Les prix s’emballent et, dans les pays développés, c’est tout simplement du jamais vu depuis 40 ans ! Pour les marchés financiers et pour bien des ménages, hormis la question sanitaire, ces hausses de prix sont probablement LE principal sujet de préoccupation en ce début d’année 2022. Mais de quoi parle-t-on exactement, comment expliquer ce brutal changement de tendance, et ce phénomène pourrait-il n’être que transitoire ? Quelles dispositions convient-il éventuellement de prendre pour son épargne ?
Inflation, désinflation, déflation… de quoi parle-t-on exactement ?
Le terme d’inflation est très souvent employé abusivement. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) définit l’inflation comme l’augmentation durable et générale des prix. Il doit tout d’abord y avoir une notion de continuité dans le temps du phénomène, sinon il s’agit d’une simple hausse temporaire des prix. Il faut aussi que cette hausse des prix concerne tous les biens et services consommés, sinon ce n’est plus qu’une déformation de prix relatifs entre produits. Tous les biens et services ne voyant pas leurs prix monter, et le caractère auto-entretenu du phénomène restant incertain, l’inflation n’est donc pas avérée aujourd’hui au sens strict du terme ! Pour qu’une spirale inflationniste s’installe, il faudrait que la hausse générale des prix entraîne une revalorisation générale des salaires, et que cette hausse des coûts de production pour les entreprises nécessite à son tour de passer des hausses de prix etc… C’est pourquoi, même s’il n’y a pas d’inflation aujourd’hui, on ne peut l’exclure durant les prochains mois et années ! Pour ce qui est de la désinflation, c’est une décélération du rythme d’inflation. Autrement dit, la situation d’inflation persiste, mais sa dynamique ralentit, passant par exemple de +7% à +5%. Enfin, la déflation est l’opposé complet de l’inflation : c’est une période de baisse prolongée et généralisée des prix.
Comment mesure-t-on l’évolution des prix et quels indices faut-il surveiller ?
En France, l’INSEE mesure chaque mois les variations de prix d’un panier de biens et de services dont la composition est actualisée chaque année, chaque produit étant pondéré selon son poids dans la dépense de consommation des ménages. À noter que seuls sont comptabilisés les loyers, les logements étant considérés comme un investissement et non une dépense de consommation. La mesure de l’évolution des prix est une variation des prix du panier de biens et services par rapport à une date de référence précédente. Le référentiel initial est donc très important car, s’il est très élevé ou bien au contraire très bas, cela aura d’importantes conséquences sur la variation qui en découle. C’est précisément le problème aujourd’hui : beaucoup de prix s’étaient effondrés ou n’existaient tout simplement plus en 2020 et début 2021 du fait de la crise sanitaire (cf. activités de loisirs inaccessibles…), d’où un panier de référence déstructuré. Maintenant que les économies retrouvent un semblant de normalité, beaucoup de services reprennent, affectant de nouveau la structure de la consommation et déformant les prix relevés. Plus encore que d’habitude, du fait de l’ampleur de l’impact économique de la crise de la COVID, il convient d’interpréter avec la plus grande prudence les chiffres d’évolution des prix publiés actuellement.
Trois indices des prix sont plus particulièrement suivis par la communauté des économistes et investisseurs. Le principal est l’indice des prix à la consommation (IPC en français ou CPI en anglais). C’est ce dernier que nous avons décrit précédemment, et qui est généralement relayé par les médias. Mais il présente un défaut : certains composants, comme les prix de l’énergie ou de l’agroalimentaire, peuvent provoquer des variations mensuelles très importantes de l’indice. L’énergie contribue par exemple à elle seule à plus de la moitié de l’IPC français actuellement ! C’est pourquoi un second indice (IPC cœur, ou « core CPI » en anglais) est aussi publié, atténuant ces éléments volatils. Les Banques centrales privilégient généralement ce second indice, parmi les déterminants clés de leurs politiques monétaires. Enfin, le troisième indice publié est spécifique aux entreprises, permettant d’analyser l’évolution de leurs structures de coûts : il s’agit de l’indice des prix à la production (IPP en français, ou PPI en anglais). Les investisseurs comparent souvent l’évolution de l’IPP et de l’IPC pour analyser les pressions s’exerçant sur les marges bénéficiaires des entreprises. En effet, si l’IPP monte fortement et que l’IPC progresse nettement moins, cela signifie que les entreprises ne parviennent pas ou bien préfèrent ne pas répercuter sur le client final leurs hausses de coûts pour maintenir leurs chiffres d’affaires et conserver la clientèle… la différence entre ces deux indices est particulièrement forte actuellement.
