Date de publication : 5 janvier 2021

Dans le calendrier zodiacal chinois, 2020 était l’année du rat, animal symbolisant le renouveau. Dans l’imaginaire occidental, le rat est plutôt une bête nuisible, propageant des épidémies. Maladie et renouveau … ce fut, hélas, bien prémonitoire ! 2021 sera l’année du buffle de métal, symbole de labeur et de prospérité. Pour les investisseurs en bourse, le buffle est l’animal incarnant la hausse des marchés financiers, son équivalent baissier étant l’ours. Le buffle en 2021 … Ce présage se vérifiera-t-il une fois encore, alors même que beaucoup d’actifs financiers ont déjà énormément progressé en 2020 ? Quelles allocations d’actifs pourraient être adaptées pour débuter la nouvelle année ?

Labeur et prospérité ?

Après le choc historique que nous avons collectivement auto-infligé à nos économies, le temps de la reconstruction est enfin arrivé ! Mais les vaccins ne seront pas disponibles simultanément pour tous et tout de suite : délais de production et d’acheminement, contraintes logistiques (réfrigération notamment), disponibilité des personnels médicaux, capacités de financement. Par surcroît, l’acceptation par tous du vaccin n’est pas acquise, nombreux étant celles et ceux s’inquiétant des possibles effets indésirables de ces vaccins, conçus et fabriqués dans l’urgence. Dès lors, l’immunité collective nécessaire pour enrayer dans chaque pays la pandémie ne sera pas atteinte avant de nombreux mois. C’est pourquoi on ne peut exclure l’hypothèse d’une troisième vague de confinement, retardant d’autant la reprise complète d’activité. Les pays développés devraient logiquement être les premiers à en disposer, mais tant que le reste du monde n’aura pas lui aussi été suffisamment vacciné, la circulation internationale des personnes restera contrainte. Faut-il par exemple envisager de subordonner tout franchissement de frontière à une attestation de vaccination ?

À n’en pas douter, il y aura en 2021 une phase de consommation de « consolation », phénomène ayant déjà été observé après les premiers déconfinements. De plus, les circuits de production et de distribution seront moins perturbés par la fermeture de certains sous-traitants ou maillons de la chaîne. Par ailleurs, la pandémie a permis à de nombreuses entreprises ou activités de révéler leur rôle indispensable et incontournable dans notre quotidien professionnel ou privé. De nouveaux usages (téléconférence, paiement sans contact, le « click & collect »…) se généralisent et seront bientôt intégrés partout et par tous. Ces diverses dynamiques contribueront à ce que la comparaison entre les années 2020 et 2021 donne l’illusion d’une reprise économique généralisée et extrêmement forte à travers le monde entier. En réalité, il est probable que les niveaux d’activité d’avant COVID-19 ne puissent pas être retrouvés avant 2022. La réouverture des pays et le retour à la normale du « labeur » ne peuvent être que très progressifs, puisqu’il est acquis que le premier semestre de 2021 sera encore affecté par la pandémie. L’industrie a plutôt bien résisté durant ce choc exceptionnel, mais beaucoup de services en ont été les principales victimes, et il n’est parfois pas certain qu’ils puissent s’en remettre, ou en tout cas pas dès 2021. Près de deux années de croissance d’activité auront été perdues. Mais il y a peut-être plus grave : nos économies se sont chargées en cette occasion d’une nécessaire mais colossale dette « stérile », car n’engendrant pas de croissance nouvelle, réduisant d’autant la capacité future à investir dans des projets d’avenir ou à parer à de nouveaux imprévus. D’après la Banque des règlements internationaux, l’endettement mondial total fin 2019 était de 250 000 Mds $, dont 175 000 Mds $ de dette privée. Fin 2020, il serait de 277 000 Mds $ (+10,8%), dont 191 000 Mds $ (+9,1%) de dette privée.

