Bien des investisseurs sont aujourd’hui déboussolés par des marchés financiers qui semblent systématiquement prendre le contre-pied des fondamentaux économiques. Alors qu’en 2018 l’économie était encore solide et les bénéfices des entreprises confortables, tous les actifs financiers se sont effondrés. À l’inverse, depuis le début de l’année, les grandes institutions internationales ne cessent de réviser en baisse leurs projections économiques, de nombreuses entreprises tiennent des discours prudents quant à leurs perspectives, et pourtant tous les actifs s’apprécient désormais ! Comment expliquer ce paradoxe, et quelles dispositions l’épargnant doit-il éventuellement prendre pour ses placements boursiers ?
Action
En 2018, les investisseurs ont été confrontés à un contexte particulièrement complexe et atypique. Malgré la grande difficulté qu’il y avait pour eux à adapter leurs allocations d’actifs, ils n’ont eu d’autre choix que d’être finalement, et à contrecœur, dans l’action.
Ce n’est pas tant la dynamique économique qui posait question que l’influence néfaste du politique. Pour les investisseurs, l’économie peut être généralement résumée à quelques scénarios (pessimiste, optimiste et médian) auxquels on associe des probabilités d’occurrence. L’incidence du politique est en revanche beaucoup plus difficile à intégrer car c’est souvent un « tout ou rien » : une probabilité a priori faible, mais ayant un impact potentiel majeur … en finance, c’est ce qu’on appelle un « cygne noir » ! Plusieurs « cygnes noirs » ont survolé le territoire en 2018, et il n’est pas certain que l’un ou l’autre ne finisse par finalement se poser, infligeant aux épargnants un scénario catastrophe.
La guerre commerciale.
D.Trump et son Administration ont décidé de remettre en cause le principe-même des modalités de relations entre zones. À leurs yeux, le multilatéralisme doit laisser place au bilatéralisme, permettant aux États-Unis de pleinement tirer profit (certains diront « d’abuser » !) de leur poids à l’international : « America First » ! Leur cible principale a bien entendu été la Chine, car c’est le pays pouvant le plus légitimement revendiquer à terme le statut de leader mondial, leur conflit se cristallisant plus particulièrement sur les tarifs douaniers à acquitter. Toutefois, même un allié historique tel que l’Europe n’a pas échappé à ces nouvelles pratiques : les automobiles européennes pourraient faire l’objet d’une importante sur-taxation, les prix des médicaments européens vendus aux États-Unis pourraient être « administrés », le soutien militaire international des États-Unis n’est plus nécessairement garanti,… Impossible pour les investisseurs de rester indifférents à une remise en cause aussi radicale et brutale d’alliances tissées durant des décennies, le protectionnisme menaçant de l’emporter sur la coopération, ce qui aurait bien évidemment des incidences majeures sur les allocations d’actifs sur la durée. Le bras de fer commercial entre les États-Unis et la Chine demeure le centre d’attention de tous : à partir du 2 mars 2019 de très nombreux biens et services en provenance de Chine pourraient être frappés par d’importantes sur-taxations américaines, et des mesures de rétorsion ne manqueraient pas d’être adoptées par les Chinois. Les deux pays semblent être toutefois désormais disposés à trouver un terrain d’entente, D.Trump indiquant même être « flexible » quant à l’agenda initialement fixé : jusqu’à 60 jours additionnels de négociations pourraient être octroyés à cet effet. Un accord tarifaire semble certes probable, mais cela n’empêchera pas le conflit de vraisemblablement se porter ensuite sur le terrain du non tarifaire (réglementations, normes,…) et du judiciaire (cf. affaire Huawei). C’est finalement avant tout un bras de fer « technologique » que se livreront ces deux pays durant les prochaines années mais, leurs intérêts dans le domaine étant extrêmement inter-croisés, il est difficile de prévoir qui en sera la victime ou le vainqueur, notamment au niveau des entreprises elles-mêmes. Passée la bonne nouvelle de court terme due à l’effet d’annonce d’une fin apparente des hostilités, le différend commercial sino-américain sera finalement, aux yeux des investisseurs, encore moins prévisible et moins quantifiable qu’auparavant, et restera donc à l’origine d’épisodes de volatilité pour les diverses classes d’actifs. Ainsi, si D.Trump devait emporter un certain succès commercial à l’égard des Chinois, il pourrait par exemple être tenté d’employer les mêmes méthodes vis-à-vis de l’Europe, profitant de ce que la zone est politiquement et économiquement affaiblie et que les élections européennes approchent. Il convient dès lors de rester très circonspect quant à l’hypothèse d’une fin des tensions commerciales !
