Chaque année, le 31 octobre, les enfants se voient proposer lors de la fête d’Halloween de choisir entre farce-attrape et friandise (i.e. « Trick or Treat » en anglais). Sur les marchés financiers, cette même période de l’année est souvent l’occasion d’interrogations importantes, elles-mêmes à l’origine de pics de volatilité sur la plupart des classes d’actifs, et 2021 n’a pas dérogé à cette règle. Mais qui dit nervosité et replis boursiers, dit aussi opportunités potentielles d’achats et de performances futures. Les investisseurs se voient donc proposer actuellement un « Trick or Treat » ! Nous voulons, au travers de cet Éclaireur, revenir sur les principaux questionnements actuels des marchés, exposer notre analyse sur ces sujets, et proposer les allocations d’actifs nous semblant alors adéquates pour aborder la fin d’année.
« Il n’y a que ceux qui possèdent qui ont peur de perdre. »
La patience n’est pas la vertu cardinale des investisseurs, et les conséquences inédites de cette crise sanitaire ne cessent d’en tester les limites. Comment en effet établir des tables de probabilités pour tel ou tel scénario futur, alors même que l’environnement est particulièrement complexe et que les statistiques atteignent souvent des extrêmes historiques dus aux effets de base sur un an ? Difficile de faire alors la part des choses entre ce qui est transitoire et ce qui sera durable, et de ne pas projeter imprudemment certaines tendances en cours.
Bien que l’expression soit inappropriée, car très exagérée, la principale crainte actuelle des investisseurs est qu’un scénario de type « stagflation » ne s’amorce. La « stagflation » est la situation d’une économie souffrant simultanément d’une croissance économique anémique et d’une forte inflation. Aujourd’hui, par effet de rattrapage, la croissance économique est bien évidemment extrêmement forte, mais qu’en sera-t-il l’an prochain et l’année suivante, quand l’effet ressort aura disparu ? Comment les entreprises pourront-elles encore produire si les semi-conducteurs, les matières premières, les employés… leur font défaut, comme c’est le cas aujourd’hui ? Faute de composants électroniques, le secteur automobile est obligé de fermer des usines entières, on ne compte plus les reports de lancement de biens électroniques (téléphones, consoles de jeux, télévisions…), et certaines entreprises n’envisagent un éventuel retour à la normale des approvisionnements en semi-conducteurs qu’en seconde partie de l’année 2022 (cf. actuellement, 56 semaines d’attente en moyenne, après le passage d’une commande) ! Le Liban est désormais obligé d’imposer à sa population et à ses entreprises des blackout énergétiques quotidiens, la Chine est contrainte de relancer en urgence l’exploitation de mines de charbon, le gaz fait défaut en Allemagne, et le Royaume-Uni va-t-il devoir limiter son activité du fait du manque d’essence frappant le pays ? Mais ces pénuries de matières premières, de biens matériels, de moyens de transport… se doublent souvent de celle de personnel qualifié. Partout dans le monde, l’hôtellerie, la restauration, le transport routier, et bien d’autres activités de services fonctionnent en sous régime, faute de personnel disponible. La croissance économique pourrait donc être décevante, d’autant que certains pays majeurs, telle que la Chine, inquiètent (cf. CHINE, LE COMMUNISME … TRIOMPHANT ?). Mais ce tassement économique se double, de plus, d’un risque d’inflation ! En effet, l’actuelle désorganisation des flux économiques internationaux et les diverses pénuries affectent les habituels équilibres entre offre et demande, et il est évidemment tentant pour les producteurs de profiter de ce rapport de force provisoirement favorable pour faire passer des hausses de prix, parfois spectaculaires même ! Le fret maritime a vu ses prix croître jusqu’à +314% en 10 mois, le pétrole a gagné +64% cette année, le panier des produits agro-alimentaires est +35% plus cher qu’en 2020, les fabricants de semi-conducteurs ont fait passer des hausses de prix souvent supérieures à +30%… De plus, soutenus par des taux d’intérêts historiquement bas, les prix de l’immobilier s’emballent dans bien des pays. Or, si les salaires des employés, les pensions des retraités… ne parvenaient pas à suivre le rythme de l’inflation, leur pouvoir d’achat diminuerait et, parce qu’il faudrait alors réduire sa consommation, la croissance économique risquerait de décrocher. De même, si les entreprises ne parvenaient pas à faire passer à l’acheteur final la hausse actuelle de leurs coûts, elles devraient sacrifier leurs marges, ce qui pourrait les inciter à réduire d’autant leurs investissements à venir et renoncer à des embauches. La consommation et l’investissement pourraient donc être tous deux en deçà des attentes, ce qui ne peut que semer le doute quant à la poursuite de la hausse des marchés et à la justification de leur valorisation actuelle.


