À voir la performance des grandes places boursières occidentales, l’année a été calme et fructueuse. Pourtant, la bourse chinoise a dévissé, affichant jusqu’à -6,62% de recul en 2021 quand, dans le même temps, les indices mondiaux progressent de +9,79% ! Pas une journée ou presque ne se passe désormais en Chine sans que de nouvelles réglementations s’imposent aux entreprises ou aux citoyens, déstabilisant les modèles économiques et les perspectives financières de nombreuses sociétés du pays. Qu’est-ce qui peut justifier ce soudain revirement économique et social ? La Chine étant la seconde puissance économique au monde, les places occidentales vont-elles être affectées par ces brusques réformes ? Faut-il prendre désormais ses dispositions pour protéger son épargne, ou bien est-ce éventuellement au contraire une opportunité à saisir ? Avec beaucoup d’humilité, et en ayant bien conscience que notre vision des choses comporte de nombreux biais « occidentaux », nous vous proposons ici une analyse des bouleversements en cours, et de ce qui nous semble convenir pour les allocations d’actifs diversifiées.
« Le tout est plus grand que la somme des parties. » (Confucius)
2021 marque le centenaire du Parti Communiste chinois (PCC) et, sous l’impulsion de Xi Jinping, le Parti réaffirme ostensiblement son emprise sur la destinée du pays et de son peuple. « La prospérité commune est une exigence essentielle du socialisme et une caractéristique importante de la modernisation », rappelait à cette occasion le Président Xi Jinping. Après les discours, vient le temps des actes !
Une nouvelle ère s’engage pour la Chine. L’un des paradoxes de ce pays est que, bien que communiste, il affiche aujourd’hui un niveau très élevé d’inégalité de répartition des richesses, puisque voisin par exemple de celui des États-Unis, tel que mesuré par le coefficient de Gini (0.47 pour la Chine, contre 0.48 pour les États-Unis). Les 1 % les plus riches détiennent 31% de la richesse du pays, selon une étude du Credit Suisse, soit à peine en dessous des 35% des États-Unis. Il y a désormais plus de milliardaires en Chine qu’aux États-Unis : 878 étaient identifiés en 2020, soit un patrimoine cumulé équivalant au PIB de l’Allemagne ! À l’opposé, le pays compte 225 millions de pauvres, contraints de vivre avec moins de 5,50 $ par jour, selon la Banque mondiale. Cette situation n’est pas acceptable sur la durée. C’est pourquoi, après des décennies de création de valeur, est arrivé le temps d’une meilleure distribution de la richesse. La prospérité nationale doit désormais être mieux répartie entre les diverses couches sociales de la population, mais aussi à travers l’ensemble du territoire. La croissance doit être plus harmonieuse et inclusive, la vision de long terme doit l’emporter sur le court terme, le qualitatif doit primer sur le quantitatif, et l’équité être recherchée plutôt que l’égalité. La « prospérité commune » est le fil directeur officiel des réformes en cours.

L’objectif principal étant fixé, quels moyens se donne le pouvoir central pour l’atteindre ? Comme toujours le dirigisme s’impose en Chine et, en l’absence de contre-pouvoir, la voie réglementaire assure très vite un cadre légal justifiant, si nécessaire, de sanctionner les réfractaires, qu’ils soient domestiques ou étrangers. La régulation s’est donc abattue successivement sur les fintechs et la finance, les crypto-actifs, l’e-commerce, les jeux vidéo, les sociétés de VTC, les réseaux sociaux, l’éducation en ligne, les plateformes de location de logements… et cette liste s’allonge chaque jour un peu plus ! L’encadrement des données se renforce (au profit du PCC et du pouvoir central, bien entendu !), l’usage des algorithmes est limité, les introductions en Bourse de sociétés chinoises aux États-Unis sont désormais pour ainsi dire proscrites… Le PCC peut désormais imposer, y compris aux entreprises étrangères, d’intégrer un membre du Parti en leur sein. Certains secteurs économiques, comme par exemple l’éducation en ligne, se voient désormais interdire la possibilité de réaliser encore des profits, contraints à devenir du jour au lendemain des activités à but non lucratif ! « Big Brother » interdit désormais aux enfants mineurs de jouer plus de 3 heures par semaine aux jeux vidéo, et limite le temps d’utilisation du réseau social TikTok à 40 minutes par jour chez les moins de 14 ans ! Pour lutter contre les abus des monopoles, certaines mesures drastiques sont adoptées, y compris à l’encontre des fers-de-lance de la technologie nationale (Alibaba, Tencent, Didi…). Afin de tempérer la spéculation immobilière (le prix moyen d’un logement représente près de 33 fois le revenu annuel moyen d’un ménage contre un ratio de 11 fois à Paris, et les ¾ de l’endettement des ménages lui sont dédiés) et faire éventuellement un exemple, les autorités chinoises s’interrogent sur l’hypothèse de laisser Evergrande, 2nd promoteur immobilier de l’empire du Milieu, faire faillite avec ses 260 Mds € de dettes. Pour les observateurs étrangers, difficile dans ces conditions d’imaginer que la « prospérité commune » laisse beaucoup de place à la prospérité future !
