Date de publication : 2 septembre 2020

La perte de repères est spectaculaire pour tout investisseur confronté à la tâche d’allouer des capitaux. L’exercice est toujours difficile mais, en cette fin d’année, les écueils ou sources d’incertitudes sont nombreux. Dans le doute (contexte économique, valorisations boursières apparentes…), le principe de précaution incite évidemment plutôt à la prudence mais, depuis le printemps, ce choix tactique s’est révélé extrêmement contre-productif pour l’épargnant préférant sécuriser les capitaux détenus. Après le formidable rebond boursier des derniers mois, faut-il adopter désormais une allocation plus prudente ou bien se laisser encore porter par les soutiens exceptionnels mis en œuvre par les gouvernements et les banquiers centraux ?

Économie réelle : un redressement en trompe l’œil

Pour investir en confiance sur les actions, sur les matières premières, ou bien sur tout autre actif financier bénéficiant de la reprise économique en cours, il convient d’apprécier cette dernière en quantitatif et, lorsque c’est possible, en qualitatif. Mais cette tâche est aujourd’hui très difficile et est même souvent prématurée, tant les situations sont hétérogènes d’un pays à l’autre, ou d’un secteur à l’autre, et parce que l’évolution de la pandémie à travers le monde reste imprévisible. L’ampleur des variations mensuelles est telle que les erreurs de mesure ne peuvent qu’être importantes : il faut donc s’attendre à de très significatives révisions statistiques, sans pouvoir présumer par avance leur orientation.

En première approche, les principaux pays contributeurs à la croissance mondiale ont généralement perdu ¼ à ⅓ de leur activité globale du fait des confinements auto-infligés, et il est généralement admis qu’ils ont retrouvé pour la plupart entre 90% à 95% de leurs rythmes d’avant crise. Partant de niveaux d’activité historiquement dégradés, il est logique par effet de base d’observer désormais des statistiques spectaculaires de reprise économique suite aux déconfinements et grâce aux gestions plus circonscrites des nouveaux foyers de contamination.


Pour autant, l’investisseur voulant se projeter vers l’avenir ne doit pas se laisser leurrer par des taux de croissance parfois spectaculaires, le retour aux niveaux d’avant COVID-19 restant éloigné ! Les données statistiques sont en effet trompeuses : un même pourcentage à la baisse puis à la hausse ne permet pas de revenir au point d’origine. Partons de 100 et prenons l’hypothèse d’une baisse d’activité de -50%, on est alors à 50 … pour revenir au point de départ, ce n’est pas +50% mais +100% qu’il faut réaliser ! Par ailleurs, de nombreux secteurs restent sous assistance financière permanente des États car il leur est impossible de reprendre une activité normale : transport aérien, tourisme, loisirs… C’est pourquoi les 5% à 10% d’activités résiduelles sont les plus difficiles à restaurer, voire il n’est simplement pas possible de le faire en l’état actuel des choses. Quand bien même l’activité reprend, cela ne signifie pas pour autant que l’intégralité des capacités de production soient employées (cf. nécessaire distanciation physique, carnets de commandes réduits…), modérant d’autant la croissance réelle ! De plus, la stratégie des gouvernements a consisté à se substituer provisoirement aux agents économiques au travers de diverses garanties financières ou substitutions de revenus, mais la levée progressive de ces soutiens ne pourra se faire sans provoquer des faillites et des licenciements, affectant la confiance des ménages et des chefs d’entreprises et, par voie de conséquence, la consommation et l’investissement. Une partie de l’actuelle reprise d’activité tient par ailleurs à un simple effet de rattrapage et à certains avantages accordés par les États (baisses de TVA, prime à la casse automobile…) ayant dopé provisoirement la consommation, mais la persistance de cette dynamique est difficilement soutenable pour les finances publiques et le contexte encourage plutôt les ménages à conserver une épargne de précaution significative.