Certains secteurs d’activité ou entreprises ne pourront pas se remettre d’un choc aussi violent, leurs « business-models » ayant été trop fortement remis en cause. Les sociétés qui, avant même le coronavirus, ne survivaient que grâce à des facilités de crédit (i.e. les entreprises dites « zombies ») risquent d’être abandonnées par leurs banquiers, ces derniers étant désormais particulièrement vigilants à l’égard de la qualité des créances détenues. De plus, un meilleur usage devra probablement être fait des capitaux ainsi mobilisés, soit afin de sauver des sociétés qui seront viables à terme, soit pour financer de nouvelles activités d’avenir. Lorsque c’était possible, les sociétés ont cherché à se constituer des trésoreries de précaution, notamment grâce aux aides des États (cf. les PGE, Prêts Garantis par l’État), mais il n’est pas certain que ces prêts suffisent si la reprise d’activité ne permet pas de compenser l’ampleur des charges courantes et des dettes à rembourser. Le niveau d’endettement atteint par les entreprises étant déjà très élevé, les banques seront réticentes à accorder de nouveaux prêts. Mais, pour la banque, laisser l’entreprise faire faillite impliquerait de devoir déprécier alors l’intégralité des créances détenues ! Si 90% du PGE sont à la charge de l’État qui s’en est porté garant, 10% doivent être assumés par la banque, mais il faudrait surtout déprécier aussi toutes les dettes contractées par l’entreprise avant la pandémie. Le dilemme est alors grand pour les banques, d’autant plus que les pressions des États sont très fortes. Ces derniers sont en effet particulièrement intéressés à ce que les faillites soient évitées : préserver l’activité signifie plus de rentrées fiscales, mais aussi moins d’indemnités chômage à verser, et permet d’éviter de devoir passer par pertes et profits les 90% de capitaux prêtés dans le cadre des PGE.

En 2021, il y aura une forte reprise économique, mais les soutiens combinés des Banques centrales et des États resteront indispensables ! Les Banques centrales ont beau maintenir les taux d’intérêts à des niveaux historiquement bas, si les ménages et les chefs d’entreprises n’ont pas le « désir » d’en profiter, l’économie restera morose. Autrement dit, l’efficacité des politiques monétaires accommodantes des Banques centrales atteint une certaine limite si la confiance dans l’avenir ne se reprend pas. C’est pourquoi il est indispensable que les politiques budgétaires des États restent très actives, de façon à permettre de négocier en douceur cette phase de transition capitale. Faut-il sauver ce qui doit l’être, en adoptant alors une vue qualitative de long terme, ou bien ce qui peut l’être, répondant alors à la pression du court terme ? Au vu des discours tenus, les dirigeants du monde entier ont semble-t-il tiré les leçons des erreurs commises lors de la crise des subprimes, où le retour à l’orthodoxie budgétaire avait été bien trop prématuré. Cette fois, les injections budgétaires resteront durablement fortes, même s’il faut pour cela accroître encore plus des dettes nationales pourtant déjà particulièrement importantes. Les Banques centrales s’associeront aux efforts des États, notamment en achetant les obligations qu’ils seront amenés à émettre, et cela même quand ces dettes arriveront à échéance. Le duo budgétaire et monétaire ultra-accommodant est voué à être maintenu jusqu’à ce que la croissance soit auto-entretenue et à un rythme jugé satisfaisant, autrement dit durant plusieurs années encore. Pour les États, il faut tout d’abord continuer de se substituer partiellement aux ménages et aux entreprises, puis il faudra donner des orientations économiques fortes afin de ramener autant que possible la croissance à ses niveaux d’avant COVID-19, voire au-delà si possible. Proposer d’investir massivement dans la transition écologique est l’un des exemples d’impulsions de long terme encouragées par les États.

Des marchés financiers « bull » ?

En 2021, il y aura certes une reprise du « labeur », mais il est peu probable que l’économie réelle soit déjà une source de « prospérité » pour tout le monde. Qu’en sera-t-il alors des marchés financiers, est-il possible d’espérer la poursuite de la progression des actifs cotés ? Quand bien même le processus de vaccination se déroulerait comme espéré, des décrochages fugitifs des marchés rythmeront probablement ponctuellement les prochains mois. Toutefois, deux dynamiques très favorables militent pour la poursuite de l’appréciation des actions en début d’année : le momentum et la dynamique des flux.

Le coronavirus a certes eu pour effet de mettre fin à un cycle économique qui s’essoufflait, mais il en a aussi initié un nouveau, où la contribution budgétaire des États sera cette fois déterminante ! Durant deux à trois années, les États, appuyés par les Banques centrales, déverseront des capitaux jusqu’à ce que la consommation des ménages et l’investissement des entreprises se soient rétablis et aient pris le relais. L’exemple de la Chine montre que la consommation des ménages reprend assez vite, mais que l’investissement des entreprises est en revanche bien plus difficile à réactiver. C’est pourquoi les États doivent jouer les donneurs d’ordres en créant de l’activité au travers de la commande publique, relançant ainsi les revenus et l’envie d’investir des entreprises. Il est déjà acquis que la progression des chiffres d’affaires et des bénéfices des entreprises entre 2020 et 2021 sera spectaculaire, et les discours des dirigeants ne pourront que confirmer une nette amélioration du contexte général. De même, les statistiques économiques pointeront durant la première moitié de l’année vers un très fort rebond d’activité. Ce momentum de reprise micro-économique et macro-économique incite logiquement les investisseurs à s’exposer aux actions et aux actifs réputés cycliques, d’autant que les flux financiers sont très bien orientés et devraient le rester. 

