Ce début d’année 2022 aura été bien déprimant : une nouvelle résurgence de la COVID, la guerre en Europe, un pouvoir d’achat en berne… Difficile dans un tel contexte de se projeter sereinement vers l’avenir. Les sujets d’inquiétude ne manquent pas, ils pèsent sur le moral des agents économiques et sur la dynamique de l’économie et, par ricochet, sur bien des actifs en bourse. Nous voulons nous prêter néanmoins ici à un exercice inhabituel, consistant à chausser délibérément des lunettes roses, sans pour autant tomber dans l’optimisme béat, et à nous demander si, partant d’une situation aujourd’hui évidemment délicate, demain ne serait-il pas nécessairement bien plus sympathique, et quelles allocations d’actifs pourraient être alors envisageables ?
Les dividendes de la guerre
Fort de son expérience personnelle, et avec son art de l’accroche ciselée, W.Churchill défendait une thèse pleine de bon sens : « il ne faut jamais gâcher une bonne crise ! ». Bien entendu, la guerre en Ukraine est un drame horrible, et nous espérions tous ne jamais être confrontés durant notre vie à un tel événement. Au risque d’entretenir la réputation de « cynisme » des financiers, essayons néanmoins d’identifier, notamment au vu des remontées d’expérience des conflits passés, certaines dynamiques favorables pouvant en résulter.
Les guerres et les phases de reconstruction qui s’ensuivent sont toujours des facteurs d’accélération de l’innovation technologique, de régénération du tissu industriel, de réappropriation par nécessité de certaines activités économiques, d’enseignements afin d’économiser et de mieux sécuriser les approvisionnements en matières premières par crainte de pénurie, d’amélioration des réseaux de logistique et de communication, d’avancées en termes de productivité afin d’optimiser les capitaux et les ressources humaines disponibles… Que ce soit en Ukraine ou bien ailleurs, ce conflit aura de nombreuses retombées favorables durant les prochaines années.
À la différence avec la COVID où la mise en sommeil des économies avait préservé le tissu économique, la guerre en Ukraine a provoqué une destruction physique du territoire et le déplacement massif d’une partie de sa population. La reconstruction du pays sera évidemment extrêmement coûteuse, mais elle sera aussi une source d’activité prolongée pour ses habitants et pour les partenaires étrangers y étant associés, et le pays en ressortira renforcé sur la durée, les infrastructures restaurées bénéficiant des dernières avancées technologiques, écologiques…
La COVID avait mis en évidence les défaillances en termes d’autonomie sanitaire des pays, la guerre en Ukraine a, quant à elle, fait ressortir les enjeux de souveraineté énergétique, alimentaire, et bien entendu l’enjeu primaire qu’est la sécurité des territoires et des populations ! Les pays, tout comme les entreprises, seront désormais bien plus vigilants à ces divers facteurs, notamment par la localisation de certaines activités, grâce à une plus forte diversification des fournisseurs, et par la constitution plus systématique de stocks de précaution, réduisant d’autant les risques de rupture d’activité à l’avenir. À long terme, une meilleure anticipation et prévention des pénuries d’entrants sera aussi une façon d’éviter de devoir se débattre entre des coûts qui flambent et la difficulté de relever ses prix finaux. Autrement dit, le risque de spirale inflationniste incontrôlable diminue, et l’activité ainsi que les marges bénéficiaires des entreprises sont alors plus prévisibles.

L’engagement budgétaire massif des États est aussi une caractéristique récurrente lors des guerres et des phases de reconstruction. Il faut s’attendre à ce que les soutiens budgétaires restent importants durant les prochaines années, d’autant que les populations se sont habituées au « quoi qu’il en coûte » quasi permanent : c’est le probable retour en force de la planification et du régalien, et ces dépenses soutiendront la croissance potentielle des pays. Bien entendu, les budgets n’étant pas pour autant extensibles à l’infini et les dettes étant déjà très importantes, il faudra parfois arbitrer entre certaines priorités, notamment en rétrocédant des activités au secteur privé, et les administrations devront s’habituer à avoir un emploi encore plus rigoureux et qualitatif des capitaux leur étant confiés.