La Chine est coutumière des durcissements réglementaires, mais cette vague est inédite par sa durée, son intensité, son étendue et son rythme. Au vu de l’ampleur de la réforme en cours, on ne peut désormais exclure que la réponse à la question de la « prospérité commune » passe aussi bientôt par une vaste réforme de la fiscalité frappant les entreprises et les individus. Afin de cibler les grandes fortunes du pays, pourquoi ne pas taxer les successions, ou encore créer une taxe foncière ayant notamment l’avantage de contribuer à dégonfler la spéculation immobilière, ou bien tout simplement relever progressivement l’impôt sur le revenu qui rapporte à peine 1,5 % du PIB, soit bien moins que dans les pays avancés ? Les entreprises et les milliardaires du pays ont bien compris la menace, puisqu’une surenchère de « philanthropie » se répand soudainement à travers le pays. L’allégeance des entreprises au pouvoir central est spectaculaire : Alibaba (commerce électronique) va verser 15,5 Mds $ afin de réduire les inégalités, Tencent (commerce et jeux en ligne) paiera 15 Mds $ pour venir en aide aux petites communautés rurales, Ping Xiao (e-commerce) déboursera 1,5 Mds $ pour favoriser le bien-être des agriculteurs… Sur leurs deniers personnels, le patron de ByteDance (connu pour son site de partage de vidéos TikTok) versera 77 M $ à des fonds pour l’éducation, loin derrière celui de Xiaomi (électronique et informatique) se séparant de 2 Mds $ en actions afin d’éradiquer la pauvreté… Si l’ampleur des sommes rétrocédées « spontanément » est spectaculaire, le plus consternant est que les entreprises et les milliardaires chinois ne peuvent même pas être certains que ces sommes seront considérées comme suffisantes par le PCC ! La « philanthropie » a donc probablement encore de beaux jours devant elle en Chine !

« Sous un bon gouvernement, la pauvreté est une honte ; sous un mauvais gouvernement, la richesse est aussi une honte. » (Confucius)
Pour comprendre si cette impulsion réformatrice sera durable, il faut revenir aux fondamentaux pouvant la motiver.
L’explication relève en partie de circonstances conjoncturelles : c’est le centenaire du PCC en 2021 et, de plus, le souci de Xi Jinping de légitimer le 3ème mandat qui devrait lui être officiellement accordé en novembre 2022. Ces soudaines manœuvres réglementaires ont ainsi certainement pour objectifs de témoigner de la poigne du dirigeant, de fixer des lignes idéologiques directrices pour les prochaines années, et de faire taire ses éventuels contradicteurs. Difficile en effet de s’opposer à un leader démontrant par des actes forts qu’il œuvre en faveur du pouvoir d’achat du peuple, cherchant à réparer les défauts de répartition occasionnés par le modèle économique en cours. La COVID a, de plus, créé un contexte favorable pour une reprise en main dirigiste. La Chine est en effet en avance sur le cycle de reprise économique en cours, et elle peut s’appuyer sur les efforts budgétaires et monétaires persistants de ses partenaires étrangers pour, dans le même temps, faire passer des réformes radicales affectant sa croissance domestique. Par ailleurs, la COVID a alerté beaucoup de pays quant à leur dépendance stratégique vis-à-vis de la Chine, et elle a accentué la méfiance à son égard (cf. absence de transparence lors de l’apparition du virus). Il est donc probable que la dynamique commerciale future de la Chine soit remise en cause par certaines relocalisations de production ou par des diversifications de fournisseurs se faisant à ses dépens. L’ambition de la Chine de renforcer sa consommation domestique, qui préexistait avant la COVID, a donc été renforcée par cette situation sanitaire exceptionnelle. Pour accroître et réorienter les dépenses des ménages, de façon à créer de nouveaux pôles industriels domestiques, quoi de mieux que de tempérer la spéculation immobilière, que d’empêcher certains géants de la technologie d’abuser de leurs monopoles et, plus généralement, de limiter l’inflation sur les biens et services consommés par les ménages ? Le consommateur chinois doit prendre désormais le relais du client étranger, pour qu’une forme d’auto-suffisance nationale puisse être atteinte.