Dans un tel environnement, une reprise de l’investissement des entreprises est peu probable, quand bien même le coût de l’emprunt est rendu très peu onéreux par l’action des Banques centrales. La priorité des chefs d’entreprises demeure aujourd’hui la reconstitution de la trésorerie de la société afin de pouvoir faire face aux diverses dépenses courantes, et cela en dépit de la baisse des revenus. De ce point de vue, bien que débattue, la pression exercée sur les entreprises par les États à ne pas verser de dividendes est justifiée, et cela n’affecte pas particulièrement l’attractivité relative vis-à-vis des investisseurs internationaux puisque la plupart des pays appliquent simultanément cette consigne d’ascétisme. En fin de compte, sans la persistance de soutiens budgétaires et monétaires majeurs, il est difficile d’imaginer un retour aux niveaux d’avant coronavirus avant la fin 2021, voire plus probablement durant le courant de l’année 2022.

Élection présidentielle américaine en novembre

La gestion de la crise sanitaire par l’Administration Trump ayant été pour le moins discutable, la première puissance économique au monde ressort affaiblie en absolu et en relatif de ce choc. C’est pourtant précisément maintenant que les électeurs vont devoir choisir entre l’âne (parti Démocrate) et l’éléphant (parti Républicain). Durant cette crise du coronavirus, J.Biden a opportunément misé sur l’effacement médiatique, laissant D.Trump se contredire à de multiples reprises ou prendre des initiatives hasardeuses. Les sondages, bien que devant être pris avec précautions du fait des spécificités de l’élection américaine (i.e. suffrage indirect dans chaque État), accordent actuellement une très forte avance à J.Biden face au président sortant (56% vs 46%) qui ne parvient pas à élargir sa base électorale.

Il convient donc de s’interroger désormais quant aux possibles impacts sur les marchés financiers et sur l’économie du programme de J.Biden. Démocrates et Républicains convergeant quant à l’attitude à adopter à l’égard de la Chine, les tensions sino-américaines devraient persister, même si la forme serait probablement moins brutale et imprévisible que sous l’Administration Trump. En parallèle, J.Biden devrait restaurer des relations plus fraternelles avec les alliés historiques des États-Unis, l’Union Européenne notamment, et certaines institutions internationales pourraient retrouver un financement et un fonctionnement plus normaux. Afin de donner des gages à l’aile gauche du parti Démocrate, il devrait adopter une fiscalité plus favorable aux ménages, en imposant toutefois plus fortement ceux ayant de très hauts revenus (400 000 $ de revenus annuels et plus), et il envisage d’accroître la pression fiscale sur les entreprises en relevant l’impôt sur les sociétés de 21% à 28%. Rehausser la fiscalité sur les entreprises alors même que le pays s’efforce de sortir de la récession économique ne peut, a priori, que recevoir un accueil très défavorable de Wall Street. Toutefois, par pragmatisme ou calcul politique, aucun calendrier précis n’est évidemment dévoilé quant à la mise en œuvre de ces mesures fiscales. Même si quelques flous politiques et économiques persisteraient, la bien plus forte prévisibilité de l’action gouvernementale d’une Administration Biden par rapport à celle de Trump serait certainement appréciée par les marchés financiers, l’incertitude étant l’ennemie des investisseurs. Le budget (6 000 Mds $ sur 10 ans) serait principalement consacré à l’achat de biens et de services nationaux (Buy American !), et à l’amélioration des infrastructures du pays, avec un focus tout particulier sur les technologies et les énergies vertes. L’objectif affiché de neutralité carbone à l’échéance de 2050 pourrait être très pénalisant pour la plupart des secteurs industriels (automobile, construction…), mais cela pourrait aussi stimuler de nouvelles activités et technologies. Il est toutefois à craindre qu’il s’agisse là, comme souvent, de promesses électorales rejoignant finalement le cimetière des serments politiques non tenus, le contexte économique étant délicat pour prendre de telles initiatives stratégiques. Le secteur des schistes pétroliers serait a priori parmi les principaux perdants de l’élection de J.Biden, mais cela pourrait toutefois s’avérer être favorable au prix du pétrole si la production américaine venait effectivement à diminuer significativement. Bien entendu, le candidat Démocrate, s’il est élu, restaurerait l’Obama Care que D.Trump s’était empressé de défaire dès sa prise de fonction. L’une des inconnues fortes pour l’investisseur sera le traitement finalement réservé aux GAFAM (i.e. Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) car la surreprésentation des secteurs de services technologiques et de ces sociétés phares ne cesse de s’accroître au sein des indices boursiers américains. La compétition avec la Chine, notamment sur le plan technologique, exclut a priori l’hypothèse d’un démantèlement de ces sociétés, mais un plus grand partage du pouvoir avec des jeunes pousses, une régulation plus étroite et une fiscalité plus importante sont possibles; aussi convient-il d’être attentif au degré d’exposition maintenu sur ce segment spécifique de la cote et au regain de volatilité qu’il pourrait entraîner dans les portefeuilles. Au vu de ce programme, il est en revanche difficile de s’avancer beaucoup quant à la possible évolution du Dollar, un affaiblissement intentionnel et graduel du billet vert pouvant faire partie des stratégies envisagées afin de stimuler la compétitivité du pays.
Pour les investisseurs, au-delà du choix du président, c’est surtout la question de l’éventuelle bascule complète du Congrès entre les mains des Démocrates qui sera l’enjeu principal de cette élection. Autrement dit, le Sénat sera-t-il perdu par les Républicains, permettant alors à J.Biden d’avoir l’appui parlementaire nécessaire pour mettre en place tout ou partie de son programme électoral ? Un très faible écart entre les deux candidats pourrait être source de polémiques et d’incertitudes plus ou moins durables.