Quels sont les principaux facteurs expliquant les hausses de prix ?
Sans chercher à être exhaustifs, plusieurs facteurs expliquent généralement les hausses de prix.
- Un excès de consommation par rapport aux capacités de production peut déjà expliquer les hausses de prix : il s’agit là du fameux déséquilibre entre la demande et l’offre. C’est précisément à cette situation que les industries du monde entier sont confrontées aujourd’hui. La consommation ne pouvant s’orienter comme à l’habitude vers les services, du fait des entraves sanitaires, elle se reporte massivement sur les biens industriels qui, de leur côté, souffrent de pénuries diverses ou de contraintes de production, de transport ou de distribution. Pourquoi les entreprises se priveraient-elles de passer des hausses de prix, alors que le rapport de force joue actuellement en leur faveur, d’autant que l’épargne généralement constituée durant la crise sanitaire rend supportables ces relèvements tarifaires ?
- Les hausses de prix peuvent aussi provenir des contraintes de coûts de production (matières premières, semi-conducteurs, frais de transport, salaires…) s’imposant aux entreprises et qu’elles doivent répercuter sur leurs clients, notamment quand leurs gains de productivité sont insuffisants. L’évolution des salaires fait l’objet d’une attention toute particulière, dans l’hypothèse d’une éventuelle spirale prix-salaires. Il n’est toutefois pas toujours facile de répercuter ces coûts, l’intensité de la concurrence pouvant être forte et l’entreprise risquant de perdre des parts de marché. L’enjeu est alors de savoir ce qu’est son « pricing power », autrement dit sa capacité à imposer ses conditions financières à ses fournisseurs et à ses clients. Les situations de monopole ou d’oligopoles, certains secteurs d’activité spécifiques tel que le luxe… bénéficient généralement d’un pouvoir de négociation favorable. Lorsque l’inflation est forte, c’est ce type d’entreprises qui préservent alors le mieux leurs marges bénéficiaires.
- Les fluctuations entre devises internationales influencent aussi les prix payés. S’il n’y a pas de possibilité de substitution au produit à acquérir, et qu’il faut nécessairement l’importer en provenance d’un pays ayant vu sa devise se renchérir, cela induit une augmentation mécanique des coûts subis : on parle alors d’inflation importée. Pour la zone Euro, l’appréciation de +7,4% du Dollar face à l’Euro en 2021 renchérit d’autant les importations facturées en Dollar, comme le pétrole par exemple ! De même, l’appréciation du Yuan chinois de +10,8% face à l’Euro coûte cher aux consommateurs européens. Ce phénomène est particulièrement oppressant pour certains pays émergents ayant vu leurs devises se déprécier fortement en relatif depuis le début de la crise de la COVID, notamment s’il faut importer des produits de subsistance primaire, tels que des biens agro-alimentaires !
- Enfin, l’excès de monnaie en circulation peut aussi encourager les hausses de prix. En effet, en théorie, s’il y a bien plus d’argent mis en circulation par les Banques centrales, mais en revanche pas davantage de biens et de services disponibles en face, la devise perd de son pouvoir d’achat puisque pour une même somme faciale on a désormais moins de produits en contrepartie. Pour acquérir le bien ou le service, il faut donc en principe le payer bien plus cher. Au vu de l’ampleur des injections de monnaie par les Banques centrales depuis une décennie (cf. évolution de leurs Bilans), les prix des biens et services auraient dû s’envoler depuis longtemps, alors que ce n’est toutefois pas le cas. C’est néanmoins cette crainte qui incite des épargnants à investir sur l’or ou bien sur certains crypto-actifs .
Si les investisseurs s’inquiètent autant du risque d’inflation à venir, c’est que chacun des facteurs potentiellement explicatifs de l’inflation sont actuellement actifs.