La guerre en Ukraine aura aussi contribué à rapprocher les pays de l’Union Européenne (UE) pour ce qui touche à la sécurité énergétique, l’alimentation et la défense. L’un des paradoxes révélés par cette guerre, et non des moindres, est que les pays du nord de l’Europe, réputés être « frugaux », sont à l’évidence parmi les plus vulnérables. Ces pays étaient hier des exemples à suivre du fait de leurs excédents budgétaires et commerciaux, fruit de décennies d’orthodoxie budgétaire et de mercantilisme, mais ils se révèlent être aujourd’hui les maillons faibles de l’UE. Il aura fallu ce conflit pour que l’Allemagne réalise l’ampleur de certains de ses errements passés, comme d’avoir renoncé au nucléaire au risque de se soumettre au bon vouloir énergétique de la Russie, ou bien encore d’avoir donné la priorité au sacro-saint équilibre budgétaire plutôt que de disposer d’une défense nationale (ou mieux encore, européenne) digne de ce nom ! La crise de la COVID avait permis une première avancée majeure avec la levée commune de capitaux à l’échelle européenne, et il est désormais probable que cette dynamique s’intensifiera à l’avenir, peut-être même sous l’impulsion des pays « frugaux » ! L’épargne européenne, plutôt que de contribuer à financer systématiquement les déficits américains et d’accroître l’avance technologique des États-Unis, pourrait trouver ainsi des emplois pertinents sur le long terme au sein de l’UE : infrastructures, transition climatique, sécurité informatique, numérique, militaire, sanitaire… Comme bien d’autres crises auparavant, cette guerre aura probablement fait s’élever d’un cran la mutualisation des ambitions et des moyens au sein de l’UE, et elle aura contribué à renforcer la construction européenne.

La guerre en Ukraine pourrait avoir des répercussions bien au-delà des frontières de l’UE. Il est évident que partout dans le monde la transition énergétique sera accélérée, que le nucléaire aura de nouveaux adeptes, et que l’économie circulaire ne sera plus une option mais une nécessité, mais il est fort possible que cela modifie rapidement les équilibres au sein du cartel pétrolier de la OPEP+. L’Iran pourrait en effet être de nouveau autorisé à exporter du pétrole si un accord était trouvé sur le nucléaire, mais quelle serait alors l’attitude de l’Arabie Saoudite, son opposant historique et principal membre de la OPEP+ ? De même, la OPEP+ collabore avec la Russie, mais sera-t-il longtemps possible de maintenir cette alliance alors que ce pays est soumis à sanctions pour avoir commis des crimes de guerre ? Autrement dit, la OPEP+ survivra-t-il à ce conflit dans son périmètre actuel, et cela ne pourrait-il être le présage d’un retour plus massif de l’offre de pétrole et donc de prix plus bas ? Pour éviter un rapprochement stratégique entre la Chine et la Russie, mais aussi afin d’atténuer les pressions inflationnistes aux États-Unis avant les élections de mi-mandat, l’Administration Biden pourrait alléger les surtaxes imposées sur de nombreux produits en provenance de Chine, héritage de la mandature de D.Trump. Ce ne sont là que quelques exemples des évolutions géopolitiques rendues possibles par ce conflit, et qui auraient été inenvisageables dans d’autres circonstances.

L’immigration induite par ce conflit est évidemment un drame épouvantable, et il faut souhaiter un retour le plus rapide et dans les meilleures conditions possibles de ces populations. Au vu de l’ampleur des destructions constatées par les médias, cela ne semble, hélas, pas devoir être le cas. L’Histoire nous enseigne néanmoins que, pour les pays d’accueil, accorder l’asile aux populations a évidemment un coût initial important, mais qu’à plus long terme certains réfugiés compléteront les effectifs manquant dans de nombreuses entreprises, créant un circuit additionnel de revenus, de dépenses et d’impôts, mais aussi un apport inestimable de compétences additionnelles. Pour les entreprises, cela atténuera le stress de manquer de main d’œuvre, réduisant d’autant le risque d’emballement des salaires. Pour l’Ukraine, si une partie de la population venait à lui manquer durablement, ce serait une incitation additionnelle à intensifier les efforts de productivité, notamment en automatisant encore plus certaines tâches. Une intégration réussie de ces réfugiés faciliterait finalement aussi les échanges entre Nations (cf. procédure en cours d’adhésion de l’Ukraine à l’UE).

Bonne nouvelle… les conditions de financement se durcissent !
L’intitulé de ce paragraphe est bien évidemment intentionnellement provocant mais, en prenant un peu de recul par rapport aux événements en cours, il n’est pas impossible qu’il soit finalement fondé.
En ce début d’année 2022, les rendements des obligations ont monté à un rythme tout simplement historique : c’est du jamais vu en un seul trimestre aux États-Unis, et on peut même parler d’un krach sur le prix des obligations ! Cette impulsion a en fait démarré le 22 septembre 2021, lorsque la Banque centrale américaine (FED) a finalement reconnu que l’inflation en cours était non pas provisoire mais plus durable qu’elle ne le prévoyait, ouvrant la voie à un fort et rapide durcissement de sa politique monétaire. Les marchés ont acté cette inflexion de discours en faisant passer le rendement des obligations souveraines américaines à 10 ans de 1,30% à l’époque pour 2,93% aujourd’hui, soit 163 points de base de hausse en seulement 7 mois ! À ce stade, la FED a remonté de 25 points de base ses taux directeurs, et les investisseurs considèrent que le cumul des remontées de taux pourrait les amener vers 2,75% fin 2022 et 3% fin 2023. Autrement dit, le marché a déjà pris acte de l’essentiel des hausses de taux directeurs à venir, à condition évidemment que l’inflation ne dérape pas encore plus. Si tel est bien le cas, les marchés obligataires retrouveraient prochainement un peu d’attrait dans les allocations d’actifs diversifiées, et leur dynamique ne pénaliserait plus autant les valorisations des marchés d’actions, notamment les entreprises chèrement valorisées car à forte croissance.

