Date de publication : 1 décembre 2020

Sidérante, cauchemardesque, traumatisante, cataclysmique, ou plus simplement historique… l’année 2020 aura été celle de tous les superlatifs ! En bourse, jamais une baisse d’une telle ampleur et dans un temps aussi bref n’a été observée jusqu’alors. La mobilisation contre le coronavirus a été mondiale, et les moyens engagés sans pareils. Bien que le virus circule encore, la perspective de l’utilisation de plusieurs vaccins en 2021 redonne l’espoir de retrouver prochainement une vie plus normale. Mais un choc aussi considérable ne peut que bouleverser durablement de nombreux équilibres qui étaient parfois déjà précaires. L’épargnant doit tenter de prendre du recul face à ces événements exceptionnels, car ils auront assurément d’importantes incidences sur les comportements futurs des actifs financiers et sur les allocations à privilégier. Nous concentrerons nos réflexions sur quelques points nous paraissant essentiels : les liens entre États et Banques centrales, les relations internationales, et le fonctionnement courant de nos économies.

États et Banques centrales : unis pour le meilleur … et pour le pire ?

Cette crise sanitaire a tout à la fois mis en évidence les faiblesses, les carences, les dépendances, et les impréparations des États (santé, éducation, productions stratégiques…), mais fait aussi apparaître leur spectaculaire réactivité et la tentation d’une omnipotence parfois erratique. Une des missions premières d’un État est de protéger ses citoyens et, en cela, aucun pays n’est aujourd’hui irréprochable. Au-delà des légitimes polémiques quant aux choix budgétaires durant les années précédentes, il importera de tirer les leçons de cet événement et il conviendra de définir précisément les missions fondamentales assignées à chaque État. Il en va en effet de leur crédibilité et du consentement des peuples, un nouvel échec d’une telle envergure pouvant conduire à des révoltes citoyennes incontrôlables.

Le COVID a justifié la mise en œuvre de soutiens jusqu’alors inconcevables, mais a aussi conduit à entraver les libertés élémentaires des citoyens. Par nécessité et par pragmatisme, tous les gouvernements, même les plus libéraux, se sont livrés à un interventionnisme inédit : l’Allemagne a par exemple renoncé à sa sacro-sainte orthodoxie budgétaire et à son zéro-déficit ! Même si l’ampleur des moyens engagés varie fortement d’un pays à l’autre (cf. déficits budgétaires), la stratégie a partout été la même : substitution, assistance, relance. Durant les confinements, des ménages et des entreprises sont privés de leurs revenus et ne peuvent faire face à leurs dépenses courantes et à leurs charges : les gouvernements doivent donc injecter des ressources de substitution. Durant les déconfinements, certains agents économiques ou secteurs ne peuvent retrouver leur activité courante, d’où la nécessité ensuite d’une assistance ciblée aux plus précarisés. Vient enfin l’étape de la relance, consistant à redonner une impulsion et à restaurer la confiance des ménages et des dirigeants d’entreprises, sans cela réticents à consommer ou à investir. Aujourd’hui, nos économies sont encore enfermées entre la phase de la substitution et celle de l’assistance, c’est pourquoi les injections budgétaires devront logiquement se prolonger durant deux à trois ans.

La difficulté pour les États est généralement celle de l’exécution de ces soutiens. Faut-il par exemple aider en priorité les ménages ou bien les entreprises ? Quels sont les circuits pour les atteindre le plus efficacement ? Pendant combien de temps encore faut-il engager ces appuis ? Quels indicateurs utiliser pour mesurer la pertinence de ces choix ? Durant ce processus, les banques jouent un rôle essentiel dans la redistribution des capitaux mobilisés par les gouvernements, et pour lesquels ils offrent leurs garanties. Mais les banques ayant une logique de maîtrise des risques pour les créances détenues dans leurs bilans, la tentation est forte pour elles de finalement plutôt prêter à ceux déjà solvables et d’exclure les ménages ou entreprises les plus en difficulté : l’accès au crédit immobilier en est un exemple flagrant ! En parallèle, les administrations sont elles aussi évidemment pleinement mobilisées, mais bien des rigidités opérationnelles freinent leur efficacité et, à l’évidence, beaucoup de ménages et d’entreprises échappent à leurs efforts de protection. Il faudra donc aider encore financièrement mais, plus important encore, former et offrir des possibilités de reconversion aux ménages et aux entreprises ne pouvant se relever de ce choc inédit. 

