Date de publication : 3 novembre 2017

Une relance par la fiscalité aux USA contre-productive pour les marchés ?

L’hypothèse d’une baisse imminente de l’impôt sur les sociétés aux États-Unis a favorisé l’accélération haussière des marchés américains. Le Russell 2000, indice des sociétés de petites capitalisations boursières américaines, a ainsi gagné +8.64 % entre le 15 août et la fin octobre contre « seulement » +4.49 % pour le S&P500, les entreprises domestiques américaines étant celles ayant le plus à gagner de cette réforme fiscale. Mais la proposition de l’Administration Trump de baisser l’impôt sur les sociétés n’est-elle pas susceptible d’engendrer à court terme, puis à plus long terme, des évolutions boursières contrastées ? Le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, a lancé cette alerte mi-octobre : « Si la réforme passe, le marché continuera de grimper. Mais je suis sûr que si elle ne passe pas, vous allez voir une inversion significative de ces gains. » Cet avertissement est bien entendu une intimidation faite aux parlementaires réticents à donner leur aval à cette réforme fiscale, mais il est cependant en partie fondé. Parce qu’ils sont tenus de produire des études rigoureuses, les analystes financiers n’intègrent pas ou très peu l’hypothèse d’une baisse de la fiscalité des entreprises. En revanche, les investisseurs peuvent inclure de tels postulats dans leurs valorisations des sociétés. C’est pourquoi, bien qu’impossible à chiffrer avec précision, les cours de bourse incorporent déjà une partie du potentiel d’amélioration des bénéfices à venir des entreprises dû à cette réforme fiscale envisagée. L’actuelle cherté relative des actions américaines par rapport à leurs homologues internationales trouve là une explication partielle. Steven Mnuchin a probablement raison : si la réforme fiscale venait à échouer, les actions américaines baisseraient vraisemblablement, mais l’ampleur ou la durée de ce repli est impossible à anticiper avec précision.
Sans considérer un échec complet, l’ampleur de la réforme envisagée pourrait aussi décevoir. L’Administration Trump communique en effet sur l’objectif de ramener de 35 % à 15 % l’impôt sur les sociétés. Pour autant, les stratèges et la plupart des investisseurs retiennent une hypothèse plus vraisemblable de 20 % à 25 %. Au-delà des clivages politiques et de la personnalité controversée de D. Trump, la principale difficulté pour faire adopter cette réforme fiscale est que son financement est mal bâti. Pour compenser le déficit de recettes fiscales qu’il entraînerait, de très importantes économies sont envisagées, notamment sur la protection sociale : c’est le motif du débat animé entourant la réforme de l’Obamacare. L’Administration Trump souhaiterait ainsi économiser 1 000 Mds $ sur l’Obamacare (120 Mds $ par an). Mais les Démocrates, et même plusieurs élus Républicains, sont hostiles à une telle décision, car près de 23 millions d’Américains en souffriraient, et ce alors que se tiendront en 2018 les élections de mi-mandat. Le difficile assentiment des parlementaires, tant sur l’Obamacare que sur la baisse de fiscalité des entreprises, pourrait aboutir à un plan finalement édulcoré, et donc en deçà des attentes déjà prudentes des investisseurs. Si tel était le cas, les actions américaines pourraient là encore baisser. Toutefois, l’accord bipartisan sur le financement de l’État et sur le plafond de la dette négocié par D. Trump renforce la probabilité de trouver une proposition consensuelle sur cette réforme fiscale. Même dans l’hypothèse d’une réforme qui serait à la hauteur, voire qui dépasserait les attentes des investisseurs, il n’est pas impossible que ceci puisse paradoxalement entraîner des ventes sur les actions américaines. La très forte hausse des marchés américains a en effet engendré d’importantes plus-values boursières pour les institutions financières qui en sont détentrices. Dès lors, plusieurs d’entre elles pourraient être tentées de saisir l’opportunité d’une fiscalité allégée pour céder dans de meilleures conditions financières certaines participations. Le milliardaire Warren Buffett, référence pour de très nombreux investisseurs, a ainsi indiqué lors d’une interview accordée à CNBC que si son groupe cédait par exemple pour 1 Mds $ d’actifs, il serait imposé aujourd’hui à hauteur de 350 M $ alors que si la réforme fiscale était approuvée, il n’aurait à payer que 250 M $ d’impôts. À l’instar de Warren Buffett, de nombreux investisseurs pourraient être tentés, par effet d’aubaine, de céder des participations lorsque la fiscalité aura été abaissée.


Les vues exposées précédemment ne prennent en compte que des flux potentiellement sortants des marchés d’actions, mais il faut bien entendu aussi considérer le nécessaire réemploi des capitaux ainsi libérés et surtout envisager des flux financiers entrants. Une baisse de la fiscalité permettrait aux entreprises américaines de dégager plus de bénéfices pouvant être consacrés à des investissements de capacité et de productivité, et donc de créer des emplois additionnels. Si tel était le cas, ces entreprises reconstitueraient des perspectives de croissance d’activité et de bénéfices futurs, incitant les investisseurs de tous horizons àacheter ces sociétés en bourse. L’investissement des entreprises pourrait aussi s’effectuer sous la forme d’achat d’autres entreprises. En dégageant plus de bénéfices grâce à l’allègement fiscal, les trésoreries nettes seraient plus conséquentes, augmentant d’autant la capacité d’acquisition de sociétés concurrentes. De plus, l’abaissement de la fiscalité faciliterait l’atteinte du point mort financier après l’acquisition, d’où un moindre risque d’échec. À défaut d’investir, les sociétés pourraient aussi intensifier les dividendes versés à leurs actionnaires, ou bien elles pourraient doper les plans de rachats de leurs propres actions, de quoi nourrir encore plus la hausse de la bourse. Ainsi, les flux vendeurs issus de quelques institutions financières pourraient être largement compensés par les soutiens engagés par les entreprises elles-mêmes. De plus, le réemploi des capitaux cédés sur les actions est aujourd’hui complexe dans un contexte de remontée graduelle des taux d’intérêts, notamment du fait des moindres injections financières par les banques centrales.

En fin de compte, l’adage boursier « achetez la rumeur, vendez la nouvelle ! » s’imposera-t-il alors à brève échéance ?

Un repli temporaire des actions américaines peut être envisagé du fait de la réforme fiscale sur les sociétés. Toutefois, les investisseurs internationaux seront vite tentés d’acheter à nouveau ces mêmes actions plutôt que d’investir sur des obligations aux rendements très faibles, d’autant plus que les banques centrales pourraient précipiter leurs désengagements en cas d’accélération du cycle économique et de l’inflation, faisant alors baisser les marchés obligataires.

Une relance par la fiscalité aux USA contre-productive pour les marchés ?

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

Category: Économie et marchés