Date de publication : 3 octobre 2022

« C’est la fin de l’abondance, de l’insouciance et des évidences ! ». En ces termes, E.Macron a voulu alerter la population sur les risques de pénuries et de sacrifices à consentir. Pour l’investisseur, si une nouvelle ère commençait, faite durablement de pénurie plutôt que d’abondance, quelles pourraient en être les répercussions sur les économies, et ne faudrait-il pas alors envisager de modifier structurellement les allocations d’actifs de son épargne ?

Après la prospérité, l’austérité ?

Depuis des décennies, l’économie s’est organisée autour du postulat de l’abondance des facteurs de production que sont principalement les capitaux financiers, les matières premières et les travailleurs. S’appuyant sur les révolutions successives des transports, des systèmes de communication, de l’informatique… et sur l’intensification des échanges commerciaux, les multinationales ont connu un développement fulgurant en se concentrant sur l’optimisation des coûts et des délais, notamment par une fine segmentation internationale des diverses étapes de production et de distribution. De leur côté, les États et les Banques centrales se sont surtout attachés à amortir les chocs conjoncturels successifs et, lorsque c’était nécessaire, à réglementer l’expansion de ces multinationales (éviter les abus de monopoles…). Le bilan de cette répartition des tâches est a priori très flatteur : un triplement en 30 ans du PIB par habitant mondial ! La part des humains ayant accès à l’eau, à la nourriture ou à l’énergie est historiquement élevée. La santé, l’éducation, l’accès à l’information et aux loisirs… n’ont jamais été aussi répandus dans le monde. La COVID a toutefois été le révélateur de l’extrême vulnérabilité de ce modèle économique, les productions et les échanges internationaux ayant été brutalement perturbés ou interrompus à cette occasion. Les tensions géopolitiques (guerre en Ukraine, bras de fer sino-américain sur Taïwan…) n’ont fait qu’intensifier cette prise de conscience : pour les États et les entreprises, la priorité devient désormais la sécurisation des approvisionnements et la gestion des diverses pénuries potentielles.

En premier lieu, l’accès aux matières premières est redevenu un enjeu géostratégique majeur, que la guerre en Ukraine n’a fait que souligner avec plus d’intensité. Les pays qui en sont d’importants producteurs, mais surtout disposant d’excédents de production mobilisables pour l’exportation, sont de nouveau courtisés, et retrouvent un pouvoir de négociation perdu depuis de nombreuses années : pour les pays et les entreprises, il devient vital de sécuriser leurs approvisionnements ! Le prix du panier global des matières premières a certes plus que doublé depuis le creux de mars 2020 (i.e. le pire de la crise de la COVID en bourse), mais il n’est « que » +19% au-dessus de la moyenne de très long terme. Il n’y a donc pas, a priori, d’excès criant des prix des matières premières à ce stade ! Distinguons toutefois deux situations très différentes : celle où il faut subir un prix élevé des matières premières, et celle de la pénurie. Les États-Unis ont vu le coût de leur énergie monter fortement cette année mais, à condition d’en payer le prix, les ménages et les entreprises ont continué d’avoir accès à ces ressources, le pays étant lui-même un producteur mondial majeur. Les entreprises et les ménages européens pourraient en revanche subir des interruptions partielles ou complètes de leurs flux énergétiques durant l’hiver, donc faire l’objet d’une forme de « confinement énergétique », ce qui aurait évidemment de fortes conséquences sur la croissance de la zone. Dans le cas américain, le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises est affecté, mais dans le cas européen c’est, en plus, l’activité économique elle-même qui est en jeu ! Ce raisonnement peut bien entendu être étendu aux denrées agricoles, à l’eau… et c’est alors la question du risque de révoltes sociales, de migrations forcées, voire de conflits territoriaux pour accéder à ces matières premières qu’il faut alors envisager. 

