Date de publication : 3 février 2022

La Banque centrale américaine (FED) est-elle encore l’amie des investisseurs ? Ayant dû faire face à des crises financières (la crise des « subprimes ») et sanitaires (la COVID et ses multiples variants) historiques, la FED a été contrainte d’adopter des politiques monétaires extrêmement accommodantes, soutenant bien au-delà des attentes de la plupart des observateurs l’économie et, accessoirement, les actifs cotés et non cotés (obligations, actions, immobilier, objets d’art, cryptos…). Toutefois, la fulgurante remontée de l’inflation depuis 2021 ne pouvait être ignorée plus longtemps, expliquant les récentes annonces d’une évolution radicale de sa politique monétaire. Comment la FED va-t-elle procéder, jusqu’où pourrait-elle aller, et les autres grandes Banques centrales en feront-t-elle autant ? Quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur les actifs financiers, et quelles dispositions faut-il éventuellement prendre pour son épargne ?

Les missions et instruments de politique monétaire de la FED

La FED a été créée en 1913, afin d’assurer la stabilité monétaire aux États-Unis et d’éviter que ne se produisent des paniques bancaires, telle que celle de 1907. Progressivement, elle a gagné statutairement en indépendance vis-à-vis de l’Administration américaine, et ses missions ont été étoffées. Aujourd’hui, le mandat de politique monétaire de la FED consiste à trouver le juste équilibre entre niveau d’inflation et niveau d’emploi dans le pays, tout en maintenant autant que possible des taux d’intérêt à long terme modérés. Au-delà de la politique monétaire, la FED supervise et régule le système bancaire, maintient la stabilité du système financier, et offre diverses prestations financières aux organismes de dépôt, au gouvernement fédéral, aux institutions financières étrangères… Pour assurer ces missions, la FED dispose de nombreuses représentations à travers le pays, dont l’une des importantes fonctions est de collecter des données et d’établir des rapports économiques et financiers, contribuant notamment à la synthèse économique qu’est le livre beige (i.e. le « beige book » en anglais).

La politique monétaire de la FED s’appuie sur 3 instruments principaux : la fixation des taux d’intérêts directeurs, les achats-ventes d’obligations et enfin, celui des trois instruments qui est peut-être finalement le plus puissant, la communication.

  • Les taux d’intérêts directeurs (taux auxquels se refinancent les banques commerciales) sont fixés par le Comité fédéral d’open market  (i.e. le FOMC, pour « Federal Open Market Committee »), composé des 7 membres du bureau des gouverneurs et des 12 présidents des banques régionales (dont 5 seulement ont le droit de voter, et cela par un système tournant). Tous les présidents des banques régionales n’étant pas votants, les non-votants mettent régulièrement à profit cet espace de liberté d’expression pour défendre des thèses de politique monétaire souvent plus restrictives (on parle alors de « faucons ») que ce qui est finalement décidé par les votants. À l’inverse, le noyau dur des 7 membres du bureau des gouverneurs a généralement un biais accommodant (on parle alors de « colombes »), notamment parce qu’ils doivent leur poste au Président des États-Unis (après ratification par le Congrès américain), et que l’Administration fédérale préfère généralement bénéficier de conditions monétaires favorables pour faciliter sa politique budgétaire.
  • La FED peut aussi procéder à des achats ou à des ventes d’obligations de l’État américain, de prêts hypothécaires, d’obligations d’entreprises… avec pour contrepartie respectivement des injections ou des retraits de monnaie en circulation. Cette stratégie d’achats d’obligations conduisant à injecter des liquidités dans l’économie, et donc à gonfler le Bilan de la FED, a été particulièrement employée depuis la crise des « subprimes » : il s’agit des désormais célèbres « quantitative easing ». Lorsqu’à l’inverse la FED réduit la taille de son Bilan, on parle alors de « quantitative tightening ».
  • La communication de la FED a pour sa part deux objectifs principaux : convaincre les dirigeants d’entreprises et les ménages que l’inflation se dirige vers tel ou tel niveau à terme (on parle alors d’essayer d’ « ancrer » les anticipations d’inflation des agents économiques), et d’éclairer suffisamment les investisseurs internationaux pour éviter des surréactions boursières lors des inflexions de politiques monétaires. Le président de la FED, J.Powell, dispose évidemment de la voix portant le plus mais, en donnant plus ou moins la parole aux « colombes » ou aux « faucons », la FED peut aussi ajuster les éventuelles mésinterprétations de ses propos. Tout en conservant intentionnellement un certain flou de langage afin de pouvoir adapter sa politique monétaire en fonction de l’évolution du contexte, la FED en préannonce les grandes lignes : c’est ce qu’on appelle sa « forward guidance ». Les réunions formelles de la FED font l’objet de comptes-rendus (on parle alors des « minutes » de la FED) qui sont décortiqués au mot près par les investisseurs (analyser les mots qui apparaissent ou disparaissent, comptabiliser le nombre de fois qu’un terme est employé…). Au-delà des annonces de politique monétaire, les réunions de la FED permettent à tous ses membres, votants ou non votants, d’indiquer les niveaux auxquels ils souhaiteraient ou imaginent voir s’établir les taux directeurs à terme : c’est ce qu’on appelle les « dot plots ». Ce graphique, qui fait l’objet de toute l’attention des investisseurs, est souvent pris pour argent comptant, alors qu’en réalité les non-votants lui impriment probablement un caractère souvent plus restrictif que ce qui sera finalement réellement acté. La communication par la FED est peut-être l’un de ses actifs les plus précieux, puisque cela lui permet souvent d’économiser des mouvements de capitaux aux conséquences incertaines, c’est pourquoi préserver sa crédibilité est, pour elle, un enjeu majeur sur le long terme … il doit y avoir une certaine adéquation entre ses paroles et ses actes ! 

