Le spectaculaire rebond des marchés début 2019 a permis d’effacer la violente correction de la fin 2018, certains indices boursiers parvenant même à inscrire de nouveaux records historiques en avril. Pourtant, les statistiques économiques ont pour la plupart été décevantes depuis le début d’année, voire parfois très en deçà des attentes, et les organismes de prévision économique n’ont cessé de réviser en baisse leurs perspectives partout dans le monde. Comment expliquer ce paradoxe ? Plus encore que d’habitude, afin d’évaluer le potentiel résiduel des marchés, mais aussi pour identifier certains signaux d’alerte peut-être occultés par l’apparente euphorie ambiante, il faut s’attacher à analyser la psychologie et le positionnement financier des investisseurs, et non plus les seuls fondamentaux politiques et économiques ou bien les niveaux de valorisation.
« FoMO »
« FoMO » est l’acronyme anglais pour « Fear of Missing Out », que l’on peut traduire par « la peur de rater une occasion ». Beaucoup d’investisseurs nous semblent être aujourd’hui atteints par cette anxiété collective : craindre de passer à côté de ce qui pourrait être LA dernière impulsion haussière significative avant la fin de l’actuel cycle économique et boursier. Pour la plupart des investisseurs, ce rebond des marchés est en effet une occasion inespérée permettant de compenser tout ou partie des pertes financières infligées à la clientèle l’an dernier. Mais, pour ceux qui sont trop peu investis ou qui ont allégé trop tôt, c’est en revanche une source de stress car la hausse est si forte que les contre-performances face aux indices de référence ou bien face à la concurrence peuvent être vite TRÈS SIGNIFICATIVES, avec le risque de capituler à l’achat juste avant le retournement à la baisse des marchés !

Cette hausse s’appuie en effet sur des fondamentaux économiques et financiers préoccupants, comme l’atteste le soudain revirement accommodant des banquiers centraux en tout début d’année. Les statistiques industrielles mondiales ont en effet donné de très inquiétants signaux de contraction fin 2018, l’indice PMI manufacturier mondial approchant notamment du seuil de 50, marquant l’entrée en récession. Par ailleurs, pour les entreprises ayant des Bilans fragiles (i.e. notées « High Yield »), le financement par les marchés financiers a été temporairement impossible fin 2018, faisant craindre cette fois une crise « financière » plutôt qu’économique. Dans un tel contexte, les banques centrales ne pouvaient persister dans l’effort de « normalisation » de leurs politiques monétaires, d’où l’inflexion accommodante de leurs discours.

Ces initiatives pragmatiques des banquiers centraux ont dissipé l’hypothèse d’une récession engendrée par des politiques monétaires trop restrictives, ce qu’ont salué les investisseurs sur TOUTES les classes d’actifs. Mais les sources d’inquiétude pénalisant l’investissement et la consommation demeurent : tensions commerciales internationales, Brexit, … Quand bien même l’échéance de ces deux inconnues majeures est ajournée, quelle que soit l’issue de ces difficiles négociations, la croissance mondiale ne pourra finalement qu’en ressortir amoindrie !

Une récession n’est pas imminente, mais le haut de cycle pourrait en revanche avoir été déjà atteint, ce que suggèrent les organismes de prévision économique. Si tel est effectivement le cas, il convient alors pour les investisseurs de procéder à des ajustements d’allocation d’actifs. Mais, de même que le faible rythme de croissance des dernières années était frustrant mais a assuré une longévité atypique à ce cycle économique et boursier, la phase de ralentissement en cours ou à venir pourrait être tout aussi singulière, notamment du fait de l’omniprésence rassurante des banques centrales. Il n’est alors pas certain que les stratégies d’allocations d’actifs habituellement déployées lors des phases de fléchissement économique soient toujours pertinentes au regard de ce contexte inédit.