Sauver ce qui peut l’être encore et porter assistance à ceux qui n’auront pu être protégés ! Le COVID a conduit à une socialisation des pertes entre individus et entre générations, au travers d’un endettement colossal : c’est la stratégie du “quoi qu’il en coûte” ! Mais cette solution de court terme ne risque-t-elle pas de devenir le problème de long terme ? La dette contractée aujourd’hui ne va-t-elle pas asphyxier les capacités d’intervention futures des gouvernements et conduire à une croissance économique structurellement bien plus faible ? Les ménages ne vont-ils pas préférer épargner plutôt que consommer et les entreprises limiter leurs investissements, par peur d’impôts futurs nécessaires pour rembourser ces dettes ? C’est là qu’intervient le rôle essentiel des Banques centrales, dont le soutien aux États est acquis pour de très nombreuses années, voire décennies : elles achèteront aussi longtemps que nécessaire les obligations souveraines émises !

Les dirigeants des grandes Banques centrales l’ont souligné très justement : la principale différence entre cette crise et celle des subprimes est l’indispensable engagement des États. En effet, les banques centrales ont beau abaisser le coût de l’emprunt, ou bien encore assouplir les règles prudentielles imposées aux banques pour les crédits accordés, s’ils n’ont pas confiance dans l’avenir les ménages et les entreprises limiteront le recours au crédit pour la consommation ou l’investissement. La faiblesse des taux d’intérêts est nécessaire, mais n’est pas suffisante pour relancer les économies. De plus, les Banques centrales ne peuvent décider par elles-mêmes qui doit être ou non aidé (cf. problématique de l’aléa moral) : ce choix relève de décisions et d’orientations politiques ! Pour de nombreuses années encore, les Banques centrales se sont engagées à collaborer étroitement avec les gouvernements en devenant leurs prêteurs en dernier ressort, quitte à renoncer implicitement durant ce délai à leur indépendance statutaire. 

Mais les Banques centrales peuvent-elles encore agir ? Autrement dit, de quels instruments de politique monétaire disposent-elles pour aider encore les États ou bien pour faire face à un nouveau choc éventuel ? Si des baisses de taux additionnelles sont désormais à peu près exclues faute de marges de manœuvre, les « quantitative easings » (i.e. achats d’actifs) peuvent en revanche être encore intensifiés, et il faut souligner que bien des tabous ont été brisés et des innovations monétaires ont été mises en œuvre durant cette crise. Pour envoyer un message fort aux investisseurs, plusieurs Banques centrales majeures se sont par exemple engagées à ne plus remonter leurs taux d’intérêts directeurs lorsqu’à l’avenir l’inflation atteindra son plafond cible, mais à désormais observer l’inflation au travers d’une moyenne de long terme, sans même en préciser les modalités exactes. La croissance économique future est donc désormais prioritaire sur l’inflation. Pour tous les agents économiques endettés, les États notamment, cette règle de conduite sera très importante, l’inflation étant un moyen très puissant pour effacer discrètement une partie du coût réel de la dette. En revanche, pour les détenteurs d’obligations, elle signifie que leur pouvoir d’achat ne sera plus préservé sur la durée dès lors que l’inflation sera supérieure au rendement servi par les obligations ! Autre instrument de politique monétaire implicitement déployé durant cette crise : « l’hélicoptère monétaire », consistant à créer de la monnaie, ensuite distribuée directement aux ménages à la manière d’un revenu citoyen. Les Banques centrales n’ont certes pas versé elles-mêmes l’argent sur les comptes des citoyens mais, en finançant de façon illimitée les États, elles l’ont fait implicitement. Enfin, les Banques centrales peuvent acheter des créances d’entreprises cotées ou non cotées, voire acheter des paniers d’actions comme le fait déjà la Banque du Japon. Il ne faut donc pas sous-estimer l’ampleur des instruments d’intervention encore disponibles ou bien la créativité des Banques centrales.