Ce qui importe pour les agents économiques endettés est non pas le coût facial de l’endettement, mais son coût réel. Autrement dit, il faut déduire du coût facial l’inflation observée ou bien anticipée. En septembre 2021, lorsque les rendements des obligations américaines étaient à 1,30%, l’inflation était alors à 5,3% dans le pays, soit des taux d’intérêts réels NÉGATIFS de -4%. Autrement dit, l’État américain remboursait en réalité 4% de moins que ce qu’il empruntait. Aujourd’hui, le rendement de ces mêmes obligations est de 2,93% et l’inflation est à 8,5%, soit un taux réel de -5,57%, bien inférieur encore à celui de septembre 2021. Paradoxalement, même si le coût de la dette monte facialement, ce qui est une source de satisfaction pour les prêteurs de capitaux, son coût réel a diminué et les conditions de financement sont en fait encore plus favorables qu’à l’époque pour les emprunteurs !

Les Banques centrales sont aujourd’hui engagées dans un processus de durcissement monétaire devant être opéré avec beaucoup de doigté afin d’éviter de déstabiliser les ménages, les entreprises et les États, tous très endettés… d’où l’inquiétude des investisseurs. Toutefois, comme nous l’avons observé précédemment, le maintien de taux d’intérêts réels négatifs, même si cela ne peut pas être un objectif explicite, pourrait en réalité être délibérément ciblé par les banquiers centraux en facilitant l’effacement discret des dettes passées, et en favorisant le financement des nécessaires investissements majeurs à venir dans les infrastructures, la transition énergétique, la défense, la santé… C’est donc bien à l’aune des taux d’intérêts réels qu’il convient de juger les conditions de financement en cours et le degré de fermeté des politiques monétaires ! Par ailleurs, en durcissant leurs politiques monétaires, les Banques centrales reconstituent des marges de manœuvre pour pouvoir intervenir en cas de nouvelle crise, et ces filets de sécurité contracycliques pourraient être précieux à l’avenir.

L’inquiétude des investisseurs vient aussi du fait que, si les Banques centrales agissaient trop fortement et trop rapidement dans leur lutte contre l’inflation, elles pourraient plonger les économies en récession (recul durant au moins 2 trimestres consécutifs du PIB). Une récession ne peut effectivement pas être exclue durant les prochains trimestres, mais cela s’expliquerait plus probablement par la croissance économique atypiquement forte après la COVID, et donc par des bases de comparaison jouant très défavorablement d’une année à l’autre. Si une récession devait intervenir, que ce soit sous l’impulsion ou non des Banques centrales, ces dernières, par pragmatisme, redeviendraient certainement vite accommodantes, d’autant que l’inflation, tout comme la croissance économique, a aujourd’hui des bases de comparaison extraordinairement élevées et ne pouvant qu’aller en s’améliorant durant les prochains trimestres. Plus important toutefois pour l’épargnant, la perspective d’une récession économique ne signifie pas pour autant des actifs financiers nécessairement mal orientés. En effet, les actifs obligataires sont alors généralement recherchés, et l’histoire montre que même les actions peuvent bien se comporter durant ces phases. Autrement dit, il peut tout à fait y avoir une déconnexion entre l’économie réelle et la bourse. La situation est précisément très atypique aujourd’hui, les ménages ayant vu leur épargne dopée durant la crise de la COVID. Ces capitaux sont alors un important réservoir de consommation potentielle pour amortir tout tassement de croissance économique, et ce sont d’évidents soutiens persistants pour les marchés financiers, d’autant que beaucoup de gérants d’actifs ont des allocations plutôt prudentes du fait du contexte trouble actuel. Paradoxalement, le risque en termes de flux financiers est alors aujourd’hui plutôt à la hausse qu’à la baisse !