La seconde crainte des investisseurs est que les soutiens budgétaires des États, et que les politiques monétaires accommodantes des Banques centrales, ne viennent à se tarir précisément au moment où le contexte économique semble se compliquer. La croissance économique ayant fortement repris, et l’épidémie de la COVID étant partiellement contenue grâce aux vaccins, les soutiens financiers des États peuvent enfin diminuer : le « Quoi qu’il en coûte » approche de son terme ! Les gouvernements ont en effet hâte de retrouver un rythme de dépenses budgétaires plus habituel et de s’atteler progressivement à l’immense défi de résorber la dette qu’il a fallu constituer durant cette crise (généralement autour de 20% du PIB, s’ajoutant au stock de dettes préexistant). Bien entendu, les perfusions budgétaires ne seront interrompues ni complètement, ni immédiatement, de nombreux secteurs d’activité étant toujours en grande difficulté. Il n’en demeure pas moins que les injections budgétaires d’urgence sont vouées à disparaître durant les deux prochaines années et, ce qui est vrai pour les États, l’est aussi pour les Banques centrales. La croissance économique étant de nouveau forte et l’inflation se manifestant dans la plupart des secteurs d’activité, les Banques centrales sont logiquement incitées à réduire leurs appuis monétaires. Quelques Banques centrales sont déjà passées à l’acte en remontant leurs taux directeurs (généralement dans les pays émergents, et notamment pour soutenir leurs devises), mais la plupart en sont généralement encore au stade du discours, de façon à préparer les investisseurs à cette inflexion, et éviter ainsi d’éventuelles surréactions boursières. Afin de conserver leur crédibilité, les banquiers centraux peuvent en effet difficilement détourner leur regard d’une inflation qui semble être de moins en moins « provisoire », sauf à accorder à ce terme une extensibilité inhabituelle ! La Banque centrale américaine (FED) et la Banque centrale européenne (BCE) en sont encore toutes deux au stade du discours, mais l’inflexion monétaire est désormais imminente. La FED devrait réduire dès cette fin d’année ses injections mensuelles additionnelles : les 120 Mds $ d’achats d’obligations devraient progressivement diminuer de probablement 15 Mds $ par mois, de façon à disparaître complètement à l’horizon de l’été 2022. Dans la mesure où l’ampleur des levées de capitaux par le Trésor américain doit diminuer l’an prochain, ce retrait graduel de la FED ne devrait a priori pas engendrer d’instabilité financière particulière sur les marchés obligataires. De son côté, la BCE mettra un terme à ses achats d’actifs directement liés à la pandémie (i.e. le PEPP), mais elle conservera ses achats historiques de 20 Mds € mensuels (i.e. l’APP) et elle devrait étoffer ce dispositif par une nouvelle enveloppe d’achats mensuels, à définir prochainement, et dont le rythme et l’allocation par pays seraient probablement en partie discrétionnaires. Mais la peur des investisseurs est qu’il ne s’agisse en fin de compte pas seulement de lever le pied progressivement de la pédale d’accélérateur, mais qu’il faille bientôt aussi appuyer sur celle du frein. Autrement dit, les Banques centrales, éventuellement en retard par rapport à l’ampleur de l’inflation observée ou souhaitable (cf. pouvoir d’achat des ménages), pourraient devoir remonter plus tôt qu’elles ne l’imaginent leurs taux directeurs, et avoir alors un impact négatif sur la croissance à venir via le coût de l’emprunt. Pour se faire une idée du risque boursier que cela pourrait représenter, il suffit de regarder le graphique comparant durant les dernières années l’évolution des injections monétaires des grandes Banques centrales et celle du marché des actions mondial : la corrélation entre capitaux en circulation et la valorisation des marchés semble très forte !