Quelles sont les conséquences de l’inflation ?
Lorsque les prix s’emballent, les principales conséquences sont :
- Une perte de pouvoir d’achat pour les agents économiques ayant des revenus fixes ou faiblement indexés : salariés, pensionnés, détenteurs de créances à taux fixe. Il est en effet difficile pour les employés d’obtenir les augmentations de salaires nécessaires à la préservation intégrale de leur pouvoir d’achat alors même que les mécanismes d’indexation des salaires ont généralement disparu, que le pouvoir de négociation des syndicats a décliné, que la concurrence internationale est intense, que le niveau du chômage est élevé… Dans ces circonstances, les employeurs préfèrent généralement verser plutôt des primes qui, elles, n’affectent pas de façon permanente la structure de coût et donc la compétitivité. Les retraités voient, pour leur part, leurs pensions être généralement pas du tout ou bien trop peu indexées sur l’inflation. Enfin, les créanciers obligataires sont les grands perdants lors des phases inflationnistes, puisque leurs revenus sont fixes et que l’inflation érode systématiquement le rendement de leur épargne. En effet, l’important est de toujours regarder le rendement réel, donc corrigé de l’inflation, et non pas simplement le rendement nominal d’un placement ! Aujourd’hui, un épargnant américain encaisse par exemple 1,51% sur les obligations à 10 ans du pays, mais l’inflation cœur étant de 4,96%, il perd en réalité -3,45% de pouvoir d’achat en achetant ces obligations ! L’effet de l’inflation sur la consommation est généralement double : on observe généralement d’abord une accélération temporaire des dépenses, par anticipation des hausses de prix futures, puis une diminution plus structurelle induite par la nécessité d’augmenter l’épargne de précaution pour pouvoir acheter des biens plus coûteux à terme. Il faut aussi souligner que l’ampleur des dépenses pré-engagées (les abonnements représentent en moyenne ⅓ des dépenses) réduit la part réellement discrétionnaire de la consommation mensuelle des ménages, conduisant à un ressenti d’inflation plus fort que la réalité.
- Pour la plupart des entreprises, quand la structure de coûts s’emballe ou bien si elle n’est plus prévisible du fait de l’inflation, impossible d’établir un budget prévisionnel d’activité fiable, ce qui complique les décisions d’investissement. Si l’entreprise est en revanche certaine de pouvoir imposer ses prix sans que cela n’altère son chiffre d’affaires et ses marges, elle peut alors envisager d’investir. De façon générale, les entreprises endettées feront des économies sur leurs charges réelles de remboursements et seront incitées à emprunter si les perspectives de croissance d’activité sont supérieures aux taux d’intérêts réels. Surtout, afin de préserver leurs marges bénéficiaires, l’inflation est une incitation pour les entreprises à réaliser des efforts de productivité et un encouragement à l’innovation.
- Les impacts sont très divers pour les États. Les allocations, pensions… à verser étant généralement indexées, leur coût augmente donc, mais généralement à un moindre rythme que l’inflation. Du côté des recettes fiscales, la hausse des prix augmente la base taxable, puisqu’étant un pourcentage du montant global… l’inflation est alors plutôt une bonne nouvelle. Pour ce qui est de la dette de l’État, l’inflation allège sa charge réelle, et rend moins nécessaire le recours à des politiques d’austérité pour maîtriser l’endettement. À choisir, il est en tout cas plus facile pour les États de faire discrètement passer auprès de la population un financement des transitions énergétiques et numériques par une ponction de leur pouvoir d’achat via l’inflation plutôt que d’exiger de nouveaux impôts.
- Lors des phases d’inflation, les principaux gagnants sont les emprunteurs à taux fixes, leurs remboursements se faisant dans une monnaie se dévalorisant. En revanche, les emprunteurs à taux variables ne bénéficient pas ou moins de ce mécanisme, leurs emprunts étant indexés sur l’inflation.