Le Brexit.
« Brexit », « No Brexit » ou « No Deal » ? Malgré l’imminence de l’échéance (fin mars 2019), le gouvernement et le Parlement britannique ne parviennent toujours pas à s’entendre quant à l’attitude à adopter et aux positions à défendre vis-à-vis de l’Union Européenne (UE). Les pro-Brexit considèrent que l’UE veut « faire payer » au Royaume-Uni sa décision, alors que les anti-Brexit pratiquent ce qui s’apparente à de l’obstruction parlementaire afin d’obtenir un nouveau référendum qu’ils espèrent pouvoir gagner. Prise entre ces deux feux, T.May cherche, mais sans succès, à imposer ses vues : le calendrier doit être maintenu, et ce sera « mon deal » ou bien un « No Brexit » ! Otage d’une situation qu’elle doit gérer au mieux, l’UE doit pour sa part empêcher que l’un de ses membres ne soit un jour tenté de suivre l’exemple du Royaume-Uni, d’où une nécessaire position de fermeté que la proximité des élections européennes (mai 2019) ne fait qu’accentuer. Parce qu’un « No Deal » aurait des effets désastreux sur une Europe déjà très affaiblie économiquement et politiquement, les observateurs espèrent que le pragmatisme l’emportera sur la passion, permettant d’atténuer les impacts de ce divorce. À ce jour, les différents protagonistes semblent tous vouloir éviter un « No Deal », mais cette hypothèse ne peut toutefois pas être définitivement écartée. Pour éviter le saut dans l’inconnu que représenterait un « No Deal », la tentation est bien entendu forte de s’accorder un délai supplémentaire, mais pour quelle durée, quel en serait le motif, et qu’est-ce que cela apporterait en fin de compte ? Les positions tranchées des uns et des autres seraient-elles susceptibles d’évoluer pour autant, et comment gérer le possible chevauchement avec le calendrier électoral européen ? Pour les investisseurs, il est toujours impossible de se prononcer quant à l’issue finale du Brexit, justifiant la forte décote appliquée aux actifs financiers de la zone. Quand bien même la question du Brexit serait finalement résolue, de nombreux points de faiblesse devraient encore être pris en considération : le surendettement de certains pays alors que la croissance ralentit (Italie), les difficultés à se réformer créant une « addiction » aux recettes fiscales (France), la dépendance extrême au commerce extérieur et l’orthodoxie budgétaire obsessionnelle (Allemagne),… Malgré ses nombreux atouts, l’Europe devrait, hélas, continuer de voir durablement le « politique » brouiller l’image projetée de la zone, démobilisant de ce fait beaucoup d’investisseurs internationaux.
(Sur)Réaction
Les deux « cygnes noirs » politiques que sont les tensions commerciales et le Brexit restent des menaces omniprésentes, et pourtant tous les actifs financiers montent fortement en 2019. Comment expliquer ce paradoxe ?
Les dirigeants des États et les banquiers centraux ne veulent à aucun prix être confrontés à une crise aussi intense que celle des « subprimes », car il a été extrêmement difficile et coûteux d’y faire face. Pour eux, il est désormais indispensable d’agir très vite et de stopper dans l’œuf tout dérapage économique ou financier, de façon à faire l’économie d’instruments d’intervention qui sont déjà « émoussés ». Les États et les banques centrales n’ont probablement d’autre choix que celui de la réaction, quitte même à parfois sur-réagir ! À ce stade du cycle économique, l’appétit pour le risque des investisseurs est donc désormais intimement lié aux « signaux » de protection émis par les États et les banquiers centraux.
Des politiques budgétaires et fiscales bienveillantes.
Parce que leurs mandats électoraux sont régulièrement remis en jeu, les dirigeants politiques sont généralement les premiers à activer les instruments budgétaires et fiscaux mis à leur disposition. Cette décision est d’autant plus facile à prendre que leurs successeurs devront le plus souvent en assumer le coût ! Malgré des niveaux d’endettement souvent très significatifs (cf. dette/PIB), la plupart des pays s’engagent manifestement à nouveau dans un cycle de soutiens budgétaires et fiscaux. L’intensité de la compétition internationale conduit généralement plutôt à un abaissement de la fiscalité sur les entreprises, et cette dynamique pourrait même s’accélérer dans les prochaines années suite à l’exemple donné par l’Administration Trump. Seule véritable exception, la fiscalité sur les sociétés technologiques qui pourrait en revanche être durcie. D’intenses réflexions internationales sont en effet menées actuellement afin de faire contribuer ces sociétés de façon juste et équilibrée au paiement des infrastructures, à la formation des employés,… dont elles bénéficient largement mais pour lesquelles elles cotisent finalement très peu grâce à des montages d’optimisation fiscale. Ce sujet est sensible car aucun pays ne veut casser la dynamique de ces sociétés et des écosystèmes qui les entourent, mais ils ne peuvent méconnaître ni les contraintes budgétaires, ni les revendications d’une plus grande justice sociale ! Pour ce qui est de la fiscalité sur les ménages, les inégalités de richesses et de patrimoines sont au cœur des débats dans le monde entier, et chaque pays y apporte sa propre réponse en fonction de ses impératifs politiques, sociaux, religieux,… La question principale qui se pose aux investisseurs est de savoir si le surcroît d’endettement engendré par ces mesures budgétaires et fiscales assure suffisamment de croissance économique pour couvrir, sur la durée, le coût de ces dettes … ce qui est une vaste question intergénérationnelle !