Le second facteur de production, considéré jusqu’alors comme abondant par les entreprises, est la main-d’œuvre. La mise en concurrence internationale vise à optimiser la fiscalité, à tirer parti de subventions des États, à bénéficier d’un tissu logistique étendu, à se rapprocher des zones où les produits seront vendus… mais le coût et la qualification des employés sont généralement des facteurs tout aussi déterminants pour les choix d’implantation de l’entreprise. Depuis des décennies, l’influence des syndicats a sensiblement diminué puisqu’on leur opposait la menace d’éventuelles délocalisations, et le « rapport de force » était alors favorable à l’employeur plutôt qu’à l’employé. Depuis la COVID, on assiste toutefois à un phénomène mondial inédit, que les observateurs expliquent mal, et pour lequel il est difficile de prévoir s’il sera conjoncturel ou durable : la « grande démission ». Le plus souvent il s’agit de personnes âgées prenant une retraite anticipée, ou bien des jeunes quittant leur emploi du jour au lendemain car étant en quête de plus de « sens au travail » et d’équilibre personnel. Il faut toutefois aussi ajouter les individus refusant pour diverses raisons (salaire, temps de transports, horaires de travail…) les emplois disponibles. Aujourd’hui, les entreprises ont beaucoup de mal à recruter ou à fidéliser leurs effectifs, à tel point qu’il y a par exemple près de deux fois plus d’emplois offerts aux États-Unis que de personnes se déclarant en recherche d’emploi. Ce sujet de la main d’œuvre qualifiée disponible sera bien plus critique encore durant les prochaines décennies, l’abondance des travailleurs étant vouée à automatiquement disparaître : la démographie va inexorablement réduire la part des personnes actives au sein d’une population mondiale vieillissante. Certaines projections démographiques font par exemple état d’une possible division par deux de la population totale chinoise à l’horizon de la fin du siècle… autant dire que l’ « usine du monde » va devoir remettre intégralement à plat son modèle de développement et de croissance ! Ce phénomène vaut aussi pour de très nombreux pays développés. Tout comme il faut sécuriser les approvisionnements en termes de matières premières, les entreprises et les États devront se présenter sous leur meilleur jour pour attirer et fidéliser les talents du monde entier sur la durée.

Le troisième facteur de production, supposé être structurellement abondant, est celui des capitaux. Depuis 40 ans, les États, les entreprises et les ménages n’ont cessé de bénéficier d’un coût de l’emprunt toujours moins cher, soit par exemple une division par 4 du rendement des obligations souveraines américaines, et cela en dépit de la très forte remontée récente ! Ces « facilités de crédit » autorisées par des Banques centrales accommodantes ont, bien entendu, permis à de nombreux projets ou investissements de devenir rentables ou bien d’en accélérer la rentabilité. Sans surprise, ce facteur a été un contributeur MAJEUR du développement économique mondial et de l’enrichissement collectif. Comme si cela ne suffisait pas, la plupart des gouvernements ont laissé filer leurs déficits budgétaires et leur endettement afin d’appuyer divers projets. En effet, pourquoi se priver de tels leviers économiques et sociaux puisque, malgré un niveau d’endettement bien plus élevé qu’auparavant, la charge de la dette reste contenue par la chute des taux d’intérêts. Les Banques centrales ont même joué un rôle d’accompagnement encore plus décisif depuis la crise des « subprimes » en 2008, puisqu’elles sont devenues des acquéreurs majeurs des obligations émises par les Etats (i.e. les achats de « quantitative easing »). La Banque centrale européenne (BCE) détient aujourd’hui l’équivalent de 68% du PIB de la zone dans son Bilan, la Réserve fédérale américaine (FED) détient pour sa part 36% du PIB national, et la Banque du Japon (BoJ) est un extra-terrestre avec ses 130% du PIB japonais ! Ces « largesses » financières se justifiaient par le fait que le principal mandat des Banques centrales qu’est la maîtrise de l’inflation était confortablement assuré, voire c’est même la crainte de la désinflation qui a été parfois pour elles une source d’inquiétude. Mais aujourd’hui l’inflation atteint des niveaux inédits depuis 40 ans, d’où l’actuelle remontée agressive des taux directeurs et, de plus, pour certaines Banques centrales, une contraction graduelle de leur détention d’obligations souveraines (i.e. le « quantitative tightening »). Jusqu’où peut alors aller cette normalisation des politiques monétaires, et à quel point les capitaux deviendront-ils, à leur tour, une denrée rare ?

La fin de l’abondance, synonyme de décroissance ?

