour des missions régaliennes de l’Etat (police, armée, douane, justice), mais il aurait été très délicat de mobiliser rapidement les fonds nécessaires si des arbitrages budgétaires en avaient dépendu. Toutefois, bien que spontanée et réconfortante, la solidarité de nos partenaires européens sera certainement circonscrite, tant dans la durée que par son ampleur. C’est pourquoi, si la sécurisation du territoire et des citoyens est prioritaire, les réformes structurelles programmées devront néanmoins être mises en œuvre. Dans la mesure où une hausse de la fiscalité est exclue (cf. proximité de l’élection présidentielle de 2017), des coupes budgétaires ou bien des transferts de responsabilités de la sphère publique vers le secteur privé devront être envisagés, ceci afin d’alléger la dette et les frais de fonctionnement de l’Etat. Il est prévisible que l’Union Européenne intensifiera la coordination policière, militaire et douanière entre ses membres, mais aussi que la libre circulation des biens et personnes (i.e. espace Schengen) sera débattue, voire restreinte. Ces dispositions risquent d’écorner un peu les marges des entreprises européennes et d’allonger leurs délais de productions et de livraisons, mais en revanche pourraient favoriser certains secteurs (protectionnisme déguisé?) ou bien encourager le développement d’activités de services (sécurité, télésurveillance, téléconférence, traçabilité,…). Bien entendu, la colossale immigration dont l’Europe fait actuellement l’objet exacerbera les clivages et alimentera les tentations nationalistes et les replis sur soi (cf. résultats aléatoires des élections ou référendums à venir!). Parce que la pauvreté et l’ignorance favorisent la montée des intégrismes, il serait éventuellement opportun qu’un emprunt massif soit collectivement contracté par les pays occidentaux, ceci afin de profiter de taux d’intérêts historiquement faibles, les capitaux ainsi levés pouvant être consacrés à une aide d’ampleur en faveur des pays émergents. Une telle initiative permettrait de doper l’activité économique de ces zones mais aussi, par effet domino, celle de nombreuses entreprises occidentales. Les risques de conflits géopolitiques seraient atténués, et les populations locales seraient alors moins encouragées à immigrer. Si une telle initiative risque de demeurer utopique, la croissance économique des pays émergents sera, fort heureusement, plus favorable en 2016 (4.8% estimé contre 4.1% en 2015). En effet, l’an prochain, les prix des matières premières devraient se redresser progressivement (cf. fermetures de sites, arrêts des investissements,…), ce qui soulagera tout particulièrement les pays producteurs (cf. Russie,…). Une telle situation pourrait inciter les investisseurs internationaux à considérer de nouveau avec une plus grande bienveillance les marchés émergents. Mais si un tel regain d’inflation devait se confirmer (1.2% prévu en 2016 contre 0.1% cette année pour l’Europe occidentale), la BCE pourrait être amenée à suspendre plus vite que prévu sa politique monétaire accommodante, ce qui prendrait à revers la plupart des stratèges et allocations financières actuelles. Les scénarii économiques étant actuellement assez consensuels, les allocations financières qui en découlent le sont donc tout autant … toute surprise significative incite alors tous les épargnants à modifier leurs allocations simultanément, d’où une forte versatilité des marchés. C’est pourquoi, tout comme en 2015, les marchés financiers devraient être volatils l’an prochain, et la gestion tactique de court terme devra encore parfois l’emporter sur l’allocation stratégique de long terme.
Quelques considérations de marchés
En cette fin d’année, la FED et la BCE vont finalement officialiser le divorce de leurs politiques monétaires. Si la décision de la FED est désormais probablement pré-actée au travers des allocations des investisseurs (cf. comportement récent des courbes de taux d’intérêts américains, du Dollar,…), le risque de déception pourrait provenir de la BCE, tant les aspirations des stratèges sont élevées. Si tel était le cas, il faudrait alors s’attendre à un possible rebond provisoire de l’Euro et des matières premières, mais aussi à un repli fugitif des actions européennes. Malgré de possibles à-coups de forte ampleur, le Dollar devrait poursuivre son appréciation structurelle contre l’Euro. En dépit de l’inflexion monétaire américaine, la profusion de liquidités internationales perdurera l’an prochain. Cette situation devrait contenir toute remontée significative des rendements obligataires, mais aussi entretenir la recherche de rendements de substitution au travers des marchés d’actions. Si les prix des matières premières venaient à se tendre (cf. impact climatique potentiel d’El Niño), les anticipations d’inflation s’amplifieraient, ce qui conduirait les banques centrales à ajuster prématurément leurs stratégies monétaires, et les épargnants à remettre à plat leurs allocations stratégiques. L’aversion que les investisseurs ont manifestée à l’égard des marchés émergents pourrait s’estomper l’an prochain, dans la mesure où leur croissance accélèrera et que les effets devises pourraient y être plus favorables … une graduelle réexposition à cette thématique peut être éventuellement désormais envisagée pour les investisseurs de long terme, peu sensibles aux aléas de court terme des marchés. Si une surpondération des actifs européens est toujours justifiée du fait du soutien de la BCE, les aléas politiques qui affecteront la zone devront être scrutés de près … une gestion plus tactique devra être envisagée en 2016. Alors que depuis plusieurs années la reprise économique mondiale repose sur la consommation des ménages, l’investissement pourrait s’éveiller en 2016, et cela au-delà des simples opérations de fusions et acquisitions. Dès lors, certaines thématiques «cycliques» pourraient prendre le relai des valeurs «défensives» ou de «rendements», tout particulièrement prisées des investisseurs depuis plusieurs années, mais dont les valorisations tendues les exposent à d’importantes corrections boursières.