Lorsque les taux directeurs des Banques centrales montent, les banques commerciales doivent répercuter ce surcoût sur les crédits accordés aux entreprises et aux ménages. Ceci est logiquement perçu comme étant une mauvaise nouvelle pour les emprunteurs et pour la croissance économique, mais c’est aussi la perspective de capitaux alloués avec plus de rigueur, les emprunteurs les moins solvables étant alors écartés. Le « quoi qu’il en coûte » lors de la COVID a permis d’éviter les faillites en série, mais cela a en même temps assuré la survie d’entreprises « zombies » ayant une faible croissance, peu innovantes faute de moyens financiers, dont la dynamique d’embauche est au point mort ou négative… Pourquoi préserver au prix fort des entreprises du passé moribondes au détriment de celles du futur, ces capitaux pouvant être employés plus utilement pour la collectivité ? De plus, l’analyse plus rigoureuse de la solvabilité des emprunteurs réduit d’autant le risque de défauts de paiements, ce qui est une bonne nouvelle pour la solidité du secteur bancaire et plus généralement pour les marchés financiers.
« L’avenir appartient aux audacieux ! » (Raymond Vincent)
En ayant bien entendu parfaitement conscience des nombreuses incertitudes pesant actuellement sur le moral des agents économiques et des investisseurs, et en s’appuyant sur les éléments d’analyse développés précédemment, quelles allocations peuvent être envisagées ?
Les obligations voient leurs rendements remonter, et cette hausse est peut-être même désormais proche de son terme si le pic d’inflation venait enfin à culminer. Mais un tel investissement est aujourd’hui encore nécessairement largement perdant du fait de l’ampleur de l’inflation. En tactique, pour diversifier son allocation d’actifs et diminuer la volatilité d’un portefeuille, les obligations retrouvent un peu d’attrait, mais leur contribution à la performance globale proviendra a priori très majoritairement du coupon détaché et non pas d’une hypothétique détente des rendements permettant aux porteurs d’obtenir alors une appréciation additionnelle de leur capital. Les obligations d’entreprises offrant des rendements plus importants que celles des États, nous les privilégions dans nos expositions actuelles. Précisons toutefois que le contexte nous incite à rester à l’écart des obligations d’entreprises fragiles (i.e. le « High Yield »), malgré le surcroît de rendement offert. Les obligations indexées sur l’inflation nous semblent pouvoir être encore conservées à ce stade, bien qu’ayant déjà beaucoup profité à leurs porteurs.

Les actions sont bien entendu un actif financier très versatile, et le contexte incite a priori à être prudent à leur égard, d’autant que le rendement des obligations redevient compétitif. Pourquoi alors restons-nous surpondérés sur cette classe d’actifs ? Même si les marges bénéficiaires de certaines entreprises sont affectées par les hausses de coûts subies, leurs carnets de commandes restent extrêmement solides, la difficulté consistant en réalité à peiner à produire et à livrer la clientèle : les perspectives d’activité sont donc encore favorablement orientées ! L’inflation observée est, par ailleurs, la démonstration que les entreprises parviennent à passer des hausses de prix, d’où des marges bénéficiaires finalement plutôt résilientes, et cette pression sur leurs coûts est une formidable incitation à réaliser des gains de productivité, évidemment favorables pour leur compétitivité et rentabilité à long terme. Les projets d’investissements des États durant les prochaines décennies étant colossaux, le secteur privé y sera évidemment associé, d’où là encore des perspectives favorables. Sur le long terme, l’investissement en actions s’impose naturellement, à la fois pour la croissance en perspective, mais aussi parce que c’est l’une des classes d’actifs permettant d’absorber de façon satisfaisante l’inflation. À court terme, il nous semble que le positionnement déjà prudent des investisseurs et que les réserves d’épargne devraient atténuer les possibles replis, et qu’il est préférable d’être déjà significativement positionné sur cette classe d’actifs. Étant peu exposées aux problématiques de matières premières, et ayant l’habitude de gérer depuis longtemps les pressions salariales, les valeurs de technologie nous semblent justifier d’une surreprésentation persistante au sein des actions. Notre préférence continue d’aller vers les grandes sociétés occidentales du fait de leur « pricing power », et nous restons en revanche prudents à l’égard des actions des zones émergentes.

Un cycle de long terme semble avoir démarré sur les matières premières (cf. https://blog.wesave.fr/eclaireur/matieres-premieres/) et, parce que c’est la meilleure des protections lors des phases d’inflation, nous surpondérons les matières premières. Parce qu’ayant été pénalisé par la force actuelle du Dollar, l’or pourrait réserver de bonnes surprises durant les prochains mois, avec une volatilité probablement moins forte que la plupart des autres matières premières, d’où une représentation spécifique additionnelle dans nos allocations.
En conclusion, pour assurer la gestion de votre épargne, nous nous efforcerons de nous approprier cette citation de W.Churchill : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ! ».
Merci pour cet éclaireur très complet!
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