- Lorsque l’inflation s’emballe, cela pénalise en priorité les citoyens les plus pauvres, c’est pourquoi les risques de tensions sociales ne doivent pas être sous-estimés (cf. gilets jaunes en France par exemple). Si les gouvernements sont actuellement très prompts à offrir des « chèques » aux ménages, ou bien à mobiliser une partie de leurs réserves stratégiques de pétrole… c’est que cela permet d’atténuer les tensions sociales, tout en modérant l’ampleur des revendications salariales qui, si elles étaient satisfaites, pénaliseraient la compétitivité nationale. La question de l’inflation, bien qu’arrangeant plutôt financièrement l’État, peut donc vite devenir un enjeu politique de préservation du pouvoir d’achat des citoyens, surtout quand la répartition des richesses est déjà très inégalitaire ! Le sujet peut être d’autant plus sensible lorsque des élections nationales approchent !
Un cycle économique à venir plus inflationniste ?
Durant des décennies, les pays développés ont vécu avec une hausse des prix particulièrement contenue, voire parfois inquiétante de faiblesse ! Les quelques sursauts ponctuels d’inflation ont généralement été provoqués par des chocs pétroliers ou bien par des conflits militaires à proximité des zones pétrolifères. En revanche, plusieurs pays émergents, généralement du fait de points de faiblesses spécifiques, ont été confrontés à l’inflation, voire parfois même à l’hyper-inflation : Zimbabwe, Venezuela, Argentine…
Trois facteurs ont principalement contribué à atténuer structurellement l’inflation : le développement de la production de pétrole américaine a tempéré les velléités inflationnistes du cartel de l’OPEP et les chocs énergétiques ponctuels; le développement du commerce international (notamment depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001) a entraîné une très forte baisse des coûts de production internationaux; et enfin le vieillissement de la population a modifié en profondeur les structures de consommation et d’épargne. Quelle perspective peut-on avoir pour l’inflation future ?
Les dynamiques démographiques ne vont pas changer rapidement, mais les deux autres facteurs connaîtront certainement une importante inflexion durant les prochaines années. La nécessaire décarbonation de nos économies, et la transition énergétique à venir, auront des effets majeurs sur les prix des matières premières. Faute de financements suffisants, les énergies carbonées pourraient voir leurs prix monter, par simple déséquilibre entre la production et la demande. De plus, pour développer les panneaux solaires, les éoliennes, les moteurs électriques… il faudra énormément de métaux, et la production actuelle (y compris le recyclage) est très loin de pouvoir répondre à ces besoins ! Enfin, imposer une surtaxe sur le CO₂ signifie que les produits que nous achèterons seront nécessairement plus chers que par le passé. Du côté du commerce international, la crise de la COVID va inciter les entreprises à redéployer certaines productions, notamment afin de diversifier leurs fournisseurs. De même, la question de la souveraineté nationale a été mise en évidence par cette crise sanitaire, d’où la nécessaire relocalisation de certaines productions (semi-conducteurs, produits pharmaceutiques…). Par ailleurs, une taxe sur le CO₂ rendra moins pertinent le maintien de nombreuses productions dans des pays émergents à bas coûts, les prix de ces produits étant désormais surtaxés à l’entrée des pays développés. Une certaine méfiance à l’encontre de la Chine, et la pression des investissements « équitables et responsables » devrait aussi encourager des relocalisations additionnelles. Ainsi, les questions énergétique et de redistribution des productions à travers la planète devraient être, toutes deux, des facteurs plus inflationnistes durant les prochaines années.
Pour autant, des gains additionnels de productivité seront réalisés, bien des robotisations atténueront les pressions à la hausse des salaires, des innovations transformantes apparaîtront, la concurrence internationale restera très intense… Il y aura donc encore bien des facteurs pour tempérer les pressions inflationnistes à venir. À plus brève échéance, notamment pour 2022, l’avancée de la vaccination dans le monde devrait faciliter la normalisation de l’accès aux services et soulager l’actuelle pression acheteuse sur les biens industriels. L’inflation devrait diminuer l’an prochain, ne serait-ce que du fait d’effets de base désormais favorables, et elle ne se portera probablement plus sur les mêmes biens ou services qu’en 2021. Une partie de l’inflation actuelle est bien « transitoire », mais il nous semble qu’il y aura probablement aussi structurellement un peu plus d’inflation qu’avant la COVID, sans qu’il soit pour autant question d’une inflation pouvant remettre en cause par elle-même le rythme de croissance de nos économies. Le principal risque est alors celui d’une éventuelle erreur de pilotage des politiques budgétaires et monétaires, par leurs retraits prématurés ou trop brusques !