Le terme d’abondance renvoie à l’idée d’un surplus disponible par rapport à nos besoins. Il faut alors essayer d’identifier et de qualifier nos besoins, pour pouvoir apprécier ensuite l’éventuelle fin des surplus, voire l’existence de pénuries ! Ce propos peut sembler un peu abstrait au premier abord, mais il est en réalité déterminant pour se donner une perspective collective. Aujourd’hui, la préoccupation générale est celle de la préservation du pouvoir d’achat attaqué par l’inflation, autrement dit la frugalité n’est à l’évidence pas désirée par le collectif, et la barre est même placée très haut quant à ce que sont nos « besoins » ! Sous de nombreux aspects, notre modèle de développement est toutefois insoutenable et, face aux menaces de pénuries, il va falloir faire des efforts de sobriété, terme bien plus acceptable que celui de « rationnement ». Les mesures sont nombreuses permettant par exemple d’atténuer le stress énergétique annoncé pour cet hiver, sans forcément y perdre en qualité de vie (extinction la nuit des enseignes lumineuses des boutiques, arrêt des éclairages nocturnes inutiles de bureaux, décaler aux heures creuses le lave-vaisselle, débrancher quelques prises…), et les ménages comme les entreprises peuvent certainement réaliser ainsi des économies insoupçonnées. Pour autant, le rationnement incessant ne peut pas être un projet de société : quel peuple adhérerait à un objectif permanent de consommer moins, de faire moins, d’avoir moins ? De plus, si le prix est le critère retenu pour accéder ou non à ces biens et services rares, la répartition de l’effort de sobriété creusera encore plus les inégalités entre riches et pauvres, ce qui n’est pas soutenable à long terme. La décroissance ne peut pas être une ambition !

Le rôle des États est alors déterminant, et les dernières années montrent que leurs budgets sont déjà extrêmement sollicités, les crises majeures se succédant à un rythme exceptionnellement rapproché. Depuis la COVID et la guerre en Ukraine, les États sont de nouveau bien plus interventionnistes, stratèges et planificateurs qu’auparavant. Les projets structurants ne manquent pas, mais quelle priorité faut-il leur accorder, sachant que l’autonomie et la souveraineté doivent être assurées au mieux par la même occasion ? La transition énergétique (infrastructures, transports, isolation thermique…), la santé (prévention, diagnostic, équipement…), la sécurité (militaire, alimentaire, informatique, économique…), la transformation numérique, la conquête spatiale, l’éducation-formation… s’ajoutent aux dépenses courantes que sont déjà la sécurité sociale, la culture… Chaque pays ou zone doit donc déterminer ce que sont les besoins prioritaires des citoyens, les hiérarchiser, et veiller à éviter tout gaspillage des fonds publics qui y sont consacrés. Bien entendu, la croissance économique nationale sera d’autant plus forte qu’il sera possible d’internaliser un maximum d’étapes de développement de ces projets. Il y a donc un coût budgétaire à assumer, mais aussi un « retour sur investissement » pour ces dépenses de l’État : moins de chômeurs à indemniser, des cotisants additionnels pour les différentes caisses de prévoyance, des taxes diverses perçues sur les revenus ou sur la consommation, une meilleure intégration des citoyens à la vie collective… Face au passif budgétaire, il y a donc la constitution d’importants actifs, matériels ou immatériels, qui sont toujours sous-estimés par une approche trop comptable des choses. Il serait par ailleurs réducteur de considérer que les États ne sont là que pour assurer le « quoi qu’il en coûte » budgétaire, en agissant comme un donneur d’ordre auprès du secteur privé, ou comme le « mécène » permanent des besoins sociaux de la population ! Les États déterminent l’environnement réglementaire, le cadre fiscal (incitatif ou punitif)… assurant ainsi la cohérence du projet collectif global et la cohésion de la population mais, en fin de compte, ce sont les citoyens eux-mêmes et le secteur privé qui en sont les principaux acteurs.

La dette d’un État doit être évaluée sur le temps long, et mesurée à l’aune de sa contribution à la croissance économique globale et au « bien-être » qu’elle procure. L’Allemagne a fait durant des décennies des économies sur le budget de sa défense, quand la France y a régulièrement consacré autour de 2% de son PIB. L’endettement allemand est aujourd’hui bien plus faible que celui de la France (i.e. Dette/PIB de 69,3% en Allemagne vs 113% pour la France), mais la sécurité de sa population est bien plus précaire ou dépendante des soutiens extérieurs, ce que le conflit en Ukraine vient rappeler cruellement. Le même raisonnement vaut pour l’abandon du nucléaire, aboutissant à la dépendance énergétique du pays à l’égard de la Russie. Au final, de la France ou de l’Allemagne, lequel des deux modèles de société est le plus pertinent sur le long terme ? L’objectif n’est pas ici de mettre à l’index tel ou tel choix passé, mais simplement de souligner que le temps long et les diverses crises en sont les meilleurs juges. Un État n’est pas une entreprise, et il ne faut pas mesurer son efficacité sur de simples critères financiers, même s’il est normal d’attendre de lui la plus grande rigueur et discipline quant aux capitaux dépensés. Bien que déjà très endettés, les États peuvent généralement encore recourir à l’emprunt, mais il leur faut alors motiver les prêteurs de capitaux par des rendements obligataires élevés (tout particulièrement en période de forte inflation !), sachant que la hausse de la charge d’intérêt induite limite d’autant les marges de manœuvre budgétaires. De plus, cela signifie que l’on fait peser dans le futur, surtout sur les plus jeunes, le remboursement du capital ainsi emprunté, alors même que la répartition générationnelle des richesses et que la démographie ne sont pas favorables. Rappelons toutefois qu’une fraction seulement des dettes arrive à échéance chaque année et que ce n’est que cette fraction qui se voit appliquer les nouveaux niveaux plus élevés de taux d’intérêts … il y a donc une forte inertie du coût de la dette ! Si l’emprunt additionnel n’est plus possible, le rehaussement de la fiscalité est alors l’alternative logique, mais cela pénalise la consommation si les ménages sont taxés, et cela affecte l’investissement si les entreprises sont ciblées. Les États sont-ils alors face à une impasse financière et nos économies sont-elles vouées au mieux à la stagnation ? 