Le second motif est, à l’inverse, structurel et de très long terme : la démographie. Des décennies de politique de l’enfant unique ont fait chuter dramatiquement le taux de natalité de la Chine (1,16% en 2020, contre 1,37% en Allemagne par exemple !) et la situation n’évolue toujours pas dans le bon sens, malgré l’autorisation accordée depuis 2015 d’avoir désormais plusieurs enfants. Si certaines projections démographiques venaient à se réaliser, la Chine qui a aujourd’hui 1,4 Mds d’habitants verrait sa population divisée par deux à la fin du siècle ! Le vieillissement de la population chinoise va être spectaculaire durant les prochaines années et, déjà aujourd’hui, sa population active diminue. Bien entendu, ceci aura des conséquences majeures sur la croissance économique du pays et sur la création de richesse à venir. Le pacte social chinois consistant à accepter de sacrifier ses libertés individuelles en échange de la croissance et de l’enrichissement collectif est fragilisé. Il y a désormais urgence à établir un nouveau pacte social car, si la taille du gâteau à se partager n’augmente plus ou bien moins qu’auparavant, il devient essentiel que sa répartition soit au moins plus équitable, sous peine de révoltes sociales. L’évolution de la démographie explique clairement beaucoup de nouvelles réglementations : arrêter la spéculation immobilière, rendre l’éducation en ligne gratuite, encadrer plus étroitement la finance pour favoriser une épargne mieux diversifiée et soutenant les entreprises du pays… De même, la crainte d’éventuelles révoltes sociales explique certainement les durcissements réglementaires autour des données personnelles, le déploiement de technologies de pointe de surveillance… En fin de compte, les défis auxquels le pays va être confronté sont les nôtres : opérer des transferts de richesse intergénérationnels, assurer un niveau de vie décent aux retraités alors que la couverture retraite est très faible en Chine, développer le secteur de la santé et les aides à la personne… en s’appuyant sur une population active qui diminue dans le même temps ! Des pans entiers de l’économie devront croître fortement, en particulier dans les services, alors que d’autres, faute de main d’œuvre disponible, risquent de péricliter. Le pays va devoir se robotiser, automatiser ses industries… et cela aura d’importantes conséquences sur sa productivité et sa compétitivité, et donc sur ses parts de marché. Si la Chine venait à dépasser les États-Unis et à devenir la première puissance au monde, il n’est pas certain que cette situation soit durable du fait notamment de l’évolution de la démographie !