La dernière crainte majeure des investisseurs est celle des tensions géopolitiques et d’une possible agitation sociale. Cette crise sanitaire, bien que mondiale, a eu tendance à accentuer les replis sur soi des grandes zones. Que le motif soit sanitaire, économique, patriotique… la méfiance s’est plutôt installée, et chacun cherche à redresser sa situation au plus vite, sans trop se soucier des autres. Ainsi, les pays émergents sont clairement délaissés dans le processus de vaccination en cours, puisqu’en moyenne seulement 5% de leur population est vaccinée, contre les 2⁄3 au moins dans les pays développés. Au-delà de l’évidente question humanitaire que cela soulève, cette situation explique bien des pénuries et spéculations mondiales : des usines fermées pour des motifs sanitaires et donc des productions industrielles contraintes, des stockages de précaution de produits vitaux (alimentaire, matières premières…) qui font alors défaut ailleurs, des chaînes d’approvisionnement perturbées, des consommateurs finaux désormais inaccessibles ou moins solvables… Les dirigeants internationaux ne semblent pas avoir suffisamment pris conscience que, face à ce virus, personne n’est protégé tant que tout le monde n’est pas protégé, et que des variants plus virulents pourraient apparaître, faute d’avoir vacciné ces pays. Il convient, de plus, d’être très attentif à leur situation financière, car leurs dettes sont souvent inquiétantes (cf. rappel récent effectué par le FMI). Plus alarmant encore, l’envol des prix des biens alimentaires, alors même que les devises de ces pays ont perdu beaucoup de leur pouvoir d’achat depuis deux ans, pourrait conduire à des révoltes de la faim, comme celles de 2010-2011, et engendrer une forte instabilité politique. Le choc énergétique mondial actuel ne fait qu’accentuer ces risques puisque, même dans les pays développés, les dirigeants ressentent le besoin d’accompagner les plus démunis par des chèques énergétiques, des baisses de taxes, ou autres mesures équivalentes. Sur le plan géopolitique, les tensions entre la Chine et les États-Unis ne diminuent pas avec le changement d’Administration américaine, comme le montre par exemple le bras de fer autour de Taïwan, enjeu économique très important, puisqu’étant le principal producteur mondial de semi-conducteurs ! La reprise en main très ferme et brutale de leur économie par les dirigeants chinois et, dans le même temps, la grande difficulté rencontrée par J.Biden pour faire passer ses relances budgétaires, sont aussi d’importantes sources d’incertitudes quant à la croissance économique à venir des deux plus grandes puissances au monde et, de là, qu’en sera-t-il de l’inflation et des politiques monétaires alors adaptées ? En Europe, le caractère hétéroclite de la prochaine coalition gouvernemental en Allemagne (cf. coalition SPD-Verts-FPD) laisse planer d’importantes incertitudes quant au degré d’intégration européenne que le pays cherchera à impulser (cf. négociations en cours des futures règles du Pacte de stabilité et de croissance), ou bien sur ses priorités budgétaires (i.e. retour au déficit budgétaire zéro en Allemagne ?). Les élections présidentielles en France en 2022 approchant, tout comme celles de mi-mandat aux États-Unis, les investisseurs auront là aussi des questionnements additionnels : quels secteurs privilégier, quelles mesures fiscales… ? Bien entendu, cette liste est très loin d’être exhaustive, et d’autres chocs de ce type peuvent être envisagés.

« Le temps ferme toutes les blessures, même s’il ne nous épargne pas quelques cicatrices. »
Comment se fait-il, alors qu’autant d’incertitudes planent, que les marchés d’actions mondiaux n’aient cédé que -5,70% depuis leurs plus hauts de septembre, et qu’ils aient même déjà entrepris de remonter pour n’être désormais plus qu’à -0,40% de ces mêmes sommets, sachant que, dans le même temps, les rendements obligataires sont, eux, sur les plus hauts de 2021 ?