L’état des lieux …

La nécessité de fermer les économies du fait de la COVID a imposé à la FED d’accompagner financièrement, pour ainsi dire sans limites, l’Administration américaine. La FED a tout d’abord abaissé ses taux directeurs d’une fourchette de 1,50% à 1,75% prévalant avant la COVID à 0% à 0,25%, de façon que les banques commerciales puissent accorder des crédits dans des conditions les plus favorables possibles aux ménages et aux entreprises. Par ailleurs, la FED a engagé un gigantesque plan systématique d’achat d’obligations concentré sur les obligations de l’État américain et sur des prêts hypothécaires (respectivement 80 Mds de $ et 40 Mds $ acquis chaque mois), et elle a procédé plus marginalement à quelques achats d’obligations d’entreprises. Pour bien comprendre l’ampleur de ces injections monétaires, le Bilan de la FED est passé de 4170 Mds $ avant la COVID à 8860 Mds $ aujourd’hui, soit autour d’¼ du PIB américain ajouté en 2 ans ! Ce faisant, la FED est aujourd’hui de loin le principal détenteur de la dette fédérale américaine puisqu’elle en détient 23% du total, et c’est pourquoi, paradoxalement, son indépendance à l’égard de l’Administration fédérale est désormais probablement bien moins forte que ses statuts ne le prévoient ! Rappelons au passage que J.Yellen, l’actuelle secrétaire au Trésor américain (soit l’équivalent de notre ministre des Finances), était à la tête de la FED juste avant J.Powell.

Étant donné les circonstances, il était impossible de bien évaluer l’ampleur des soutiens financiers qu’il convenait d’engager, mais il était certainement préférable d’en faire trop plutôt que pas assez. Maintenant que l’économie américaine a retrouvé un semblant de normalité et qu’elle est même désormais sur une trajectoire économique supérieure à celle prévalant avant la COVID, la FED se doit de recalibrer sa politique monétaire. En effet, si l’on revient à son mandat de politique monétaire, le taux de chômage national est retombé à 3,9%, et l’inflation cœur (i.e. hors impact de l’énergie et de l’agroalimentaire) est désormais à 5,5%, soit bien au-delà de la cible de 2% de la FED. Il est possible de débattre, d’un point de vue qualitatif, de l’atteinte ou non de l’objectif sur l’emploi (cf. minorités ethniques…), mais l’inflation est indiscutablement trop forte, même si certaines de ses composantes (énergie, transports…) sont sans doute temporaires et dues aux conséquences de la COVID (cf. La valse des étiquettes). En termes d’inflation durable, puisque c’est cela qui est important pour elle, la FED craint aujourd’hui avant tout qu’une éventuelle boucle prix-salaires ne se mette en place, et elle s’inquiète de l’envol des prix de l’immobilier et des loyers, sujet socialement particulièrement sensible. Sa politique monétaire ciblera alors en priorité ces deux points. Par ailleurs, la FED serait certainement heureuse de profiter des actuelles tensions inflationnistes pour relever ses taux directeurs et reconstituer ainsi des marges de manœuvre monétaires avant la prochaine crise.