Face à un peu plus d’inflation structurelle, quelle pourrait être la réaction des autorités ?
Durant les prochaines années, la plupart des États devraient adopter une attitude budgétaire schizophrène : d’un côté, avoir la volonté de restaurer les finances publiques et de réduire graduellement leurs dettes et, de l’autre, devoir notamment contribuer au cofinancement public-privé des indispensables transitions énergétiques et numériques. L’inflation, si elle n’est pas susceptible d’engendrer de vives tensions sociales, sera perçue comme un facteur positif ou négligeable pour les finances publiques. Plusieurs élections importantes devant avoir lieu en 2022 (présidentielle française, mi-mandat américain…), la question de l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages-électeurs sera sensible en début d’année. Les injections de capitaux phénoménales effectuées depuis deux ans ne peuvent être stoppées du jour au lendemain, sous peine de dissiper une partie des bénéfices de ces mesures, surtout si des variants de la COVID (cf. variant Omicron) compliquent de nouveau la situation sanitaire et le fonctionnement de nos économies. Le « Quoi qu’il en coûte » est éventuellement derrière nous, mais pas la dépense budgétaire !
Pour ce qui est des Banques centrales, même si leur statut garantit leur indépendance, leur destin est en réalité aujourd’hui intimement lié à celui des États, notamment au travers de l’ampleur des dettes qu’elles portent dans leurs Bilans, et elles ne veulent pas être tenues pour responsables d’une éventuelle crise financière majeure. Dans la mesure où leurs attributions ne cessent de s’étoffer (cf. monnaies numériques, financements « verts »…), leur tâche ne cesse de se compliquer, les incitant à être tactiquement en retrait de ce qui serait parfois nécessaire. C’est donc avec une extrême précaution qu’elles chercheront à piloter l’évolution de l’inflation à venir : les normalisations de politiques monétaires seront longuement soupesées et annoncées très en amont afin d’éviter toute surréaction des marchés financiers. Leur objectif sera probablement de privilégier la croissance économique plutôt que d’engager une lutte dogmatique contre l’inflation. C’est pourquoi elles devraient manœuvrer de façon à maintenir des taux d’intérêts réels très faibles, voire négatifs, pour encourager l’investissement. Même si les politiques monétaires vont à l’évidence être durcies, le biais implicitement accommodant devrait en réalité perdurer. Sauf dérapage sanitaire majeur, les achats d’obligations (i.e. les « quantitative easing ») devraient s’interrompre en 2022, sans pour autant nécessiter de relèvement immédiat des taux directeurs. Des hausses de taux directeurs sont éventuellement possibles, mais les banquiers centraux attendront certainement d’avoir une meilleure visibilité sur l’inflation pour agir, puisqu’en fin de compte c’est le différentiel entre les taux d’intérêts nominaux et l’inflation qui importe. Petit rappel, lorsqu’une devise se renforce, cela se substitue implicitement à un durcissement monétaire, les entreprises du pays étant moins compétitives sur le territoire national comme à l’étranger… ce qui pourrait contribuer à expliquer l’apparent retard actuel de la politique monétaire américaine par rapport à l’inflation observée. Le principal risque pour les Banques centrales est que les agents économiques et investisseurs doutent de leur crédibilité si leurs discours et actions étaient jugés insuffisants ou tardifs (cf. évolution des prix de l’immobilier par exemple), ce qui pourrait se traduire par des corrections sur les taux d’intérêts et les devises de certains pays ou zones. Les cycles de reprise économique étant moins bien synchronisés à travers le monde, il faut s’attendre désormais à plus de déphasage entre les politiques monétaires respectives (entre les États-Unis et l’Union européenne par exemple), donc à plus de volatilité sur les actifs financiers et des écarts de performances relatives peut-être plus marqués.
Que faut-il faire de son épargne ?