Pour bien comprendre ce paradoxe, il faut revenir sur ce qui fait la spécificité de cette crise sanitaire. Les États ont décidé une fermeture administrative des économies. Mais tous les segments d’activité n’ont pas été affectés de la même manière. Les services ont été, et restent encore, les principales victimes de cette crise sanitaire, ce qui explique largement les dérèglements actuels de l’économie mondiale. La priorité des États a été de maintenir un degré d’activité le plus fort possible en dépit des confinements, et ce sont les biens industriels qui l’ont permis (cf. ordinateurs, tablettes, téléphonie, masques, gels…). Les ménages ont vu leurs revenus préservés grâce aux soutiens financiers des États, mais sans pour autant pouvoir dépenser normalement cet argent dans des services rendus inaccessibles : voyages, hôtels, parcs de loisirs, restaurants, cinémas… Les sommes en question ont été soit épargnées, contribuant à la hausse des marchés financiers, soit réaffectées vers des biens industriels de « cocooning » (téléviseurs, consoles de jeux, matériel de cuisine…). Cette réallocation des dépenses des services vers les biens industriels peut sembler anodine mais, en réalité, les sommes en jeu sont colossales. Dans les pays développés, les dépenses courantes sont généralement affectées aux ⅔ sur les services, contre ⅓ sur les biens industriels. Par effet de « revanche », la consommation des ménages dans les pays développés a aujourd’hui retrouvé ses niveaux d’avant COVID, et elle est même déjà autour de +4% au-delà pour les États-Unis. Pourtant, les dépenses consacrées aux services restent contraintes, et elles sont toujours en deçà des niveaux d’avant COVID, généralement autour de -4% en dessous. Les sommes se déportant des services vers des biens industriels se comptent en plusieurs centaines de milliards chaque mois. Les entreprises industrielles croulent de ce fait sous les commandes; elles ont des outils de production souvent saturés par une demande bien trop importante pour pouvoir être servie, et elles cherchent par tous les moyens à s’approvisionner en biens intermédiaires et à reconstituer leurs stocks. Certaines matières premières, les semi-conducteurs, la logistique d’acheminement des biens… sont autant de maillons faibles du système de production et de distribution révélés par cette crise sanitaire, dus notamment à l’obsession d’une gestion en flux tendu par les dirigeants d’entreprises. L’inflation observée actuellement s’explique donc essentiellement par la déformation de la consommation des ménages et par un excès de prudence des chefs d’entreprises durant la crise, privilégiant la trésorerie plutôt que l’hypothèse d’une reprise économique future qui est arrivée bien plus vite qu’attendue grâce aux vaccins. La crise sanitaire semble désormais moins préoccupante dans les pays développés, mais ses stigmates sur l’économie sont en revanche toujours extrêmement vivaces, et ne peuvent s’effacer rapidement … c’est pourquoi il est important de ne pas conclure hâtivement à l’hypothèse d’une économie en « stagflation ».

Au vu de cette analyse, on comprend mieux le discours persistant des banquiers centraux défendant la thèse d’une inflation « transitoire », et leur réticence à relever leurs taux d’intérêts directeurs. C’est aussi pour cela que leurs objectifs d’inflation ont été implicitement relevés et allongés, en étant désormais observés au travers de moyennes de long terme et non plus par le niveau atteint à l’instant même. Pour que les dépenses des ménages retrouvent une répartition normale entre services et biens industriels, il faut attendre que le processus de vaccination mondial soit plus avancé que ce n’est le cas à ce jour. Les banquiers centraux dépendent donc de deux facteurs sur lesquels leur politique monétaire n’a pas de prise : la vaccination et le temps. Pour autant, leurs injections monétaires actuelles entretiennent plutôt la surchauffe de demande à l’égard des biens industriels, favorisant la hausse de ces prix. Ces soutiens monétaires d’urgence ne sont donc plus forcément utiles, voire deviennent contre-productifs, puisque entretenant de l’inflation sans surcroît d’activité, le tissu industriel ne pouvant répondre à cette demande. Il est donc probablement temps d’y mettre fin, mais avec prudence, afin d’éviter d’éventuelles surréactions des investisseurs. En fin de compte, cette première étape de restriction monétaire pourrait donc, paradoxalement, être accueillie favorablement par les marchés financiers, d’autant qu’elle a été bien pré-annoncée par les banquiers centraux !