Il est également nécessaire de souligner le contexte politique dans lequel la FED évolue actuellement, ce dernier influençant certainement le calendrier et la nature de certaines déclarations ou décisions récentes. Les élections de mi-mandat approchent (8 novembre 2022), ce qui signifie que l’intégralité des élus de la Chambre des Représentants et ⅓ de ceux du Sénat vont être ou non reconduits dans leurs fonctions. La majorité parlementaire détenue par les Démocrates est aujourd’hui déjà étroite, et il est possible qu’elle bascule du côté Républicain à cette occasion. Si le pouvoir d’achat des ménages américains, qui sont aussi des électeurs, continuait d’être érodé par l’inflation, la défaite des Démocrates ne ferait aucun doute. Il est donc probable que J.Biden ait proposé de reconduire J.Powell dans ses fonctions, mais aussi proposé 4 nouveaux membres pour le bureau des gouverneurs de la FED, moyennant l’engagement de leur part de communiquer et d’agir de façon à atténuer les craintes d’inflation des ménages avant les élections de mi-mandat. En janvier, les discours très fermes de politique monétaire tenus par J.Powell ou par L.Brainard (vice-présidente de la FED) devant les membres du Congrès chargés de valider ou non leurs nominations ont peut-être, de ce fait, une intensité que des circonstances ordinaires n’auraient pas justifiée. En fin de compte, pour les investisseurs, la crainte est que la FED en fasse trop et trop vite en termes de durcissement monétaire, notamment du fait de la pression politique.

Comment la FED est-elle susceptible d’agir et quelles sont ses éventuelles limites ?

La COVID perturbe encore aujourd’hui beaucoup de statistiques, c’est pourquoi la FED doit s’appuyer sur des données et des projections bien moins fiables qu’à l’ordinaire pour élaborer sa stratégie monétaire. Par ailleurs, comme nous l’avons souligné, le calendrier électoral influence certainement certains de ses choix. Ce qui est déjà acquis est que ses achats d’obligations liés à la pandémie vont s’achever en mars 2022, quand bien même la COVID continuerait de perturber l’activité du pays. Plusieurs hausses de taux directeurs, probablement par tranches de 0,25% chacune, pourraient aussi intervenir à partir du mois de mars puisque, si l’on se fie aux « dot plots », 3 à 4 hausses sont possibles en 2022 (voire plus encore selon les marchés financiers !) et autant en 2023. Enfin, et cela a été la grande surprise pour les investisseurs en janvier, la FED commence même à laisser entendre qu’elle pourrait entamer une contraction de son Bilan, et donc retirer des liquidités en circulation dès cette année. Précisons qu’il y a pour la FED deux façons de réduire son Bilan : en vendant des obligations détenues, ou bien en ne renouvelant pas certaines obligations arrivant à maturité. Les investisseurs sont donc dans l’attente de précisions sur le calendrier exact des hausses de taux et sur ce qui est envisagé pour le Bilan de la FED.

À ce stade, on ne peut donc qu’émettre des hypothèses sur ce que pourrait faire la FED et, détestant l’incertitude, les marchés sont bien plus nerveux que l’an passé. Il conviendra d’ajuster plus tard si nécessaire le scénario, lorsque la FED aura été plus explicite sur ses intentions. Rappelons tout d’abord que, sauf à être très brutale (des pas de 0,50% plutôt que 0,25% par exemple, mais qui signaleraient une forme de panique de la FED !), une hausse des taux directeurs n’aurait d’effet concret sur l’économie réelle que six mois à un an après son annonce. Même si la FED devait procéder à 4 hausses de taux de 0,25% chacune en 2022, c’est donc après les élections de mi-mandat que leur plein effet se ferait sentir sur l’économie réelle. Au mieux, ces hausses de taux pourraient jouer sur les anticipations d’inflation future et calmer le risque d’une spirale prix-salaires. Pour ce qui est de la flambée des prix de l’immobilier et des loyers (+23,6% sur les prix et +16,7% sur les loyers en 2021 en moyenne), la FED doit absolument chercher à stopper leur dynamique, mais si possible sans pour autant remettre en cause la valeur du patrimoine des ménages américains, car leurs dépenses courantes pourraient en être affectées (cf. crédits à la consommation adossés à la valeur de l’immobilier détenu). C’est pour cela que la FED pourrait éventuellement agir par réduction progressive de son Bilan, en revendant ou bien en ne renouvelant pas à l’échéance certains actifs hypothécaires qu’elle détient. Aujourd’hui, cela représente potentiellement 2600 Mds $ au maximum. Par ailleurs, même si cela ne relève pas de la politique monétaire en tant que telle, il conviendra aussi de regarder comment se comporte le Dollar car, quand il se renchérit face aux autres devises, il dégrade d’autant la compétitivité des entreprises américaines à l’exportation ou bien sur le territoire national, et donc la croissance économique potentielle du pays. Un Dollar fort se substitue donc implicitement à des hausses de taux d’intérêts directeurs. À l’inverse, un Dollar fort c’est aussi du pouvoir d’achat additionnel pour les ménages et les entreprises du pays lorsque les biens ou services sont importés de l’étranger.