« Avec de l’argent, on vient à bout de tout. » (Proverbe espagnol)

Les Banques centrales sont le maillon clé de notre avenir puisqu’elles ont la faculté de prêter librement des capitaux et d’accumuler dans leurs Bilans les dettes des agents économiques aussi longtemps qu’elles le souhaitent, ceci par simple reconduction des créances acquises lorsqu’elles arrivent à échéance. La principale limite à cet exercice est que la confiance dans la monnaie peut s’évaporer (cf. crainte de la « planche à billets »), se traduisant notamment par la chute de valeur de la devise. Comme la crise de la COVID l’a montré, quand toutes les Banques centrales agissent simultanément, dans le même sens, et dans des proportions voisines, avec clairement l’intérêt collectif en tête, ces achats systématiques de dettes sont alors soutenables car l’adhésion générale est assurée. Le financement systématique de la transition énergétique ou de certains autres projets stratégiques majeurs par les Banques centrales peut alors certainement se faire, et ils seraient créateurs d’activité et donc de croissance économique permettant le remboursement des emprunts contractés. Il est donc important d’analyser à quel point les projets envisagés pourront faire l’objet de développements économiques sur le territoire national, quitte à créer de nouvelles filières si nécessaire, afin d’éviter de financer en réalité l’activité de pays tiers. Par ailleurs, il convient aussi de rappeler que, bien qu’étant indépendantes, les Banques centrales sont toutefois rattachées aux États puisqu’elles leurs reversent les recettes financières qu’elles encaissent. Autrement dit, si les États paient plus cher leurs emprunts parce que les taux d’intérêts montent, mais que les Banques centrales sont leurs créanciers, les États récupèrent en fin de compte le surcroît d’intérêt versé car on est alors en circuit financier plus ou moins fermé. Il est donc important d’analyser aussi la structure des détenteurs des dettes, et c’est ce facteur qui explique par exemple que l’État japonais n’a pas de difficultés à financer sa dette (266% de Dette/PIB !), celle-ci étant détenue essentiellement par des institutions financières domestiques (92,1%, dont 48,1% par la BoJ). La question de la faisabilité des financements des budgets des États relève donc surtout du choix des missions et des statuts attribués aux Banques centrales. La BCE alloue par exemple aujourd’hui systématiquement une partie des achats obligataires qu’elle réalise à la transition énergétique, et on peut imaginer qu’elle dispose demain d’enveloppes d’achats d’obligations consacrées à la santé, à la défense de la zone…