Ce vaste processus réglementaire s’explique enfin par la compétition idéologique vis-à-vis du modèle économique et social américain, et peut-être plus encore par la volonté du PCC de survivre. La Chine et le PCC veulent démontrer que, sur la durée, un capitalisme autoritaire, piloté par une planification disciplinée, est plus efficace pour la collectivité que le capitalisme libéral américain dont la « main invisible » (cf. écrits de l’économiste A.Smith) assurerait l’allocation optimale des richesses. Maintenant que les deux pays ont des niveaux de richesse et d’avancement technologique voisins, la Chine veut prouver que son modèle est plus équitable, car il en va de la cohésion sociale du pays, d’où la ligne directrice de la « prospérité commune ». La question n’est peut-être pas déjà tranchée, mais les investisseurs étrangers doivent se demander désormais si la volonté de doper le pouvoir d’achat des ménages ne passera pas aussi bientôt par un rééquilibrage du partage salaires-profits au sein des entreprises chinoises. Autrement dit, si la masse salariale devait gonfler, il faudrait impérativement réaliser de forts gains de productivité pour préserver la rentabilité et la compétitivité des entreprises. Hélas, comme nous l’avons vu, la démographie va compliquer les choses ! De même, les rentes de monopoles vont à l’encontre d’un modèle où une répartition plus égalitaire est recherchée… d’où la reprise en main des leaders de la technologie nationale par le pouvoir central. La planification, les durcissements réglementaires et la redistribution des richesses devraient donc rester la norme jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre économique et social soit trouvé. Pour autant, la Chine ne veut pas faire disparaître le capitalisme, mais souhaite que la croissance soit plus pérenne (cf. transition énergétique par exemple), moins inégalitaire (cf. coût d’accès à l’éducation), et à plus haute valeur ajoutée. À court terme, l’idéologie semble prendre le pas sur le pragmatisme mais, à long terme, il n’est pas certain que ce modèle de développement public-privé ne soit pas en fin de compte le plus efficace, et que les assainissements en cours ne soient finalement vertueux, les pays occidentaux devant alors s’interroger sur leur propre modèle de développement. La survie du PCC passera notamment par sa capacité à donner suffisamment de gages quant à la supériorité de son modèle, ou tout du moins de le faire croire, d’où le verrouillage de plus en plus fort des médias sociaux et un formatage étroit de la pensée de la population.
« Nulle pierre ne peut être polie sans friction, nul homme ne peut parfaire son expérience sans épreuve. » (Confucius)
Les marchés financiers n’ont pas une vue aussi longue que les idéologues chinois. Pour beaucoup d’investisseurs se pose aujourd’hui la question de rester ou non investis sur la Chine, ou bien de profiter éventuellement des replis actuels pour constituer des investissements de long terme.
Comment les diverses classes d’actifs se sont-elles comportées et quels messages cela renvoie-t-il ? Les actions chinoises ont évidemment été la cible de ventes importantes (1200 Mds $ de capitalisation boursière évaporée !) car cette vague de régulation et le risque de durcissements fiscaux à venir déstabilisent les modèles économiques des entreprises et rendent incertaine leur profitabilité future. Les observateurs se sont évidemment focalisés sur les replis les plus marqués durant l’année, tels que l’indice Nasdaq Golden Dragon China (-33,56%) dans la technologie, ou bien le secteur de l’immobilier (-5,99%). Mais lorsque l’on regarde au-delà, plusieurs secteurs ont en revanche très bien tenu le choc et ont continué de progresser durant l’année, démontrant que leurs perspectives ne sont pas remises en cause à ce stade, notamment parce que restant des priorités du plan quinquennal (transition énergétique, efficience du bâtiment…). Pour expliquer ces impacts boursiers finalement modérés, il convient aussi de se souvenir que les actions chinoises pèsent, certes, ⅓ de l’indice MSCI des pays émergents, mais ne représentent que 3,86% de l’indice MSCI All World (à titre de comparaison, les États-Unis pèsent 57,99% de cet indice, le Royaume-Uni fait jeu égal avec la Chine avec 3,84%, et la France 2,80%). Même s’ils étaient parfois surpondérés sur la Chine, les investisseurs n’ont donc pas de raison de s’inquiéter outre mesure des comportements des indices boursiers auxquels ils se réfèrent, le poids boursier du pays étant très inférieur à son poids économique réel (i.e. 18% du PIB mondial). De plus, si les actions chinoises sous-performent nettement en 2021, elles avaient en revanche surperformé les indices occidentaux dans des proportions assez voisines l’an dernier, ce qui permet de relativiser le décrochage actuel. À l’étranger, quelques secteurs ont souffert de ces décisions, comme par exemple le secteur du luxe en France, certaines valeurs bancaires, ou bien quelques matières premières liées au secteur de la construction, mais cela reste en fin de compte assez limité. En réalité, les investisseurs internationaux cherchant plutôt à rester investis pour accompagner la reprise économique mondiale en cours, les capitaux vendus en Chine sont souvent recyclés ailleurs dans le monde. Pour revenir à la Chine, il n’y a pas eu non plus de report massif vers les obligations chinoises, ce qui aurait été un réflexe défensif logique, le rendement des obligations de l’État chinois à 10 ans n’ayant par exemple baissé que de 3,17% fin 2020 à 2,87% aujourd’hui. De même, le Yuan chinois s’apprécie encore de +1,27% face au Dollar et de +7,15% face à l’Euro cette année. Même si cette devise est en partie pilotée par les autorités chinoises, le pays souhaite à l’évidence rassurer les investisseurs étrangers sur son attrait persistant car le besoin de capitaux étrangers continue de se faire sentir, malgré les efforts déployés afin d’orienter plus fortement l’épargne nationale vers les entreprises chinoises (cf. création de bourses locales en Chine). Bien qu’à ce stade la problématique de baisse des actifs boursiers reste avant tout domestique, et que le comportement du Yuan soit plutôt rassurant quant à la volonté des autorités chinoises de rester dans le jeu international, il convient évidemment de rester attentif au risque d’éventuelle contagion à l’étranger.