La remontée des taux d’intérêts directeurs par la FED, si elle est bien graduelle, ne semble pas trop inquiéter les investisseurs, ces derniers considérant même souvent qu’elle tenait un discours trop accommodant au vu de l’ampleur des tensions inflationnistes. En revanche, la question de la réduction du Bilan est à l’évidence beaucoup plus sensible. Ceci s’explique par le fait que les marchés financiers avaient fortement baissé en 2018, lorsque la FED avait tenté alors de contracter son Bilan, et ce souvenir reste prégnant. Il est très difficile d’anticiper le moment où la FED, par ses retraits de liquidités, affecterait réellement l’économie et les marchés financiers. Toutefois, en première approximation, il nous semble que la FED pourrait potentiellement aller jusqu’à 1500-1600 Mds $. Lorsque les banques commerciales ont trop de liquidités, elles se voient proposer de redéposer quotidiennement ces excédents de cash auprès de la Banque centrale :  on appelle cela une opération de « reverse repo ». En fin d’année 2021, les « reverse repo » américains ont régulièrement avoisiné les 1500-1600 Mds $, d’où notre hypothèse qu’il pourrait s’agir là d’une borne éventuelle au « quantitative tightening ». La FED sera également attentive à ce que la remontée des rendements obligataires ne soit pas trop forte car l’endettement des agents économiques américains (État, entreprises et ménages) est aujourd’hui particulièrement élevé, et il est essentiel que leurs charges de remboursements de dettes restent supportables. Dans la mesure où l’inflation réduit le coût réel des remboursements, la FED ne pourrait-elle pas en réalité se satisfaire d’une inflation se maintenant durablement un peu au-dessus de 2% ? Par ailleurs, des taux d’intérêts réels négatifs faciliteraient les transitions numériques et énergétiques, ces dernières nécessitant beaucoup d’investissements durant de très nombreuses années. La FED sera aussi vigilante à ce que les marchés financiers ne décrochent pas trop significativement du fait de ces changements de politique monétaire. En effet, le patrimoine des ménages américains est largement investi sur les marchés financiers, notamment pour leur épargne-retraite, il est donc important que la politique monétaire ne provoque pas de choc financier prononcé ! Enfin, même si c’est en dehors du périmètre de son mandat, les actions de la FED peuvent aussi affecter l’activité réelle ou les marchés financiers de pays étrangers, les émergents notamment, c’est aussi de cela qu’il lui convient d’être attentif !

Que pourraient faire les grandes Banques centrales ?

Le focus des investisseurs est toujours principalement concentré sur les décisions de la FED, cette dernière étant de loin la plus influente des Banques centrales. Il convient toutefois de souligner que cette crise sanitaire a ceci de particulier que les cycles respectifs des pays et leurs fondamentaux économiques ne sont plus aussi synchronisés qu’à l’habitude, d’où des politiques monétaires en cours ou à venir très variées. En effet, les différences de couverture vaccinale, les biais sectoriels respectifs (tourisme et loisirs ou bien industrie et services) des pays… sont autant de facteurs ayant abouti à des situations très hétérogènes. Les Banques centrales ont toutefois ceci en commun qu’elles souhaitent toutes contribuer au maintien d’un degré d’activité élevé sur la durée afin de faciliter les remboursements de dettes. De plus, il va falloir durant des décennies maintenir des conditions financières plutôt favorables, de façon à faciliter les transitions énergétiques et numériques qui exigent des investissements colossaux de la part des États et, plus encore, des ménages et entreprises. Autrement dit, même si les politiques monétaires se durcissent, elles resteront plutôt accommodantes si on considère les taux d’intérêts réels plutôt que les taux d’intérêts nominaux.