Des politiques monétaires neutres ou accommodantes.
La principale impulsion favorable pour TOUS les actifs financiers depuis la mi-décembre 2018 a été l’inflexion de discours des grandes banques centrales. Alors que les États ont des marges de manœuvre finalement restreintes, les banques centrales ont montré au travers de politiques monétaires hétérodoxes, les fameux « quantitative easings », qu’il leur était possible d’offrir des soutiens quasi illimités pour financer les économies. Selon les pays, ces financements sont plutôt assurés par les marchés ou par les banques, d’où l’attention toute particulière que les banques centrales portent à ces deux pivots financiers afin d’éviter tout « grippage ». Les États-Unis sont, par exemple, particulièrement sensibles aux financements via les marchés financiers. La banque centrale américaine (FED) s’est donc très logiquement inquiétée du soudain blocage complet des financements obligataires des entreprises fin 2018, alors même que le contexte économique restait finalement satisfaisant. Cette vigilance était d’autant plus justifiée que, les ménages étant fortement investis sur les marchés financiers pour leurs retraites, l’effet « patrimoine » négatif d’une baisse des marchés peut avoir une forte influence sur leur consommation (3/4 du PIB américain en dépendent !). La FED a ainsi été très (trop ?) réactive, et a signifié aux investisseurs qu’elle adopterait désormais un mode attentiste pour ses taux directeurs, voire qu’elle pourrait être également plus complaisante quant à la réduction de la taille de son Bilan. En Europe, le financement de l’économie passe bien plus par les banques que par les marchés financiers… il faut donc soutenir en priorité le système bancaire dès qu’il manifeste des signes de faiblesse. C’est pourquoi un nouveau plan de financement extrêmement avantageux (i.e. TLTRO) est en cours de préparation afin de permettre aux établissements bancaires d’accéder à de très importantes masses de capitaux pour un coût dérisoire, ces capitaux étant ensuite prêtés aux entreprises et aux ménages. Au vu du violent tassement de la croissance économique de la zone et de ses perspectives pour les deux années à venir, l’hypothèse émise par certains stratèges d’une remontée de ses taux par la BCE fin 2019 semble par ailleurs désormais caduque. Dans les pays émergents, plusieurs banques centrales ont même pris l’initiative de baisser leurs taux directeurs, ce qui est possible tant que leurs devises ne sont pas attaquées et qu’il n’y a pas de résurgence de l’inflation ! Pour les investisseurs, la principale question restera de savoir comment évolueront les prochaines statistiques économiques car la plupart des banques centrales ont explicitement fait comprendre qu’elles adapteraient leurs politiques monétaires en fonction de l’évolution de la conjoncture économique (« data dépendance ») : la croissance et l’inflation redeviennent alors des indicateurs clés ! Le principal risque pour les marchés financiers serait alors que les banques centrales aient été trop réactives et que les statistiques leur donnent tort d’avoir agi aussi précipitamment, un cadre d’investissement proche de celui de 2018 pouvant alors se mettre en place : une croissance honorable, un peu d’inflation (cf. matières premières), des risques politiques persistants, et des banques centrales tentées à nouveau de durcir leurs discours.
Précaution
Fin 2018, beaucoup d’investisseurs n’ont eu d’autre choix que de vendre « à tout prix » certains actifs qu’ils détenaient en portefeuilles, simplement pour faire face aux rachats de leur clientèle. Parce que leurs investissements étaient concentrés sur quelques thématiques consensuelles, ces actifs ont chuté extrêmement brutalement, faute de contreparties. Ceci a fait apparaître des décotes de valorisations que seuls des flux CONTRAINTS pouvaient justifier, hors scénario de récession économique mondiale. L’inflexion accommodante des discours des grandes banques centrales n’ayant fait qu’intensifier ces décotes, le rebond boursier des différentes classes d’actifs n’était donc pas une surprise. En revanche l’ampleur et la vitesse de ces rebonds boursiers a stupéfait la plupart des professionnels. Ce mouvement est-il susceptible de se prolonger encore ou bien le principe de précaution doit-il désormais l’emporter ?