Si les réactions des diverses classes d’actifs sont finalement modérées, peut-on alors considérer cela comme un encouragement à investir ? Le processus de durcissement réglementaire chinois n’étant probablement pas encore achevé, pourquoi se précipiter et risquer d’être pris à revers, alors même que la croissance du pays ralentit actuellement et qu’elle est vouée à structurellement ralentir durant les prochaines décennies ? Lorsqu’il y a une incertitude, il est justifié d’appliquer une décote relative, ce qu’avaient oublié certains investisseurs et que les événements récents leur ont rappelé. Si les actions chinoises sont désormais nettement moins chères que celles de beaucoup de pays occidentaux, leur sous-valorisation n’est toutefois pas encore criante. Ainsi, les actions britanniques présentent par exemple un ratio de Prix/bénéfices pour 2022 inférieur à celui de l’indice chinois et offrent même un rendement du dividende supérieur. Bien entendu, les secteurs et les thématiques auxquels on s’expose alors ne sont pas exactement les mêmes. Par ailleurs, les investisseurs internationaux intègrent les critères ESG (i.e. Environnement, Social et Gouvernance) dans leurs décisions d’allocations de capitaux, l’investissement socialement responsable (i.e. l’ISR) se généralisant désormais. À l’évidence, la Chine mérite une forte décote pour ce qui est du critère de la gouvernance, puisque l’État chinois peut brutalement changer les règles du jeu à son gré. L’investisseur industriel ou financier étranger est-il seulement certain de pouvoir rapatrier librement les dividendes et les capitaux investis s’il le souhaite (surtout si le e-Yuan devait s’imposer un jour !), et des nationalisations rampantes ne peuvent-elles pas se généraliser (cf. reprise en main des leaders de la technologie…) ? Enfin, la fin d’année approche, et les investisseurs ont généralement pour habitude de procéder à un « habillage » de leurs portefeuilles. Autrement dit, ils ont tendance à sur-représenter les actifs et les thématiques ayant affiché de bonnes performances durant l’année et à sous-pondérer celles ayant eu des parcours difficiles. Il est donc possible que les actions chinoises fassent encore l’objet de dégagements additionnels d’ici à la fin de l’année. Faut-il alors se reporter sur les obligations d’entreprises chinoises ? Dans la mesure où la trésorerie de ces entreprises peut être fortement affectée par des changements réglementaires, ce n’est pas certain, comme le souligne par exemple le cas de Evergrande.