En dépit de ces soutiens des Banques Centrales, les taux d’intérêts ne peuvent-ils pas monter sur les marchés financiers, asphyxiant les agents économiques endettés et provoquant une crise financière majeure ? Deux réflexions principales sont aujourd’hui menées par les banquiers centraux pour contrer cette éventualité. La première consiste à faire ce que le Japon applique depuis de nombreuses années : piloter la courbe des taux d’intérêts sur les marchés. Autrement dit, le banquier central détermine pour chaque échéance le rendement maximum qu’il ne veut pas voir dépassé et, si nécessaire, il se porte acquéreur sur les marchés de toutes les obligations qui seraient proposées au-delà de ce rendement cible. La seconde approche, afin d’aider plus spécifiquement les États, consisterait à cantonner tout ou partie de la dette engendrée par le coronavirus, et d’acheter perpétuellement les nouvelles obligations souveraines émises en remplacement de celles qu’il faudrait rembourser car étant arrivées à échéance. L’inconvénient serait que les États afficheraient toujours des ratios de dette/PIB très élevés. C’est pourquoi l’effacement complet de la dette cantonnée pourrait même être envisagé pour redonner des marges d’interventions budgétaires aux États.

Mais ces financements « illimités » par les Banques centrales ne vont-ils pas altérer leur crédibilité auprès des investisseurs et réduire d’autant l’efficacité de leurs prochaines annonces ou interventions ? L’envol des prix de certains crypto-actifs ou bien encore la hausse de l’or ne sont-ils pas les manifestations d’une défiance croissante à l’égard des monnaies ? Difficile de répondre à ce stade à cette question, mais il est certain qu’il faudra être particulièrement vigilant quant aux effets potentiels des inflexions de politiques monétaires sur les fluctuations à venir des devises et sur la performance des actifs détenus !

Relations internationales : vers une réinitialisation ?

Le coronavirus aura servi tout à la fois de révélateur et de catalyseur pour certaines tendances déjà préexistantes des relations internationales. Les gouvernements ont découvert que divers produits stratégiques ou de première nécessité pouvaient venir à manquer subitement dans ces situations extrêmes. De même, faute de fabrications domestiques de certains composants intermédiaires, bien des chaînes de production pourtant potentiellement opérationnelles ont dû être interrompues. Faire de l’étranger le bouc-émissaire de ses maux est un procédé politique banal lors des grandes crises, mais pouvant toutefois servir un but louable : celui de raviver l’union nationale afin de faciliter la sauvegarde et la reconstruction du pays. Les États souhaitent légitimement que les soutiens financiers engagés profitent en priorité, voire exclusivement, à leurs propres citoyens et entreprises. Prôner la relocalisation de certaines activités ou entreprises sur le territoire national en est une première manifestation. Mais il ne serait pas surprenant de voir aussi prochainement se dresser une vague de barrières protectionnistes, notamment sous la forme de contraintes réglementaires, sanitaires… régionales. Alors même que la solidarité et la collaboration internationale pourraient permettre d’effacer plus rapidement les stigmates de cette crise, le COVID encourage plutôt au repli sur soi, à une plus forte régionalisation des échanges, à une partition du monde, et à une intensification des réflexions des pays sur leur souveraineté.