Des valorisations désormais moins attrayantes.
Les publications trimestrielles des entreprises ont amené beaucoup de dirigeants à tenir des discours prudents quant à leurs perspectives, et les analystes ont dû réviser en baisse leurs prévisions de résultats, parfois même très sensiblement. Au vu du consensus, les sociétés américaines pourraient voir leurs bénéfices progresser de 3%-4% en 2019 quand les entreprises européennes ont un potentiel de 5%-6% et les émergents de 6%-7%. La progression des marchés financiers semble alors déjà refléter en partie les potentiels respectifs des zones, notamment si on applique une décote « politique » à l’Europe. La très vive appréciation de l’obligataire souverain et de celui des entreprises a fortement amoindri la protection par le rendement que cette classe d’actifs offre généralement aux investisseurs. Les matières premières ne sont pas en reste, puisque toutes s’apprécient également beaucoup depuis le début de l’année.
Des flux financiers équivoques.
Lorsque les valorisations ne sont plus un repère confortable, il convient généralement d’analyser les choses sous l’angle des flux boursiers potentiels. Les optimistes considéreront que le soutien des banques centrales est tel qu’il serait absurde de ne pas « surfer » sur cette vague à nouveau favorable. Les investisseurs ayant fortement révisé en baisse leurs attentes macroéconomiques et microéconomiques, les risques de déception sont moindres, et quelques bonnes surprises pourraient alors entretenir les hausses en cours. Par ailleurs, il est intéressant de noter que la hausse des actions se fait avec de la DÉCOLLECTE persistante, et que désormais les fonds américains détiennent près de 10% de leurs avoirs en cash (source : JP Morgan), ce qui est un plus haut depuis 10 ans. La hausse des marchés depuis le début d’année est donc une source de stress pour ces gérants qui ne sont pas rémunérés pour le cash qu’ils détiennent en portefeuilles : ceux-ci pourraient donc capituler et se forcer à acheter pour réduire le risque de sous-performance des actifs qui leurs sont confiés en mandat. Les pessimistes verront en revanche leur scénario conforté par une nette dégradation des statistiques économiques, et ils préféreront conserver des allocations prudentes, la préservation des actifs de leur clientèle étant primordiale tant que le contexte reste confus. Lorsqu’on affine l’observation des flux, il est intéressant de constater par exemple l’appétit croissant des investisseurs pour les thématiques de “rendement”, telles les obligations d’entreprises à haut rendement ou celles des marchés émergents, notamment en substitution à une exposition aux marchés d’actions. De même, la bonne tenue du Dollar qui est généralement plutôt considéré comme un actif « refuge », conforte l’hypothèse d’investisseurs préférant rester sur la défensive. Le cycle de hausse des actifs financiers n’est donc pas nécessairement achevé, mais le scepticisme et la prudence s’installent indéniablement dans l’esprit et les allocations des investisseurs.
Quelques considérations boursières :
Le contexte politique et économique reste difficile pour les investisseurs. Si quelques éclaircies « politiques » devaient avoir lieu, tel un accord commercial entre la Chine et les États-Unis, ce serait plus probablement l’occasion de prises de bénéfices qu’une opportunité d’accroître l’exposition aux actifs risqués : « Achetez la rumeur, et vendez la nouvelle » ! La « protection » offerte par les banques centrales nous semble fragile, tant par le fait que leurs instruments d’intervention offrent moins de robustesse que précédemment, mais aussi parce que tout signe de reprise de la croissance économique et/ou de l’inflation ferait craindre aux investisseurs une nouvelle inflexion de discours, mais cette fois défavorable ! Le soutien des banques centrales est nécessaire dans ce contexte confus, mais pas forcément suffisant. Il nous semble qu’il est donc désormais préférable d’adopter le « principe de précaution » vers les actifs sécurisés ou offrant du rendement ! Bien que 2018 ait démontré que la diversification des actifs ne soit pas toujours le refuge parfait, il nous semble que, sur la durée, cela restera néanmoins la meilleure des stratégies : les actifs « risqués » ou très sensibles aux inflexions de discours des banques centrales doivent être mutualisés autant que possible afin d’atténuer le risque spécifique auquel ils exposent les épargnants.
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