Quelques rappels quant au conglomérat Evergrande et à sa situation actuelle :
Anciennement connu sous le nom de Hengda, Evergrande est le second groupe immobilier du pays en termes de ventes. Evergrande vend des appartements à des acheteurs de biens à revenu élevé et moyen. Il est présent dans plus de 280 villes. S’appuyant sur la politique monétaire accommodante de la Banque centrale chinoise (PBoC), l’entreprise a réalisé près de 1300 projets commerciaux, résidentiels et d’infrastructure. Le groupe emploie près de 200 000 personnes, et influence indirectement autour de 3,8 millions d’emplois. À des fins de diversification, le conglomérat s’est étendu à d’autres domaines de l’économie : l’alimentation, l’assurance-vie, la télévision, le cinéma et les loisirs (club de football Guangzhou FC notamment), les voitures électriques… En mars 2020, Forbes classait le PDG de Evergrande, Monsieur Hui, comme étant le 3ème milliardaire le plus riche de Chine. Aujourd’hui, le groupe croule sous l’endettement (260 Mds €), a fait défaut sur ses échéances obligataires de septembre 2021, et pourrait potentiellement être amené à se déclarer bientôt en faillite. Evergrande cherche aujourd’hui à céder des actifs en urgence, ce qui évidemment nuit aux prix finalement obtenus lorsque le groupe trouve preneurs. Cette situation financière catastrophique s’explique par la volonté des autorités chinoises de stopper la bulle immobilière du pays, se traduisant depuis août 2020 par un violent durcissement réglementaire sur les ratios de solvabilité exigés. Aujourd’hui, les obligations cotées du groupe ne valent plus qu’autour de 26% de leur valeur initiale, et le cours de bourse de la société a chuté de -80,20% cette année. Si les autorités sauvaient le groupe de la faillite, il y aurait alors un aléa moral, puisque cela montrerait que la volonté de lutter contre la spéculation immobilière est finalement toute relative, ouvrant la voie à de nouveaux excès et bulles. À l’inverse, si la faillite était prononcée, il y aurait une chute de l’immobilier, un risque d’effondrement de la valeur de nombreux produits financiers adossés à l’immobilier, ce qui déstabiliserait le système bancaire (cf. matérialisation de pertes) et provoquerait un mécontentement de la population pouvant vite dégénérer. Pour rappel, 29% du PIB chinois dépend de la contribution directe et indirecte de l’immobilier (i.e. 13% en direct). La façon spécifique dont la société Evergrande sera gérée par les autorités chinoises enverra un message très fort aux investisseurs ! La dette du groupe ne peut qu’être restructurée. Si la faillite était prononcée, il serait nécessaire d’avoir un important accompagnement financier (lignes de crédits bancaires ouvertes par la PBoC, assouplissement des règles prudentielles bancaires…) et social (aides ciblées aux employés, aux clients et aux fournisseurs de Evergrande), de façon à éviter tout dérapage majeur avant que Xi Jinping n’accède à son 3ème mandat ! Sans même avoir à faire appel à la PBoC, la Chine dispose si nécessaire de 3232 Mds $ de réserves de changes pour atténuer les conséquences possibles de la crise Evergrande. Le choc financier semble donc gérable. En revanche, il faut s’attendre à une croissance économique chinoise décevante l’an prochain, ce qui aura évidemment des impacts pour beaucoup d’entreprises dans le monde entier. En fin de compte, le choc Evergrande devrait plutôt être économique de moyen terme que financier de court terme.

La Chine doit faire partie d’un portefeuille d’actifs diversifiés, dans une perspective de long terme, mais il n’est pas nécessaire d’y consacrer un pourcentage significatif tant que le modèle économique et social du pays ne sera pas stabilisé et plus en conformité avec les standards occidentaux régissant le fonctionnement des marchés financiers. N’y a-t-il pas alors moyen de trouver des voies de contournement permettant de capturer implicitement le poids économique de la Chine, tout en ayant un risque plus maîtrisé qu’en s’y exposant directement ? Depuis longtemps, chez WeSave, nous sous-pondérons la Chine dans nos allocations, précisément parce qu’il nous apparaissait clair que le risque politique du pays était sous-estimé, mais aussi parce que certains fondamentaux économiques, telle que l’ampleur de la dette des entreprises du pays (déjà au-delà de 180% du PIB) ou bien encore l’incohérence de nombreuses statistiques officielles par exemple, ne nous semblaient pas assez pris en compte. La très mauvaise dynamique démographique de la Chine nous incite toutefois à envisager durant les prochaines années une nécessaire robotisation et mécanisation à venir de l’industrie du pays, de façon à compenser une main-d’œuvre qui sera plus rare. Deux pays étrangers nous semblent répondre très bien à ces développements futurs, car étant des producteurs majeurs de robots et de machines-outils d’excellente qualité : l’Allemagne et le Japon. C’est entre autres pourquoi nous avons accentué durant l’été notre exposition aux actions japonaises. Pour ce qui est de renforcer l’exposition directe aux actions chinoises, il nous semble urgent d’attendre, sauf à entériner cette pensée de Confucius : « Être lésé n’est rien, à moins que vous continuiez à vous en souvenir » !