À qui profite le coronavirus ? Responsable ou bien sauveteur, modèle à suivre ou au contraire profiteur … la Chine est au centre de la controverse. Le pays a géré de façon militaire son confinement, lui permettant de restaurer très vite ses capacités de production, quand les autres zones se retrouvaient à leur tour confinées et donc en situation de dépendance complète. Cette attitude lui permet d’afficher en fin de compte une croissance économique positive en 2020, quand tous les autres régressent fortement. Mais la dissimulation des premiers cas d’infection, la probable sous-estimation significative des décès, et l’autosatisfaction affichée quant aux succès obtenus ont souvent exaspéré les autres pays. De plus, la Chine est depuis longtemps accusée de profiter abusivement des avantages accordés par son entrée dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001, en n’offrant pas de réelle réciprocité sur son territoire aux autres pays membres. Les États-Unis en tête, bien des pays développés ont décidé de prendre du recul à l’égard de la Chine. Mais cette dernière a su exploiter opportunément l’erreur stratégique de D.Trump de se retirer en 2018 de l’Accord de partenariat transpacifique (TPP) pour négocier et parvenir à conclure en novembre 2020 un accord commercial de grande portée : le Partenariat régional économique global (RCEP). Même s’il s’agit peut-être d’une alliance de circonstances, quinze pays d’Asie sont ainsi réunis, soit deux milliards d’habitants, ou bien encore 1⁄3 du PIB mondial. Par cet accord de libre-échange, la Chine sécurise son influence sur la zone, assure son accès aux semi-conducteurs taïwanais (ce qui est vital pour ses sociétés de technologie), et pérennise sa dynamique commerciale internationale, en attendant de parvenir à doper plus encore sa consommation domestique. De plus, cet accord pourrait diminuer la nécessité d’employer le Dollar lors de nombreux échanges commerciaux … au profit du Yuan chinois. Sur le long terme, la question du statut respectif de ces deux devises a peut-être pris là un tournant important !

C’est affaiblis que les États-Unis abordent cette compétition pour conserver le leadership mondial face à la Chine. L’élection présidentielle ayant démontré l’ampleur des divisions nationales, J.Biden devra d’abord chercher à apaiser et à rassembler le pays. Sauf surprise en Géorgie le 5 janvier, le Sénat restera entre les mains des Républicains quand la Chambre des Représentants est déjà acquise aux Démocrates. C’est donc probablement avec un Congrès divisé que la nouvelle Administration devra tenter de faire passer ses vues budgétaires et sociétales. Heureusement, la Banque centrale (FED) ne manquera pas d’apporter son appui financier durant ce mandat présidentiel. Afin de compenser les marges de manœuvres budgétaires venant à lui manquer, la nouvelle Administration américaine pourrait chercher à faire baisser le Dollar face aux autres devises, dopant ainsi la compétitivité et l’attractivité du pays et, au travers du surcroît d’inflation importée, effaçant discrètement une partie du coût réel de son énorme dette. Pour faire passer en force sa transition énergétique, J.Biden pourrait avoir recours, comme l’a fait avant lui D.Trump, à des décrets en prétextant « l’urgence nationale ». Si tel était le cas, il ne faudrait pas exclure l’hypothèse qu’en 2022 un nouveau choc à la hausse sur les prix du pétrole puisse intervenir, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) alertant déjà que les investissements pétroliers actuels et programmés sont insuffisants pour une transition énergétique soutenable. L’un des défis majeurs pour le pays sera aussi de parvenir à maintenir son avance technologique et d’éviter que les prochaines normes soient imposées par la Chine et non plus par les sociétés américaines. C’est pourquoi, outre les innombrables défis domestiques qui l’attendent, J.Biden cherchera à réactiver les liens distendus avec certains alliés historiques du pays. Il est ainsi probable qu’après le gel dû à D.Trump, beaucoup d’organismes internationaux retrouvent enfin des financements et des fonctionnements plus normaux, et que le multilatéralisme redevienne la voie naturelle de la diplomatie internationale. En Asie, l’Inde pourrait être une pièce maîtresse des manœuvres américaines, ce pays n’étant pas signataire du RCEP. De son côté, l’Union Européenne (UE) peut espérer voir certains différends économiques, militaires… s’apaiser. Toutefois, le principe du « America First » ne disparaîtra pas pour autant, et le recentrage sur une base régionale devrait rester la ligne directrice de part et d’autre de l’océan Atlantique.