Notre hypothèse est que les très fortes hausses de prix observées actuellement sur beaucoup de biens et services sont surtout conjoncturelles, car étant largement liées aux effets induits de la COVID. Toutefois, l’énergie et la réorganisation du commerce international pourraient ajouter structurellement de l’inflation durant les prochaines années, autour de 0,5% par exemple dans les pays développés. Il convient donc d’adapter les allocations d’actifs à ce nouveau contexte.
- Il faut être encore plus vigilant qu’à l’accoutumée quant au rendement RÉEL de ses placements obligataires. Autrement dit, il faut toujours mettre en regard du rendement facialement perçu le niveau de l’inflation actuelle ou, mieux encore, celui de l’inflation anticipée. C’est pourquoi les obligations souveraines sont aujourd’hui un placement servant principalement d’amortisseur lors de certains chocs, mais offrant une protection en fin de compte assez dérisoire. Les obligations indexées sur l’inflation présentent en revanche encore un peu d’intérêt, mais le thème a déjà été identifié par bien des investisseurs, son levier de performance diminue donc. Les obligations d’entreprises solides (i.e. « Investment Grade ») offrent des rendements un peu plus généreux que les rendements souverains, mais leurs rendements réels restent négatifs. Les obligations d’entreprises fragiles (i.e. « High Yield ») permettent d’avoir des rendements réels positifs, mais les risques de défauts de paiements ou de faillites nous incitent à les écarter encore de nos allocations à ce stade.
- Les matières premières nous semblent être un investissement utile dans un scénario un peu plus structurellement inflationniste, surtout dans la perspective de la transition énergétique à venir. Se pose ensuite pour l’investisseur le dilemme de financer ou non des investissements « polluants », mais néanmoins indispensables pour que soit menée à bien la transition énergétique ! L’or est d’habitude un investissement apprécié dans les phases plus inflationnistes, mais l’actuel appétit pour le risque des investisseurs et la force du Dollar altèrent sa dynamique boursière : il nous semble prématuré de déjà y allouer beaucoup de capitaux.
- Les actions sont LA classe d’actifs à privilégier dans un tel contexte, les entreprises pouvant elles-mêmes faire passer des hausses de prix. Il faut préférer généralement les grandes entreprises plutôt que les petites capitalisations boursières, car leur « pricing power » est la plupart du temps bien meilleur. Les situations de monopoles ou bien d’oligopoles sont d’habitude plus solides dans un tel contexte, mais cela implique d’investir alors sur des sociétés dont les valorisations sont plus élevées que la moyenne du marché. Il faut généralement privilégier les entreprises en amont du cycle, telles que les matières premières, afin d’éviter de subir des cascades de hausses de prix de plus en plus difficiles à faire passer au chaînon suivant de production. Si la question de la valorisation des actions fait débat, et inquiète certains épargnants, il faut bien être conscient qu’en relatif les obligations sont bien plus chères encore ! Les marges de manœuvre des Banques centrales étant limitées, les actions nous semblent devoir être encore privilégiées à ce stade. En revanche, leur volatilité (i.e. risques de replis ponctuels) sera probablement plus forte, et leurs performances seront certainement en deçà de celles de 2021.
- Les actifs « tangibles », tel que l’immobilier, séduisent généralement dans ce type de contexte, puisqu’il y a une certaine indexation des loyers. Il faut en revanche être vigilant quant au risque de potentielle perte en capital si le bien acquis l’est à un prix trop élevé, car étant faussé par un coût d’emprunt anormalement faible. Si les taux d’intérêts venaient à se tendre, qu’en serait-il de la valeur de revente de ce bien, d’autant que l’immobilier ne bénéficie pas du même degré de liquidité que les actifs cotés en bourse !
- Parce que les devises affectent fortement la performance des actifs en bourse, il conviendra d’y attacher beaucoup d’importance en 2022, d’autant que le déphasage entre les cycles économiques des pays, et donc celui des politiques budgétaires et monétaires respectives, devrait provoquer des à-coups ponctuels.
Concluons par cette réflexion de Georges Wolinski sur ce sujet : « Pour lutter contre l’inflation, il n’y a qu’une seule solution : ne pas donner d’argent à ceux qui le dépensent et ne pas le prendre à ceux qui le conservent. »