Les ménages et les entreprises ont constitué une épargne forcée ou bien de précaution inédite (près de 150 Mds € de surcroît d’épargne pour les seuls ménages en France en 2020 par exemple), et les États et Banques centrales ont injecté et continueront d’injecter massivement des capitaux. Tant que l’économie réelle ne sera pas suffisamment restaurée, ce qui ne peut être envisagé avant 2022, ces capitaux auront vocation à rester majoritairement dans les circuits financiers, et soutiendront donc les marchés. L’extrême déséquilibre entre d’un côté une quantité d’actions en circulation se raréfiant au fil des années (cf. OPA et retraits de la cote, mais aussi du fait des rachats d’actions effectués par les entreprises elles-mêmes), et de l’autre des flux de capitaux phénoménaux cherchant aujourd’hui à s’investir, devrait entretenir la hausse des valorisations des actifs boursiers. Les Banques centrales étaient déjà très présentes sur les marchés obligataires depuis la crise des « subprimes », mais avec cette pandémie il est acquis qu’elles vont vampiriser encore plus les prochaines émissions d’obligations effectuées par les États. À titre d’illustration, ce sont près de 70% des émissions obligataires des pays de la Zone Euro qui ont été achetées en 2020 par la Banque centrale européenne (BCE) et, dans la mesure où le rythme des émissions devrait diminuer, la BCE pourrait potentiellement se porter acquéreur de l’intégralité des obligations d’États émises en 2021. Pour les investisseurs en quête de rendement, il n’y a alors pas d’autre choix que de se reporter vers d’autres actifs financiers, les obligations d’entreprises d’abord, puis les actions, même si cela implique de devoir assumer des risques de volatilité plus importants. Cette éviction forcée vers les actions est résumée par l’acronyme anglo-saxon TINA : There Is No Alternative. Un second acronyme soutiendra peut-être plus encore les actions en début d’année : FOMO, Fear Of Missing Out. La peur de rater la hausse alors que le cycle économique redémarre incite les investisseurs à acheter désormais dès que possible, entretenant la récente spirale haussière, et limitant d’autant la possibilité de voir les marchés se replier significativement. De plus, la progressive normalisation de la volatilité des actions libère de nouveaux flux favorables, certains investisseurs ayant des processus d’investissements déterminés par la volatilité des actifs financiers. L’absence de prises de bénéfices après une hausse aussi puissante que celle observée en novembre est caractéristique d’un marché avant tout « technique », porté par des flux de capitaux déséquilibrés : il n’y a pour ainsi dire plus vraiment de vendeurs ! Le rebond a été trop soudain et n’a pas permis d’absorber la masse colossale de capitaux voulant se repositionner sur les actions, c’est pourquoi il convient de rester plutôt confiant dans la probable poursuite de l’appréciation des marchés en début d’année. Si quelques augmentations de capital et introductions en bourse épongeront marginalement les capitaux cherchant à s’investir, le retour des OPA, des versements de dividendes et les rachats de leurs titres par les entreprises elles-mêmes soutiendront en revanche la hausse des actions.