Politiques budgétaires et monétaires : une question de dosage !

« J’aimerais être le créancier de la persévérance, car la persévérance finit toujours par payer » (auteur anonyme).

Pour les investisseurs, la dette était déjà et restera désormais durablement un sujet majeur, avec en fin de compte une crainte : les impayés. La principale conséquence de la COVID-19 est qu’elle a contraint les États et les Banques centrales à adopter des politiques budgétaires et monétaires inédites dans l’histoire, tant par l’ampleur que par la vitesse de déploiement. Désormais, les Banques centrales et les États n’ont d’autre choix que d’être durablement solidaires : les premières financeront très longtemps l’action des seconds. Les États doivent trouver le juste équilibre dans le temps entre des soutiens budgétaires permettant de limiter le nombre de faillites d’entreprises, tout en s’assurant que ces perfusions financières n’entraînent pas une accoutumance des agents économiques ou bien la multiplication d’effets d’aubaines. Interrompre prématurément ces appuis budgétaires reviendrait à avoir dépensé inutilement les capitaux engagés jusqu’à présent. Ce sera donc un processus s’étalant sur plusieurs années, nécessitant des capitaux additionnels colossaux, d’où le nécessaire accompagnement financier durable des Banques centrales. Afin d’éviter toute crise financière majeure, ces dernières s’efforceront de maintenir les taux d’intérêts très bas pour modérer le coût de financement des États, mais aussi celui des entreprises et des particuliers, et elles se porteront acquéreur de tout ou partie des obligations souveraines émises. 

Étant assurés d’un soutien ferme et durable des banquiers centraux, et afin de tenter de sortir de l’endettement par le haut, beaucoup de pays voudront profiter de l’occasion pour développer des investissements permettant de doper à terme la croissance économique nationale : intensifier les infrastructures, déployer une économie verte, renforcer ou acquérir de nouvelles compétences technologiques… L’objectif est alors qu’un surcroît de croissance récurrente future, générant plus de rentrées fiscales, puisse compenser la surcharge actuelle de dettes. Ces diverses thématiques, appuyées par les budgets des États, devraient bénéficier d’un accueil favorable auprès des investisseurs cherchant à se positionner sur des secteurs ou des valeurs de croissance. 

Si un aléa moral s’oppose a priori à l’effacement comptable des dettes publiques accumulées dans les bilans des Banques centrales, ces dernières pourraient en revanche consacrer perpétuellement une enveloppe dédiée à l’achat des nouvelles tranches d’obligations lorsque les précédentes arrivent à échéance. Autrement dit, les Banques centrales ne se feraient peut-être jamais rembourser le principal de la dette publique acquise, se contentant d’encaisser les maigres coupons versés par les États, sachant que ces sommes sont en fait rendues ensuite aux États sous forme de participations aux bénéfices. 