Les gérants sont donc d’autant plus embarrassés quant à l’attitude à adopter face à ce rebond boursier dont l’ampleur, la vitesse, et l’absence de « respiration » ne cessent de les surprendre. Il faut capter cette hausse, certes, mais les clients sanctionneraient fatalement toute présomption de « complaisance » quant à la gestion des capitaux confiés s’ils venaient à subir de nouvelles pertes financières comme en 2018 !
Comment les gérants ont-ils alors piloté leurs portefeuilles début 2019 ?
La prudence s’imposait fin 2018, ne serait-ce que pour rassurer la clientèle et démontrer que le risque était perçu, et surtout géré : du cash et/ou des instruments de couverture avaient donc été mis en place dans la plupart des allocations d’actifs. Toutefois, en début d’année, la prise de risque était de nouveau plus facile à assumer pour les gérants, car ayant du temps pour éventuellement « se refaire » s’ils venaient à se tromper et que les marchés poursuivaient temporairement leurs replis. L’ampleur EXCEPTIONNELLE de la baisse des marchés fin 2018, mais aussi plusieurs facteurs ponctuels ayant impacté la croissance mondiale (« shutdown » des administrations américaines, réglementation anti-pollution automobile, …), militaient en effet pour un rebond, au moins provisoire, de la croissance économique et des marchés. C’est en fin de compte la soudaine inflexion des politiques monétaires des banques centrales qui aura été LE facteur déclencheur de cette hausse, expliquant l’ampleur et la durée atypiques de ce rebond sur toutes les classes d’actifs !

Même si les actions progressent énormément, les statistiques de collecte/rachat montrent que les fonds d’actions ont pourtant continué de subir d’importants RETRAITS de capitaux en 2019. Une partie du cash mis en réserve en fin d’année par les gérants a ainsi été absorbée, permettant d’accroître leur exposition aux marchés sans même avoir besoin d’effectuer d’achat en bourse ! De même, la très forte hausse des actions a mécaniquement « dilué » la part de cash qui avait été constituée, entraînant une repondération automatique de ces portefeuilles aux actions détenues. Les protections financières ont, pour leur part, été généralement levées après l’inflexion de discours des banques centrales, ce qui a contribué à faire remonter les marchés. Enfin, ceux qui pariaient sur une baisse additionnelle des actions ont été contraints de racheter en urgence leurs positions vendeuses, sous peine de subir d’importantes pertes financières. Malgré ces flux acheteurs, la faiblesse persistante des volumes sur les actions interpelle les observateurs, d’autant que les entreprises contribuent significativement aux ramassages quotidiens en procédant à des rachats de leurs propres titres en bourse, et que les algorithmes de trading gonflent eux aussi l’activité au jour le jour ! Les optimistes voient dans ces faibles volumes un réservoir de hausse additionnelle des marchés, qu’entretiendrait le « FoMO ». Les pessimistes s’inquiètent en revanche du manque de consistance de ce mouvement, le risque de renversement baissier pouvant être alors aussi ample que soudain.

Une importante leçon a semble-t-il été retenue par beaucoup d’investisseurs : à ce stade du cycle, il faut se méfier des carences de liquidité de certains actifs financiers ! Ainsi, les petites et moyennes capitalisations boursières ne parviennent par exemple pas à surperformer les poids lourds de la cote, alors que c’est généralement le cas lors des phases fortement haussières des marchés. Les allocations privilégiant désormais plutôt les titres ou classes d’actifs les plus liquides, ce sont paradoxalement ces derniers qui seraient à leur tour les plus exposés aux flux vendeurs en cas de nouvelle baisse prononcée des marchés : certains positionnements consensuels pourraient en fin de compte se retourner alors contre les investisseurs ! Enfin, pour s’affranchir de la problématique de fluctuation des cours de bourse, et donc de la volatilité de valorisation du patrimoine de la clientèle, certains investisseurs réorientent aussi une partie des actifs gérés vers du « non coté » !