Une spirale d’inflation est-elle toutefois possible, imposant aux Banques centrales de remonter leurs taux directeurs, et permettant de reconstituer à cette occasion des marges de manœuvres monétaires pour l’avenir ? Une spirale d’inflation signifie une hausse générale, durable, et auto-entretenue des prix, passant notamment par une hausse systématique des salaires. À ce stade, tous les prix ne sont pas orientés à la hausse, loin s’en faut, et rien ne dit que le phénomène puisse être durable ou auto-entretenu, ou bien encore que les salaires montent eux aussi systématiquement. En effet, il faut rappeler que l’inflation est une variation par rapport à un état donné. Lorsque l’Allemagne a baissé l’an dernier sa TVA puis l’a restaurée cette année, le pays a mécaniquement dopé son inflation de façon conjoncturelle, par simple effet de base, mais cette inflation disparaîtra progressivement. De même, si les prix du pétrole sont passés de 51,17$ fin décembre 2020 à 83,92$ aujourd’hui, soit une variation de +64%, il faudrait que le prix du pétrole soit à 138$ (donc voisins des plus hauts historiques atteints en juin 2008), pour avoir le même effet d’entraînement sur l’inflation l’an prochain. Ceci est peu vraisemblable car la demande pour le pétrole s’effondrerait bien avant d’atteindre ce niveau de prix. Il est bien plus probable de voir ces prix stagner autour des niveaux actuels, qui sont déjà très supérieurs à ceux d’avant COVID (66,42$ fin 2019 sur le Brent), ou bien même de les voir régresser un peu. Petit rappel : sur les 3,4% d’inflation en glissement annuel constatée en septembre dans l’Union Européenne, la contribution de l’énergie est à elle seule de 1,6%, et la politique monétaire n’y peut pas grand-chose ! Ce qui est vrai du pétrole est vrai de la plupart des prix ayant flambé cette année, c’est pourquoi une part importante de l’inflation sera nécessairement « transitoire », sans que cela implique pour autant que ces prix régressent significativement en niveau l’an prochain. Un plateau avec des prix se maintenant à des niveaux élevés semble être une hypothèse vraisemblable, ce qui impliquerait une inflation modérée et donc rassurante pour les Banques centrales et pour les marchés financiers, mais cette situation pénaliserait néanmoins le pouvoir d’achat des ménages. Une hausse des salaires est, elle aussi, possible, voire souhaitable pour apaiser certaines tensions sociales, mais le niveau du chômage reste important, l’indexation des salaires est bien moins fréquente que par le passé, le poids des syndicats a lui aussi diminué, et la concurrence internationale (y compris par le biais du télétravail) devrait limiter l’envol des salaires. Au vu des bénéfices publiés par la plupart des entreprises cotées, consentir à des hausses de salaires ponctuelles ne semble pas insurmontable, ce serait de plus conforme à certains engagements socialement responsables de leur part (cf. équité salariale), et cela ne remettrait pas en cause le potentiel boursier de ces sociétés, les salaires se retrouvant ensuite dans la consommation des ménages, autrement dit dans les chiffres d’affaires et les bénéfices futurs des entreprises ! Il est également important de ne pas sous-estimer l’accélération des gains de productivité réalisés à marche forcée par les entreprises durant cette crise sanitaire, qui permet d’absorber plus facilement bien des hausses de coûts, surtout si ces dernières ne sont que conjoncturelles ! Actuellement, tout le monde peut passer des hausses de prix ou réclamer des hausses de salaires assez facilement, le système étant engorgé de toutes parts, mais demain, lorsque les pénuries seront apaisées, les services de nouveau accessibles à la consommation…, la question de la concurrence se posera de nouveau. C’est pourquoi l’hypothèse d’une spirale inflationniste durable nous semble relever plus de la crainte que de la réalité.


Certaines Banques centrales pourraient toutefois céder à la pression de données d’inflation bien plus fortes qu’à l’accoutumée, ou bien le faire pour se conformer aux prévisions des investisseurs, et décider de remonter leurs taux directeurs. Les conséquences seraient triples si cela était fait trop brutalement ou prématurément : cela pénaliserait la croissance économique via le coût de l’emprunt, cela aurait des impacts patrimoniaux en déstabilisant les marchés financiers et l’immobilier, et ce serait contre-productif pour l’effacement « discret » de la charge réelle de la dette des États. Ce dernier point doit être souligné car l’obsession des banquiers centraux est que le stock de dettes constitué reste soutenable. Les conditions de financement des agents économiques sont très probablement aujourd’hui prioritaires à leurs yeux par rapport aux dérapages d’inflation observés, d’autant qu’on est certes dans une situation d’inflation plus forte, mais pas d’hyper-inflation, et que les Banques centrales sont soulagées de voir s’éloigner le spectre de la déflation ! Pour un agent économique endetté, ce qui importe ce n’est pas tant le niveau facial de taux d’intérêt à rembourser que son coût réel, donc celui défalqué de l’inflation. Les États-Unis empruntent par exemple aujourd’hui à 10 ans à un taux facial de 1,55%, mais l’inflation de base américaine (i.e. le core CPI) étant de +4%, le coût réel de la dette est actuellement de -2,45% ! C’est ce différentiel que les banquiers centraux surveilleront comme le lait sur le feu, et c’est lui aussi qui laisse entendre que la FED pourrait tout à fait relever un peu, avec prudence, ses taux directeurs. Des relèvements de taux d’intérêts sont possibles, ne serait-ce que pour conforter la crédibilité des banquiers centraux, mais ces durcissements monétaires devraient rester modestes. Rappelons que la FED possède désormais dans son Bilan 37,9% du PIB américain et que le BCE détient pour sa part 70,3% du PIB de la zone Euro, ce qui ne peut que freiner toute velléité de durcissement monétaire brutal ou rapide ! La vigilance des banquiers centraux, qui est au cœur de leur mandat, n’implique pas nécessairement de passage à l’acte, car le pragmatisme et la vision de long terme doivent l’emporter. Cette crise sanitaire étant très atypique et ayant des conséquences tout aussi atypiques, « Il faut savoir donner du temps au temps ! » (Miguel de Cervantès).