L’inflation est forte en zone Euro, mais plus de la moitié s’explique par la contribution des prix de l’énergie. Une hausse des taux d’intérêts directeurs par la Banque Centrale Européenne (BCE) ne permettrait pas d’avoir plus de gaz ou de pétrole, mais provoquerait en revanche un tassement d’activité dans la zone, ce qui n’est évidemment pas souhaité. De même, la BCE doit trouver un équilibre entre 2,6% d’inflation à Malte et 12% en Estonie, ou bien encore entre une dette/PIB de 26,2% au Luxembourg contre 207,2% en Grèce ! Les dirigeants de la BCE sont donc divisés, car il leur faut gérer cette fragmentation des fondamentaux des pays de la zone, mais le discours officiel reste à ce stade celui d’une politique monétaire durablement accommodante : un repli ordonné du plan d’achat d’obligations lié à la pandémie (i.e. le PEPP), et le maintien de taux directeurs stables, a priori au moins jusqu’en 2023. En effet, les projections économiques de la BCE font état d’une inflation qui serait de nouveau sous les 2% à cet horizon, ce qui justifierait de prolonger le statu quo sur ses taux directeurs. Il conviendra toutefois de surveiller le comportement de l’Euro face aux autres devises car, depuis un an, il s’est déprécié d’environ 10% face au Dollar et au Yuan chinois, ce qui pourrait entretenir l’inflation via les biens et services importés de l’extérieur de la zone.

La Banque d’Angleterre (BoE) est, pour sa part, confrontée à une inflation bien plus forte qu’en zone Euro, notamment à cause du Brexit et du renchérissement de beaucoup de biens et services induit, le pays ne bénéficiant plus des tarifs préférentiels de l’Union Européenne. La BoE a déjà procédé au relèvement de ses taux directeurs en décembre 2021 (de 0,10% à 0,25%), et elle devrait continuer de durcir graduellement sa politique monétaire, même si la situation politique nationale est instable. 

La Banque du Japon (BoJ) ne cesse pour sa part de répéter qu’elle va maintenir une politique monétaire durablement accommodante, et elle tente depuis de si nombreuses années de faire remonter l’inflation dans le pays, que la situation actuelle est même plutôt une bonne nouvelle à ses yeux ! La BoJ finance depuis des décennies la politique budgétaire du gouvernement et, même si la dette détenue dans son Bilan représente désormais 135% du PIB, cette situation ne l’inquiète pas particulièrement puisque la dette est presque exclusivement détenue par des investisseurs japonais.
À l’inverse de la plupart des Banques centrales, celle de la Chine (PBoC) est entrée dans un cycle de détente monétaire et non pas de durcissement monétaire, en baissant ses taux directeurs en janvier 2022. Ceci s’explique notamment par le fait que le pays a bénéficié d’un cycle économique avancé de près d’un an par rapport à ses homologues, en étant devenu LE fournisseur de biens industriels quand les autres zones étaient confinées. De plus, le pays avait adopté une politique monétaire déjà restrictive en 2021, notamment afin d’assainir certains excès d’endettements jugés spéculatifs (cf. immobilier notamment). Enfin, le maintien d’une politique de confinements larges afin d’assurer le « 0 COVID » freine peut-être trop la croissance du pays, surtout si le variant Omicron venait à s’imposer malgré les précautions prises. La PBoC pourrait donc assouplir encore sa politique monétaire en 2022, et cela par touches successives en fonction du contexte.

Quelles allocations d’actifs peut-on éventuellement adopter dans ce contexte ?

La dispersion des comportements des Banques centrales est plutôt une bonne nouvelle pour l’économie mondiale, car cela signifie que si certaines zones veulent freiner, ce mouvement ne sera pas pour autant général. En revanche, cela complique d’autant les allocations d’actifs, certaines devises pouvant faire les frais de ces écarts de politiques monétaires. Dans un tel contexte, faut-il alors se concentrer sur l’allocation tactique, cherchant à bénéficier de certaines dynamiques de court terme, ou bien faut-il maintenir le focus sur l’allocation stratégique de long terme ? 

Il nous semble qu’en faisant un bilan avant-après COVID, tel qu’effectué dans le tableau ci-joint, certaines réponses se dessinent déjà. 