Comme d’habitude, les grandes crises sont des électrochocs favorables pour la construction européenne. Le coronavirus a notamment fait brutalement évoluer la perception par l’Allemagne de l’importance de la zone (cf. structure de son commerce extérieur), et décidé A.Merkel à aider les principaux clients du pays à sortir de cette phase délicate. Durant l’été, un nouvel élan majeur a été insufflé : le principe d’une mutualisation des dettes entre États membres a été adopté, avec certains pays qui seront des gagnants nets quand d’autres seront des perdants nets. C’est donc un véritable engagement solidaire intra-zone ! Autre point essentiel : cette mutualisation des dettes donnera lieu à l’instauration d’impôts communautaires (taxe carbone…), alors qu’habituellement la compétition fiscale entre les pays membres est l’une des faiblesses originelles de l’UE. C’est donc bien une Union, sur le modèle des états fédérés, qui s’esquisse désormais. Même si quelques pays frondeurs (Hongrie, Pologne et Slovénie) en compliquent l’adoption, une procédure dite de « coopération renforcée » permettrait, si nécessaire, de contourner cet obstacle législatif. Bien entendu, l’unanimité des 27 pays serait symboliquement préférable ! Au vu des budgets y étant consacrés, la première manifestation de cette union sera de faire valoir ses valeurs et ses ambitions environnementales, misant notamment sur la possible émergence d’un écosystème de croissance profitant à de nombreuses entreprises de la zone. La Banque centrale européenne (BCE) s’est déjà engagée à soutenir spécifiquement cette transformation verte de la zone. Cette dynamique communautaire tombe particulièrement à pic, le Brexit trouvant enfin son épilogue en cette fin d’année !

Économie : après la sidération, la libération ?

Les effets de la pandémie sur nos économies seront parfois simplement transitoires mais, bien plus souvent, conduiront à transformer radicalement notre environnement. Même s’il est souvent prématuré ou présomptueux d’imaginer en faire un inventaire exhaustif ou de pouvoir déjà y apporter des réponses, il est toutefois essentiel de s’interroger sur certaines de ces mutations et de leurs possibles impacts sur les entreprises, secteurs, pays, classes d’actifs…

Quel sera, à terme, l’équilibre prévalant entre la sphère publique et la sphère privée ? Même s’ils étaient prolongés, les prêts bancaires accordés grâce aux garanties des États ne pourront souvent pas être remboursés. C’est pourquoi, afin de préserver ces sociétés, il pourrait être nécessaire de convertir en capital ces dettes contractées dans l’urgence. Autrement dit, les États pourraient être amenés à nationaliser une partie significative de nos économies. Mais quelle sera encore la motivation des dirigeants et des employés de ces entreprises (souvent des PME familiales) si l’État, en tant qu’actionnaire, s’approprie une part importante des bénéfices réalisés ? Des droits de votes seraient-ils associés à ces participations détenues par l’État, autrement dit la stratégie de l’entreprise serait-elle placée sous contrôle public ? Pour certains chefs d’entreprises, ne serait-il pas plus tentant de laisser la société faire faillite et de redémarrer un nouveau projet libéré de toutes dettes ? Afin d’éviter un envol du chômage, l’État ne sera-t-il pas tenté de maintenir sous perfusion des entreprises non viables (i.e. des entreprises « zombies »), immobilisant alors des capitaux qui auraient pu trouver un meilleur emploi sur le long terme ? De plus, parce qu’elles maintiennent des surplus de productions, les entreprises « zombies » empêchent leurs concurrents de réaliser des bénéfices satisfaisants, pénalisant d’autant leur capacité à investir et à se développer. L’État lui-même y perdrait en rentrées fiscales, les entreprises étant finalement toutes peu bénéficiaires. De plus, les entreprises « zombies » exercent une pression baissière sur les prix et donc sur l’inflation et, en fin de compte, sur le coût réel des dettes !

