À l’instar d’un alpiniste cherchant une voie afin de se hisser au sommet, l’épargnant souhaitant de nos jours valoriser au mieux ses capitaux se doit de bien réfléchir avant d’engager tout investissement, sous peine de peut-être voir son patrimoine dévisser. Difficile en effet d’oser désormais s’éloigner significativement du camp de base des actifs « sécurisés » alors que la visibilité géopolitique et économique est médiocre. Quelle stratégie est-il possible d’adopter afin d’espérer progresser encore, sans pour autant mettre en péril son projet final ?
Escalades
Le terme « escalades » est, hélas, celui qui évoque le mieux le contexte géopolitique actuel, D. Trump et son Administration développant méthodiquement une stratégie de mise sous tension permanente des « partenaires » internationaux : « America First » !
Le multilatéralisme est systématiquement battu en brèche de façon à n’avoir plus pour interlocuteurs que des opposants affaiblis ou divisés et, en fin de compte, de moindre influence. Au-delà de choquants chantages répétés (taxes douanières, emprise militaire…) en guise d’arguments de pourparlers, chaque fois qu’une trêve semble enfin acquise, un « tweet » peut brutalement remettre en cause des mois de négociations laborieuses. Le Mexique est ainsi la dernière victime de cette façon d’agir, se voyant tout à coup menacé de surtaxes sur ses exportations vers les États-Unis si des avancées tangibles n’étaient pas constatées sous trois mois en matière d’immigration clandestine, alors même qu’un très important traité économique (i.e. Accord Canada–États-Unis–Mexique) devait être finalement ratifié pour dénouer des mois de tensions bilatérales. Quelle valeur est-il encore possible d’accorder à la parole internationale donnée par les États-Unis si une décision arbitraire, fondée sur des motivations électorales, peut soudainement remettre en cause des accords difficilement négociés ? Même des partenaires historiques, tels les Européens, sont menacés de telles pratiques, les Américains cherchant par exemple à opposer sournoisement les constructeurs automobiles allemands et les agriculteurs français dans l’hypothèse où des surtaxations viendraient à frapper à son tour l’Union Européenne. Afin de déstabiliser leurs interlocuteurs, on ne compte désormais plus les immixtions américaines dans les affaires internes étrangères : Brexit, Iran, Hong Kong, Venezuela, Turquie, élections, options militaires, pétrole, devises… aucune zone géographique et aucun angle d’attaque n’y échappe !

Le principal sujet d’inquiétude reste évidemment la très forte dégradation des relations entre les deux plus grandes puissances au monde que sont la Chine et les États-Unis. La récente radicalisation des discours diffusés par les médias chinois et la nouvelle vague de soutiens économiques annoncés en juin démontrent que les autorités chinoises se préparent désormais à une probable guerre de tranchées « techno-commerciale » sur la durée. C’est pourquoi la Chine se replie partiellement sur elle-même, les derniers soutiens économiques étant concentrés sur ses infrastructures régionales, injections dont le reste du monde ne bénéficiera que très marginalement. En parallèle, le pays cherche à nouer des alliances internationales de circonstance afin de constituer des blocs structurants à opposer aux États-Unis, tels le récent rapprochement avec la Russie ou encore la promotion insistante de la « nouvelle route de la soie » ! Aux États-Unis, en dépit d’une campagne présidentielle qui approche, Démocrates et Républicains convergent plutôt dans une volonté commune de faire respecter (d’imposer ?) à la Chine des règles « justes » : un « commerce équitable » et non plus le « libre-échange », le respect de la propriété intellectuelle, faire cesser le « mécénat » étatique chinois ayant pour objectif de constituer de futurs monopoles internationaux… Bien entendu, le différend commercial n’est que la partie émergée de l’iceberg, la suprématie technologique et le leadership mondial étant les enjeux réels de ce conflit. Que D. Trump soit réélu ou non, la rivalité entre les deux pays ne devrait donc pas s’interrompre.Le « pragmatisme économique » tant espéré par les observateurs pourrait être relégué aux oubliettes par les ambitions de long terme, quitte à sacrifier temporairement certaines dynamiques domestiques, à intensifier le repli sur soi, et à pénaliser en fin de compte la croissance internationale. L’imminence d’une « guerre technologique » semble en revanche surestimée, tant les interdépendances sont aujourd’hui nombreuses entre les deux pays dans ce domaine. Avant tout affrontement technologique, la Chine et les États-Unis chercheront à gagner préalablement en autonomie (cf. exploitation des terres rares, relocalisations de certaines productions cruciales, maîtrise d’expertises jusqu’alors délaissées ou sous-traitées…) afin de se donner plus de chances de l’emporter. Ce processus, bien qu’étalé sur plusieurs années, devrait néanmoins déstabiliser beaucoup d’entreprises, leurs sous-traitants, leurs fournisseurs et, en fin de compte, les consommateurs.