« Rappelez-vous que le marché boursier est un maniaco-dépressif ! »
W.Buffett est un investisseur américain, connu pour ses performances boursières exceptionnelles sur la durée, ayant toujours su apporter un éclairage décalé et constructif à son auditoire. Cette citation nous semble prendre tout son relief dans le contexte actuel : les investisseurs regardent le verre vide plutôt que le plein. Sans tomber dans un optimisme béat, il nous semble qu’une fois dissipés les phénomènes de friction de cette crise sanitaire sur nos économies, la croissance économique restera forte et au-dessus de ce qu’elle était avant COVID (cf. reports d’activité sur 2022 de ce qui n’a pu être livré en 2021), et l’inflation, même si elle devait être structurellement un peu plus forte qu’auparavant, ce qui est notre hypothèse (cf. impact de la transition énergétique notamment), restera gérable par les Banques centrales. L’Histoire montre par ailleurs que les premières hausses de taux directeurs ne sont pas incompatibles avec la poursuite de la hausse des marchés d’actions, à condition d’être pré-annoncées correctement. Enfin, l’épargne et les liquidités disponibles sont telles que, tant que l’économie ne sera pas entièrement normalisée, cela restera un soutien systématique pour les marchés, notamment au travers des programmes de rachats de leurs propres actions par les entreprises ou de versement de dividendes (les entreprises américaines disposent par exemple actuellement de l’équivalent de 17% du PIB national en trésorerie nette !).
Dans un contexte un peu plus inflationniste, les obligations doivent plutôt rester sous-pondérées dans les allocations d’actifs, d’autant que leurs rendements, bien que remontant en cette fin d’année, restent faibles et en deçà de l’inflation. Afin de protéger son pouvoir d’achat sur la durée, il faut, hélas, aujourd’hui, accepter de prendre plus de risque que durant les dernières décennies, et tolérer une plus forte volatilité de valorisation de son épargne. Il nous semble toutefois que le cycle économique soit encore peu mature, et que les transitions énergétiques et numériques à venir soient des renforts structurels pour la croissance future : le rendement-risque des actions nous semble encore favorable ! Nous privilégions les zones développées plutôt que les pays émergents (cf. situation sanitaire) et les grandes multinationales plutôt que les petites sociétés (cf. capacité à imposer ses conditions tarifaires aux fournisseurs, aux clients et aux employés pour préserver ses marges bénéficiaires). Les publications du premier trimestre 2022 seront un enjeu important, car c’est là que beaucoup d’augmentations de salaires ou de relèvement de prix devraient avoir lieu (cf. cycles annuels de négociations). Parce que de nombreuses situations de pénuries ont été révélées par cette crise sanitaire, les périmètres des entreprises pourraient évoluer sensiblement durant les prochaines années, notamment par le biais de rachats de concurrents ou de fournisseurs, afin de consolider le « pricing power » de l’entreprise. Un cycle de fusions et acquisitions étant généralement favorable aux valorisations boursières, c’est un argument de plus selon nous pour rester investis sur les actions. Dans l’hypothèse où une « stagflation » s’installerait, les valeurs à forte croissance, à fort « pricing power », et ayant peu de coûts matières (mais en revanche beaucoup de coûts salariaux), seraient plutôt des refuges boursiers à la fois contre le tassement de croissance et contre l’inflation : le Nasdaq nous semble donc être toujours une allocation constructive ! L’exposition aux matières premières permet de rester en amont des remontées d’inflation : nous y consacrons encore une partie de nos allocations d’actifs. À la question posée en début de texte, farce-attrape ou friandise, espérons que cette citation de Mary Callahan Erdoes (directrice générale de JPMorgan) offre la juste réponse : « Je crois qu’un jour, nous repenserons à l’époque à laquelle nous vivons actuellement, et que nous dirons : « c’était un moment idéal pour investir » ».