En 2019, de nombreux gérants traditionnels (i.e. « actifs ») ont par ailleurs intensifié leur recours aux instruments indiciels (i.e. des ETF), le risque spécifique de tel ou tel titre en bourse ayant été une fréquente source de contre-performance l’an dernier. L’emploi des ETF leur permet d’atteindre instantanément le niveau souhaité d’exposition aux marchés ou bien à certaines thématiques spécifiques, et cela tout en bénéficiant de frais extrêmement réduits, les économies ainsi réalisées contribuant favorablement à la performance finale. Ce faisant, les gestions traditionnelles deviennent alors plus réactives qu’actives, et elles tendent à converger vers le modèle prôné par les gestions « passives » pour une partie de leurs allocations financières !
La très forte hausse des marchés dissimule en réalité un biais défensif plus marqué !
À observer dans le détail certains comportements des investisseurs ou bien des marchés financiers, une « vigilance » quant aux perspectives économiques et financières transparaît.
Le contexte économique reste aujourd’hui difficile, certes, mais les investisseurs pourraient anticiper un redressement significatif de la conjoncture future, notamment à la faveur des soutiens budgétaires et monétaires des derniers mois. Dans une telle hypothèse, les gérants auraient intérêt à repositionner en amont leurs allocations : alléger les obligations souveraines au profit des obligations d’entreprises offrant des rendements bien plus élevés, et surtout intensifier l’exposition aux actions pour tirer parti d’une dynamique de résultats à nouveau favorablement orientée. Les flux de capitaux depuis le début d’année montrent qu’il n’en est rien puisque mois après mois les retraits ont persisté sur les actions et que, dans le même temps, les capitaux s’investissant sur des obligations à rendements NÉGATIFS n’ont jamais été aussi élevés !

Lorsqu’on observe les « styles de gestion » privilégiés, l’appréhension quant à la croissance future transparaît tout autant. Les investisseurs continuent ainsi de favoriser les valeurs de croissance (i.e. style « Growth ») au détriment des thématiques plus cycliques qu’incarnent les valeurs décotées (i.e. style « Value »), et ceci malgré l’extrême sous-performance de ces dernières durant les dernières années. Cette même prudence incite les investisseurs à modérer aujourd’hui leur exposition aux « petites capitalisations », alors qu’il s’agit d’habitude d’une diversification contribuant favorablement à leur performance : cette craindre d’être « piégé » avec des titres peu liquides n’est à l’évidence pas un signal de confiance dans l’avenir ! L’intensification de l’usage des ETF dans les allocations d’actifs démontre, elle aussi, que l’exposition aux marchés relève actuellement plus de choix tactiques de court terme plutôt que d’une conviction structurelle, l’important étant de pouvoir ressortir très vite et à peu de frais de ces positions si c’était nécessaire.

L’analyse des flux sectoriels est en revanche bien plus subtile à mener, et peut prêter à débat. Au premier abord, les secteurs cycliques surperforment les thématiques défensives depuis le début d’année. Mais, si l’on prend un peu de recul en intégrant l’effondrement boursier de la fin d’année 2018, le biais sectoriel DÉFENSIF l’emporte en fait indiscutablement. Mais l’explication à la bonne tenue de certains secteurs cycliques peut aussi être imputée à des stratégies de gestion très spécifiques : le « long-short ». Certains investisseurs, les fameux « hedge funds », cherchent à délivrer de la performance absolue à leurs clients en adoptant une gestion « long-short », consistant à financer certains achats d’actions par des ventes concomitantes d’autres actions, en espérant que l’évolution respective des deux prix leur soit favorable. Les fondamentaux spécifiques des secteurs peuvent par exemple les avoir incités à acheter des pharmaceutiques en surfant sur le vieillissement des populations, et vendu en revanche le secteur automobile dont la rentabilité est actuellement affectée par d’énormes investissements dus aux changements de systèmes de motorisation et aux futures voitures autonomes. Lorsque les gains de cette stratégie de « long-short » sont jugés suffisants, il convient alors de revendre le secteur pharmaceutique et d’acheter le secteur automobile … l’achat du secteur automobile ne reflète alors en aucune façon une quelconque conviction cyclique favorable, et pourtant le secteur fait l’objet de flux acheteurs !

Une importante divergence de comportement entre les investisseurs obligataires et ceux sur les actions est également instructive : les investisseurs obligataires s’exposent fortement aux sociétés ayant des bilans fragiles, alors que les gérants d’actions privilégient à l’inverse celles ayant des bilans très solides. La « protection » monétaire de nouveau offerte par les banques centrales a fait s’effondrer les rendements des obligations les plus sûres, qu’il s’agisse de celles des États ou bien celles des entreprises les plus solvables, contraignant les gérants obligataires à se reporter vers les entreprises plus fragiles mais servant des rendements élevés (i.e. « High Yield »). À l’inverse, les gérants d’actions privilégient les sociétés modérément affectées par un éventuel tassement conjoncturel, et dont la confortable trésorerie récurrente assure « en toutes circonstances » le versement des dividendes futurs et permet de procéder régulièrement à des programmes de rachats d’actions. Les investisseurs obligataires et d’actions adoptent en fin de compte tous les deux des stratégies de « rendement », mais l’allocation des gérants d’actions est plus explicite quant à sa méfiance dans l’avenir. Si les obligations « High Yield » venaient à fléchir (i.e. leur rendement qui remonterait), ce serait alors une manifestation d’inquiétude quant à la capacité de ces sociétés à rembourser leurs créanciers. Le comportement de cette classe d’actifs spécifique doit donc être observé avec une attention toute particulière !