C’est donc un contexte géopolitique extrêmement déstabilisant et de moins en moins coopératif que doivent s’approprier aujourd’hui les dirigeants d’entreprises, venant s’ajouter aux diverses préoccupations déjà existantes : des « business models » fréquemment remis en cause par des start-ups, une intense compétition internationale mettant sous pression les marges bénéficiaires, une versatilité croissante des consommateurs altérant la prévisibilité des chiffres d’affaires… ! Après dix années de croissance économique continue, faut-il encore investir ou est-il plutôt préférable d’attendre de retrouver plus de visibilité ?
Premiers de cordée : les banques centrales
Pour les États, pour les dirigeants d’entreprises, ou encore pour les épargnants, l’incitation FINANCIÈRE à faire abstraction de l’actuel contexte anxiogène reste néanmoins forte. Emprunter afin d’investir n’a en effet jamais coûté aussi peu cher qu’aujourd’hui, les banques centrales persistant dans leurs « perfusions » monétaires !
Les banquiers centraux craignent en effet de se voir reprocher d’avoir provoqué une nouvelle récession économique en durcissant inconsidérément les conditions de crédit. Leurs discours, une fois de plus accommodants, se justifient d’autant plus que la croissance économique fléchit à nouveau et que l’inflation reste en deçà de leur cible théorique (i.e. autour de 2% pour la plupart des pays développés). Plusieurs baisses de taux d’intérêts et/ou un nouveau recours aux « quantitative easings » sont à présents intégrées par les investisseurs au travers de la revalorisation des actifs financiers. C’est dans ce contexte que les tenants de la « théorie monétaire moderne » cherchent à imposer leur thèse : les États peuvent librement emprunter afin de stimuler la croissance, les banques centrales achetant systématiquement les emprunts émis afin que la charge de ces dettes soit indolore. Les « quantitative easings » ne seraient alors plus des mesures d’urgence, mais ils deviendraient des outils courants de soutien à la croissance, les politiques budgétaires et monétaires étant en ce cas étroitement entremêlées. La question de l’indépendance des banques centrales vis-à-vis des États, et donc de leur crédibilité auprès des investisseurs, se poserait alors certainement. Mais l’emploi effectué de ces capitaux serait-il pour autant efficace, ou bien le « clientélisme » et la priorité accordée à la « paix sociale » n’ajouteraient-ils pas encore des capacités inutiles, quand les entreprises « zombies » (survivant grâce à des financements trop peu chers, et entretenant des capacités de production superflues) sont déjà très nombreuses ? Il est dès lors peu surprenant que les investisseurs internationaux soient préoccupés par les pressions politiques exercées actuellement sur certains banquiers centraux (cf. D. Trump sur la FED, allant jusqu’à menacer de « virer » J. Powell !), mais aussi qu’ils s’inquiètent des changements de dirigeants de banques centrales (cf. M. Draghi achevant son mandat à la tête de la BCE le 31 octobre).

Ces questions peuvent sembler théoriques, mais l’Histoire montre que les missions et les prérogatives des banques centrales ont fréquemment varié dans le temps et que cela a toujours eu de forts impacts pour les marchés financiers, en premier lieu pour les devises. Les taux de change pourraient ainsi prochainement cristalliser les tensions internationales ! Pour accroître la probabilité de sa réélection, D. Trump a besoin d’une dynamique économique favorable. Les soutiens budgétaires nécessitant l’aval de l’opposition parlementaire Démocrate, le levier ne viendra probablement plus de ce côté. Aussi met-il systématiquement la pression sur la FED, afin qu’elle accentue son caractère accommodant et qu’elle agisse au plus vite, pour que les effets de ces soutiens monétaires soient perceptibles avant l’élection présidentielle. L’Administration Trump voit deux avantages à un assouplissement monétaire : alléger le coût des emprunts de tous les agents économiques américains et soutenir la compétitivité nationale par une devise moins forte. Mais cette stratégie de regain de compétitivité via la devise peut être neutralisée par les politiques monétaires accommodantes des pays étrangers. Il n’est alors probablement pas fortuit que D. Trump multiplie actuellement les tweets faisant référence à la « manipulation » de sa devise par tel ou tel pays ou zone économique, sachant que la législation américaine autorise le Congrès à se saisir des situations de « manipulations monétaires » et que les conditions d’éligibilité aux « manipulations » ont été récemment abaissées (21 pays désormais scrutés au lieu de 12 auparavant) ! La dévaluation d’une devise est par exemple un moyen rapide d’atténuer le coût des surtaxations imposées par l’Administration Trump, décision que pourrait éventuellement prendre la Chine si elle était poussée dans ses retranchements. Par ailleurs, une monnaie affaiblie engendre de l’inflation importée, facilitant alors l’effacement graduel des dettes de l’État et des agents économiques endettés(lorsque ces dettes sont libellées dans la monnaie domestique !), et favorisant l’atteinte par la banque centrale de sa cible d’inflation. Paradoxalement, la politique de surtaxation tarifaire américaine est elle-même à l’origine des politiques monétaires accommodantes adoptées par les pays étrangers, ces derniers devant compenser le ralentissement économique que cela engendre !