De nombreux points d’attention doivent cependant inciter à pondérer un peu l’enthousiasme. Le consensus acheteur est très fort actuellement, la vigilance des investisseurs est donc peut-être « anesthésiée » par une projection dans le futur prématurée ou trop optimiste du fait de l’arrivée des vaccins. La dette accumulée est désormais colossale, ce qui ne peut qu’inquiéter régulièrement. En réalité, l’important n’est pas tant le montant de la dette que la charge de la dette qui, elle, diminue structurellement à mesure que les taux d’intérêts baissent grâce à l’intervention des Banques centrales (41 Mds € de charge de la dette en 2010 en France pour 1 700 Mds € de dettes, et 32 Mds € en 2020 pour 2 600 Mds € de dettes désormais). De même, les ratios de dette/PIB s’amélioreront, la reprise économique permettant au PIB de progresser de nouveau. C’est d’ailleurs l’enjeu majeur des prochaines années : les dettes permettront-elles de doper suffisamment la croissance structurelle de nos économies ? Pour que ces dettes soient plus supportables pour les emprunteurs, un surcroît d’inflation serait par ailleurs le bienvenu. Le retour d’un cycle d’inflation, plus fort qu’auparavant, ne peut précisément pas être exclu, ce qui aurait beaucoup d’importance pour les allocations d’actifs. En effet, l’intervention directe des États dans l’économie devrait contribuer à soutenir l’inflation. De même, tendre vers des énergies propres, certaines relocalisations d’entreprises… entraineront des surcoûts de production que certaines entreprises, celles ayant du « pricing power », parviendront à répercuter sur leurs clients, alors que d’autres devront comprimer leurs marges bénéficiaires. Enfin, à court terme, les prix des matières premières, le pétrole notamment, sont plutôt voués à monter encore durant la phase de reprise de nos économies. La question de l’inflation dans les pays sera aussi très dépendante de l’évolution des parités entre les différentes devises, les achats en provenance de l’étranger étant alors plus ou moins onéreux. Du fait de l’ampleur des capitaux injectés partout dans le monde, les devises seront un sujet d’attention très fort pour les chefs d’entreprises et pour les investisseurs, les performances des investissements réels ou financiers pouvant être intégralement effacées par des pertes sur les devises. Plus encore que les niveaux, ce sera la vitesse des changements d’équilibres entre devises qui importera pour disposer ou non du temps nécessaire pour s’y adapter. Au-delà des débats entourant leur cherté, sachant que le niveau des taux d’intérêts fausse les comparatifs historiques, les valorisations des marchés seront sujettes à de multiples aléas. Enfin, le départ de D.Trump pourrait apaiser certaines tensions politiques internationales, mais beaucoup persisteront, telle la compétition pour le leadership mondial entre la Chine et les États-Unis, les effets du Brexit, l’incertitude entourant le remplacement cet automne d’A.Merkel…

Quelles allocations d’actifs privilégier en début d’année ?

Les obligations souveraines présentent peu d’intérêt au vu de leurs rendements souvent négatifs. En cas de retour de l’inflation ou des anticipations d’inflation future, les échéances les plus éloignées seront les plus pénalisées. La faiblesse de rendement des obligations souveraines est un problème majeur pour les allocations d’actifs, car il n’y a plus alors de support d’investissement « parachute » lors des chocs surprise sur les marchés. Les interventions monétaires des Banques centrales sont d’autant plus importantes pour amortir ces chocs ponctuels, et les investisseurs comptent désormais dessus !

Les obligations d’entreprises offrent plus de rendement que les obligations souveraines, mais des défauts de paiements ou même des faillites pourraient prochainement pénaliser le segment des obligations d’entreprises à haut rendement (cf. 300 Mds $ de dettes d’entreprises zombies américaines émises avant le coronavirus et 1 300 Mds $ désormais). Il convient donc d’être sélectif sur la qualité des émetteurs, et de surveiller de près les échéances de ces obligations car leurs refinancements pourraient parfois être difficiles. 

Pour notre part, nous préférons investir actuellement sur les actions quand c’est possible. La diversification géographique permet de bénéficier des rebonds des différentes zones, d’accompagner le redressement de l’industrie et des services ayant été particulièrement affectés par le coronavirus, et elle permet de neutraliser en partie les risques attachés aux fluctuations de devises. À court terme, les thématiques cycliques ou très sensibles au rebond post coronavirus (pays émergents, marchés européens, ou certains secteurs spécifiques) pourraient surperformer encore, mais il est indispensable que les discours des dirigeants d’entreprises lors des publications de résultats soient suffisamment rassurants pour que cette tendance se prolonge. Les valeurs de croissance, telles les sociétés de technologies, resteront des cœurs de portefeuilles de long terme, malgré les risques de régulation ou de remontée de fiscalité pouvant les cibler. Les investissements « socialement responsable » continueront de bien se comporter, puisque devenant une norme d’investissement, mais une certaine maturité pourrait les gagner, et il faut s’attendre à ce que les autorités des marchés envisagent de réguler bien plus les procédures de ces investissements et les communications associées.

À l’instar des actions, les matières premières nous semblent devoir être également surpondérées, puisque permettant de s’exposer à la reprise du cycle économique, mais aussi parce qu’elles assurent une couverture naturelle contre le risque de montée de l’inflation.

Pour ce qui est des devises, celles réputées être des actifs de protection (Dollar américain, Yen japonais, Franc suisse) devraient être temporairement moins recherchées, au profit des devises plus cycliques (Euro, Yuan chinois, devises émergentes). Les questions des éventuels lancements de crypto-monnaies d’État, mais aussi de l’espace occupé par les crypto-actifs (tel le Bitcoin) pourraient être des sujets importants durant les prochains mois et années.

Le Buffle de métal

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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