Plus subtilement (sournoisement, diraient les créanciers !), les États et les Banques centrales pourraient respectivement encourager ou laisser se développer un surcroît d’inflation. En effet, l’inflation efface discrètement le coût RÉEL de la dette, le pouvoir d’achat à terme des créanciers étant amputé par la hausse des prix observée durant la période. Réciproquement, celui qui contracte la dette voit son coût réel diminué par l’inflation : c’est donc pour les dirigeants d’entreprises et pour les ménages une incitation à hâter l’investissement et la dépense ! Comment l’inflation pourrait-elle accélérer ? Comme on le constate déjà parfois, la reprise économique devrait tout d’abord faire remonter le prix des matières premières. Par ailleurs, les gouvernements seront tentés d’utiliser une partie de la manne financière à leur disposition pour atténuer certaines inégalités sociales en encourageant notamment le relèvement des bas salaires, d’autant que cela stimule la consommation nationale et retourne souvent dans les caisses publiques sous forme de taxes. De plus, même s’il ne faut pas accorder au phénomène une importance exagérée, certaines relocalisations d’activités sur les territoires nationaux seront inflationnistes, les coûts de production domestiques étant plus importants qu’à l’étranger.

Quelques considérations de marchés :

En fin de compte, cette nouvelle régulation de l’économie par le tandem États-Banques centrales aura des incidences STRUCTURANTES sur le comportement des actifs en bourse, et donc sur les allocations qu’il convient d’adopter. La principale différence avec la crise des subprimes est que, désormais, les politiques budgétaires sont extrêmement impliquées et que les Banques centrales sont moins seules à agir. Il y a là un important retour d’influence du politique sur l’économie réelle et donc sur les marchés !
Les sources d’incertitudes resteront bien entendu nombreuses, c’est pourquoi la volatilité ne manquera pas d’affecter encore régulièrement les marchés financiers mais, tant que les soutiens monétaires et budgétaires seront aussi intenses, l’investisseur devra plutôt conserver une exposition stratégique de long terme. De plus, si un vaccin contre le coronavirus était homologué, la bourse pourrait saluer fortement une telle avancée sanitaire confortant plus durablement la reprise économique en cours.
Quelques ajustements tactiques de court terme pourraient permettre éventuellement d’optimiser l’actuel rendement-risque des investissements. Ainsi, réduire un peu l’exposition aux actions américaines le temps d’avoir plus de visibilité quant à l’élection présidentielle pourrait être opportun, notamment sur le segment des sociétés de technologies. La dynamique politique et économique de l’Union Européenne s’améliorant, quand bien même l’inéluctable Brexit est imminent, les allègements effectués sur les États-Unis pourraient être utilement réinvestis sur les thématiques socialement responsables en Europe.
La prudence nous semble s’imposer encore sur les obligations d’entreprises à haut rendement (i.e. les obligations High Yield), les faillites risquant d’être plus nombreuses au fur et à mesure que les États allègeront leurs perfusions financières. De même, beaucoup de pays émergents sortent très affaiblis de cette crise sanitaire, c’est pourquoi il paraît plus prudent de chercher à capter plus modestement la reprise économique mondiale en cours au travers d’actifs européens réputés cycliques.
Les rendements des obligations souveraines étant de plus en plus administrés par les décisions des Banques centrales, la volatilité de cette classe d’actifs devrait rester très maîtrisée, mais les obligations d’entreprises solides (i.e. obligations Investment Grade) offriront généralement des performances supérieures pour une versatilité modérée.

Si à court terme les pressions inflationnistes seront contenues, on ne peut toutefois exclure sa progressive reprise sur le long terme. Une exposition aux matières premières permet ainsi de capturer l’actuelle dynamique de reprise économique en cours, tout en offrant une certaine protection contre l’éventuelle inflation future.

Les équipes de WeSave restent à votre disposition pour vous accompagner dans vos divers projets financiers actuels ou à venir.

Au temps des incertitudes

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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