  • L’emploi a retrouvé ses niveaux d’avant COVID, mais l’inflation est bien plus forte, sachant que la désorganisation persistante de nos économies explique une part significative de ce surcroît d’inflation. Cette situation justifie une certaine normalisation des politiques monétaires, mais sans excès car l’inflation est en partie temporaire et qu’elle arrange finalement plutôt les États.
  • Les rendements des obligations sont assez voisins de leurs niveaux d’avant crise sanitaire, ils intègrent déjà une partie du durcissement monétaire à venir, mais pas forcément l’intégralité (quid de l’ampleur de la contraction du Bilan de la FED par exemple ?). Certains investisseurs peuvent néanmoins déjà considérer que le rendement des obligations à 10 ans américain (1,78%) est de nouveau attrayant par rapport à celui des dividendes des actions américaines (1,34% pour le S&P500).
  • Notre hypothèse forte demeure que les Banques centrales ne peuvent aller très loin dans les durcissements monétaires, du fait de l’ampleur de l’endettement présent et des investissements futurs majeurs nécessaires pour réaliser les transitions énergétiques et numériques. Le recul des obligations n’est alors peut-être pas tout à fait achevé, mais le risque de perte en capital est désormais nettement moindre qu’en 2021. 
  • Tant que les taux RÉELS resteront négatifs, il conviendra néanmoins de sous-pondérer plutôt les obligations qui font perdre du pouvoir d’achat à l’épargnant. Une exception néanmoins à cette ligne directrice : les obligations indexées sur l’inflation, mais ce segment obligataire s’est déjà beaucoup revalorisé.
  • Les entreprises peuvent souvent user de leur rapport de force pour faire passer des hausses de prix à leurs clients (i.e. c’est le « pricing power »), les actions offrent de ce fait une certaine protection face à l’inflation. Par ailleurs, la COVID a accéléré la numérisation de beaucoup de secteurs, et des gains de productivité permettent de conforter sur la durée les bénéfices. Les actions doivent plutôt rester surpondérées à ce stade, mais leur performance boursière sera probablement moins extraordinaire que durant les deux dernières années, et il faut s’attendre à quelques décrochages ponctuels.
  • Le débat sur les actions est aujourd’hui surtout de choisir entre l’allocation tactique, privilégiant alors les valeurs cycliques et décotées, ou bien l’allocation stratégique, favorisant les sociétés à forte croissance mais chères et très directement affectées par la remontée des rendements obligataires (cf. calculs d’actualisation de flux futurs). Les tentatives de rotation de style ont systématiquement été de brèves durées durant les derniers mois, et il nous semble que cela devrait rester le cas, mais avec des écarts de performances temporairement encore plus prononcés. Nous privilégions l’Europe pour jouer l’allocation tactique et les États-Unis pour l’allocation stratégique. Une forte exposition aux émergents nous semble encore prématurée. Les grandes capitalisations ayant des « pricing power » meilleurs que les petites entreprises, elles doivent rester privilégiées dans les allocations.
  • La volatilité sera plus forte cette année, et les investisseurs en ont déjà conscience, comme le montre celle des actions américaines (i.e. le VIX). Ce niveau encore élevé de volatilité signifie toutefois qu’il n’y a pas encore d’excès de confiance des investisseurs et, parce qu’il y a encore beaucoup trop d’épargne en réserve, les baisses devraient rester des opportunités d’achat. Le contexte monétaire étant moins favorable qu’en 2021, on peut toutefois s’attendre à ce que l’ampleur des baisses soit plus prononcée que l’an dernier.
  • Lorsque l’épargne est allouée sur des actifs en devises étrangères, il conviendra de bien soupeser l’opportunité (et le coût que cela représente) de couvrir ou non son exposition au risque de change. Les devises pourraient avoir une contribution favorable ou défavorable importante à la performance finale en 2022 !
  • Les matières premières étant le plus en amont du cycle de production, c’est alors la meilleure des protections face au risque d’inflation. L’actuelle désorganisation persistante de nos économies du fait de la COVID joue également en leur faveur temporairement. En comparant la performance des matières premières à celle des actions durant cette période de COVID, il ne semble pas y avoir eu d’euphorie spécifique, c’est pourquoi nous restons surpondérés sur cette classe d’actifs.

En fin de compte, le caractère moins accommodant des politiques monétaires incitera les investisseurs à réapprendre à faire la distinction entre la peur et le risque.

La FED est finie ?

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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