Pour les entreprises, de nouvelles méthodes de fonctionnement radicalement différentes devront parfois s’imposer. Le télétravail, qu’il soit complet, partiel, ou par rotation, pourrait être adopté de façon intensive à l’avenir, impliquant d’énormes remises à plat organisationnelles pour l’entreprise, comme pour les employés. Comment l’entreprise prendra-t-elle à sa charge les dépenses engagées lors du télétravail, jusqu’où peut-elle contrôler les actions des employés, quels sont les risques additionnels en termes de sécurité des données… ? De plus, certaines générations ou individus moins bien formés pourraient trouver très complexe l’adoption de ces technologies, et il y aurait donc d’importantes inégalités sociales se creusant à cette occasion. Les relations avec les clients et les fournisseurs seront-elles systématiquement numérisées ? Autrement dit, le « click & collect » et les échanges par téléconférences vont-elles devenir la norme ? Un commercial doit-il encore se déplacer pour rencontrer ses clients et, pour caricaturer le propos, est-il encore bien nécessaire de maintenir une classe « business » dans les avions ou de proposer une offre hôtelière d’affaires ? De nouvelles ressources financières pourraient être ainsi dégagées par les entreprises, et être réallouées à de nouveaux usages et développements d’avenir ! Mais cette crise sanitaire a aussi démontré la nécessité d’être visible sur les réseaux sociaux et sur les plateformes de distribution en ligne, de savoir fonctionner avec des producteurs locaux, de disposer de logistiques de livraisons performantes… autrement dit d’être flexible et capable d’adapter très vite le fonctionnement de l’établissement. Ces qualités ne sont évidemment pas faciles à développer, il est donc nécessaire que l’accompagnement par les collectivités locales et par les États en termes de formations et de reconversions soit irréprochable.

Une des manifestations très atypique de cette crise sanitaire est qu’à l’inverse de la plupart des chocs majeurs, les secteurs des services ont été bien plus affectés que l’industrie. Mais certaines entreprises de services ont toutefois spectaculairement profité de ces confinements : les GAFAM (i.e. Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Inutile de revenir sur les indiscutables services rendus par ces sociétés pour permettre la continuité du fonctionnement de nos économies et le maintien du lien social. Mais c’est pourtant précisément aujourd’hui qu’elles font l’objet de critiques de plus en plus virulentes par les citoyens, par les médias et par les dirigeants des États. Ces mastodontes inquiètent, chacun se rendant compte qu’ils échappent à tout contrôle, qu’ils vampirisent bien des activités traditionnelles, qu’ils ne payent pas leur dû en termes d’impôts… Le paradoxe ne s’arrête pas là : alors même que les États-Unis et la Chine sont en pleine compétition technologique, chacun des deux pays est pourtant en train de préparer diverses mesures pour limiter l’expansion de ses propres leaders de la technologie ! En réalité, ces sociétés deviennent plus puissantes que les États eux-mêmes, et elles étouffent désormais la créativité et la diversité des offres technologiques de leurs petits concurrents, notamment en achetant les plus prometteurs d’entre eux. Paradoxalement, pour s’assurer d’être demain leader de la technologie, la Chine et les États-Unis ont peut-être désormais intérêt à réguler leurs porte-étendards. Comment y parvenir ? En les imposant, en les contraignant à financer le développement des petites sociétés concurrentes, en leur interdisant de procéder à des acquisitions, en les contraignant à scinder ou à se séparer de certains actifs… Étant donné le poids de ces sociétés dans les indices boursiers, cela pourrait évidemment engendrer beaucoup de volatilité sur les marchés ! 

Conclusion :

Vers un retour au monde d’avant ? Non ! Vers un monde qui s’écroule ? Non plus, car il s’agit plutôt d’un colossal et brutal phénomène de destruction créatrice. Le monde d’après, c’est un monde qui change ! Le redressement économique sera long, la dette accumulée restera une inquiétude persistante… mais toutes ces difficultés offriront aussi autant d’opportunités potentielles. La capacité à se mobiliser et à se battre a été une fois encore démontrée et, chez WeSave, nous chercherons à vous accompagner au mieux dans vos projets et dans vos défis futurs.

2020 … une année de ruptures

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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