Qu’attendre désormais et quelle allocation convient-il d’adopter ?
Les injections budgétaires et les soutiens monétaires dans le monde sont des forces de rappel importantes pour les investisseurs, mais insuffisantes à ce stade pour provoquer une accélération sensible de la croissance mondiale. Les soutiens budgétaires en Chine et en Europe auront par exemple un effet bénéfique sur la dynamique des deux zones, sans pour autant empêcher un tassement de leur croissance par rapport à l’an passé ! Aux États-Unis, les appuis budgétaires seront pour leur part probablement désormais rationnés par l’antagonisme électoral entre Démocrates et Républicains, d’autant que l’Administration Trump a déjà fortement creusé le budget national. Pour ce qui est des politiques monétaires, elles ne sont plus un frein potentiel, certes, mais elles ne sont pas assez accommodantes pour devenir un facteur accélérateur de croissance, sauf dans quelques pays émergents. Pour autant, il est intéressant de constater qu’alors même que les dynamiques macro-économiques et les valorisations boursières pourraient en principe jouer en faveur des pays émergents, les actions américaines surperforment néanmoins !

Puisqu’une accélération de la croissance est très peu probable, deux hypothèses peuvent être envisagées : une stabilisation économique en « V », scénario consensuel auprès des investisseurs pariant sur un rebond économique fin 2019, ou bien une dégradation additionnelle de la conjoncture. Si une stabilisation de la croissance économique se confirmait, l’inflation pourrait en revanche redevenir une source de préoccupation pour les politiques monétaires des banques centrales, le pétrole ayant vu son prix remonter déjà de +35% en 2019 (Brent à 71.9$). Si un tassement économique devait en revanche s’imposer, les banques centrales activeraient probablement à nouveau des soutiens monétaires pour atténuer la dégradation de la conjoncture.

Dans chacun de ces deux scénarios, les valorisations actuelles des actions nous semblent offrir une marge de progression additionnelle limitée. Les actions ont en effet déjà gagné autour de +17% en moyenne en 2019, alors même que les bénéfices des sociétés étaient révisés en baisse par les analystes de -5%. Même en considérant que la hausse de 2019 corrige un excès baissier commis fin 2018, la dynamique de résultats reste défavorablement orientée, et le « levier » d’une accélération économique ou bien celui d’un redressement des marges semble très aléatoire.

La très faible volatilité de TOUTES les classes d’actifs aujourd’hui incite à s’inquiéter d’une possible « complaisance » des investisseurs tiraillés par le « FoMO » : seules les bonnes nouvelles comptent, les autres étant minorées ou ignorées. Le principe de précaution nous semble pourtant devoir s’imposer pour les allocations d’actifs ! Sauf à ce que les publications trimestrielles révèlent étonnamment d’excellentes perspectives, les actions nous semblent devoir être sous-pondérées, en privilégiant néanmoins les sociétés de forte croissance, celles ayant des bilans sains, et enfin les groupes capables d’imposer leurs prix (et donc leurs niveaux de marges !) à la clientèle. Les allègements effectués sur les actions nous semblent pouvoir être reportés sur les obligations d’entreprises, tant que la protection des banques centrales reste acquise, sachant que les obligations à haut rendement (« High Yield ») pourraient être un important indicateur potentiel de retournement de confiance des investisseurs et d’inflexion du cycle. L’or est l’un des rares actifs présentant un véritable intérêt en tant que source de diversification financière pour la construction d’un portefeuille, bien que les politiques monétaires accommodantes des banques centrales et que la bonne résistance du Dollar pénalisent actuellement sa performance.