Le Mal Aigu des Montagnes devrait affecter les performances boursières !
Bien des classes d’actifs pourraient être prochainement sujettes au Mal Aigu des Montagnes ! Les malaises qui en résultent sont liés à une montée trop rapide en haute altitude, nécessitant un repli temporaire au camp de base afin que, par acclimatation, ces troubles régressent progressivement et permettent d’envisager ensuite de nouvelles ascensions.

La violente impulsion haussière des actifs boursiers depuis le début d’année s’explique presque exclusivement par l’inflexion accommodante des discours des banques centrales. Pour se faire une idée de l’ampleur des espoirs des investisseurs quant à l’action de la FED, ce ne sont désormais pas moins de quatre baisses de taux d’intérêts de 0.25% chacune qui sont attendues d’ici 2020, dont trois durant la seconde partie de l’année 2019, sachant qu’aucune n’a encore eu lieu ! Seules les perspectives d’un ralentissement économique imminent et très prononcé, ou bien encore un recul majeur des anticipations d’inflation à venir, justifieraient une action préventive aussi forte et soudaine. L’hypothèse d’une très forte dégradation des relations entre la Chine et les États-Unis pourrait, le cas échéant, justifier effectivement un important interventionnisme monétaire, mais ce scénario n’est alors pas compatible avec les nouveaux records historiques encore inscrits en juin par l’indice américain S&P500. Les investisseurs ne retiennent donc actuellement que le caractère salutaire de ces possibles soutiens monétaires, éludant les énormes risques imminents qui en seraient les contreparties ! Si le contexte devait en revanche rester « convenable », pourquoi la FED s’empresserait-elle d’engager l’essentiel de sa force de frappe monétaire, si laborieusement reconstituée durant les dernières années ?

Que le contexte se dégrade finalement fortement, ou bien à l’inverse que les investisseurs soient déçus par l’insuffisante initiative des banques centrales, une surexposition aux actions semble dans les deux cas ambitieuse alors que la liquidité des marchés s’assèche durant l’été. Qui plus est, la dégradation persistante des indicateurs d’activité industrielle dans le monde n’est pas un bon présage pour les publications trimestrielles à venir et pour la confiance qu’exprimeront les dirigeants d’entreprises dans leurs perspectives, sachant que la hausse des actions repose essentiellement sur les rachats d’actions par les entreprises elles-mêmes ! Bien que généralement sous-pondérées par les investisseurs, les thématiques cycliques, les petites capitalisations boursières, ou bien encore les marchés émergents devraient plutôt sous-performer leurs consœurs. Le rendement que certaines actions peuvent offrir en substitution de la faiblesse de ceux des obligations souveraines, les situations d’oligopoles pour leur « pricing power », ou encore les valeurs de croissance dans un monde où la croissance faiblit, devraient en revanche rester des thématiques consensuelles, faisant probablement l’objet de flux acheteurs lors des replis boursiers. Pour notre part, nous privilégions toujours l’exposition aux actions américaines car elles sont moins sensibles aux aléas extérieurs et parce que les valeurs de services et de croissance y sont fortement représentées. Le ralentissement économique restant jusqu’à présent modéré et les facilités de crédit étant importantes, les défauts de paiement par les sociétés restent rares, ce qui nous encourage à privilégier les obligations d’entreprises dans nos allocations d’actifs actuelles, leur rendement-risque nous semblant être encore attrayant. Nous sommes en revanche neutres sur les obligations souveraines car leur rendement est dérisoire, voire souvent négatif, mais elles continuent de bénéficier en permanence de flux d’acheteurs contraints (cf. institutions financières pour leurs ratios réglementaires). Les obligations d’États sont une forme de « police d’assurance » en cas de forte dégradation du contexte, hypothèse corroborée par les discours accommodants des banques centrales. La trop forte sensibilité à un cycle économique déclinant, mais aussi aux aléas géopolitiques (cf. Iran, Venezuela…), nous incitent à rester neutre sur les matières premières, sauf sur l’or. Ce dernier présente plusieurs dynamiques généralement porteuses qui nous semblent justifier une surexposition persistante : un caractère diversifiant, une utile réputation d’actif « refuge » dans le contexte actuel, et l’essoufflement du Dollar qui devrait être encouragé par l’actuel locataire de la Maison Blanche. Enfin, une forte vigilance nous semble devoir être portée aux fluctuations des devises car c’est en fin de compte toujours un déterminant majeur des performances.
Les allocations d’actifs que nous appliquons aujourd’hui aux capitaux qui nous sont confiés nous semblent permettre d’assurer la prise durant l’été, en tolérant l’actuel aplomb des actifs financiers et en limitant les risques de dévers, tout en gardant les sommets à portée.