Si les Banques centrales peuvent à l’évidence contribuer au travers de leurs Bilans au financement durable des projets indispensables de nos sociétés, leur mission et leur priorité immédiate sont celle de lutter contre l’inflation. Il faut aujourd’hui stopper tout risque d’inflation durable et restaurer, par là même, leur crédibilité écornée par l’hypothèse erronée d’une inflation transitoire. La cible habituelle de long terme d’inflation des grandes Banques centrales est autour de 2%, donc très éloignée des 8% à 9% d’inflation constatée actuellement : le violent rehaussement des taux directeurs en cours est donc justifié, en dépit de son impact récessif. L’inflation de long terme devant être structurellement plus élevée du fait des surcoûts liés à la transition énergétique, aux rapatriements stratégiques d’activités vers nos pays… les Banques centrales devront intégrer à l’avenir ce facteur dans leur « fonction de réaction ». L’agenda ne s’y prête pas aujourd’hui, mais on peut s’attendre à ce que les Banques centrales rehaussent leurs objectifs de long terme d’inflation de 2% à 2,5% ou 3% par exemple, ce qui signifierait d’être plus structurellement en mode financier « accommodant ». Pour bien faire, leurs Bilans devraient être consacrés à l’achat d’obligations finançant des projets stratégiques, et les taux directeurs être dédiés au pilotage de l’inflation. Les banquiers centraux étant conscients de l’ampleur des dettes des agents économiques, de la sensibilité aux taux d’intérêts du secteur de l’immobilier, de l’impact de leurs décisions sur le patrimoine des épargnants… ne veulent certainement pas être tenus pour responsables d’une nouvelle crise économique et financière majeure, par excès de zèle dans leur lutte contre l’inflation ! La pénurie de capitaux envisagée par certains, avec pour effet une décroissance de nos économies, semble alors hautement improbable. Pour juger du caractère restrictif ou non des politiques monétaires, le débiteur devra regarder son coût d’emprunt RÉEL, autrement dit le taux nominal à payer mais retraité de l’inflation. Pour permettre aux projets majeurs et incontournables des prochaines décennies de pouvoir se matérialiser, les banquiers centraux chercheront certainement à trouver l’équilibre monétaire permettant aux taux réels NÉGATIFS de persister, mais ils seront moins favorables qu’aujourd’hui. 

Durant des décennies, on s’inquiétait de la solidité de la demande, alors qu’aujourd’hui c’est la capacité de réponse de l’offre qui préoccupe ! Les entreprises seront au cœur des transformations majeures à venir, et elles devront s’adapter à un environnement complexe. Rappelons que c’est la mission même des entrepreneurs que de proposer des innovations ou de modifier leur organisation pour produire autant ou même plus avec moins de facteurs de production… c’est tout le concept de la recherche de productivité ! Les matières premières sont rares ou coûteuses… et des techniques de recyclage, d’économies, de substitution… seront déployées pour contourner ces difficultés. La main d’œuvre est vouée à être plus chère… et une plus grande mécanisation, robotisation, le déploiement de plus d’intelligence artificielle… seront généralisés afin de faire face à cette contrainte, démarches rendues de toute façon indispensables par les dynamiques démographiques ! À l’instar des vaccins ayant été trouvés contre la COVID, avec une vitesse et une efficacité inhabituelles, on peut être confiant dans le succès qu’aurait une mobilisation générale mondiale pour produire des énergies renouvelables, pallier l’intermittence énergétique, trouver des systèmes de stockage énergétique innovants… Bien entendu, ces processus ne sont pas immédiats, d’où les incertitudes quant à la résilience de nos économies durant les prochains mois, voire quelques années. Les entreprises sont-elles alors très vulnérables ? Un renchérissement du coût du capital encourage les prêteurs à plus de sélectivité dans leurs investissements, ce qui est une bonne chose car beaucoup d’entreprises survivent indûment grâce à diverses perfusions financières, alors que ces capitaux pourraient être affectés vers des projets réellement innovants ! Les entreprises « concept » auront probablement plus de difficultés à se financer, au profit de technologies plus éprouvées, c’est pourquoi les fonds d’investissement d’ « amorçage » auront une fonction de triage encore plus importante demain qu’aujourd’hui ! Lorsque les rapports de force des entreprises se détériorent vis-à-vis des fournisseurs, des clients et des employés, mettant sous pression leurs marges bénéficiaires, des rapprochements stratégiques s’imposent afin de grossir et contourner ce point de faiblesse. Les hausses de salaires sont certes une source de coûts pour les entreprises, mais le pouvoir d’achat des acheteurs finaux est ainsi préservé ou amélioré. Tout entrepreneur vous le dira : « La résistance au changement n’est que le refus de la croissance ! » (Alexander Ruperti)

Quelques implications possibles pour les allocations d’actifs de long terme :

Pour les obligations…

  • Des rendements à attendre plus élevés que durant les dernières années car l’inflation sera plus structurelle, et parce que les besoins de capitaux des emprunteurs incitent à être plus généreux.
  • Des rendements RÉELS qui pourraient toutefois rester négatifs, d’où la nécessité de bien choisir ses investissements obligataires !
  • Le potentiel de gains en CAPITAL sur les obligations se reconstitue… les obligations sont de nouveau un « parachute » plus efficace dans des allocations diversifiées.

Pour les actions…

  • Les actions sont une couverture naturelle contre l’inflation puisque les entreprises peuvent passer des hausses de tarifs, c’est donc un choix d’exposition logique.
  • Lorsqu’il y a des situations de pénuries réelles ou potentielles, les grandes multinationales doivent être privilégiées dans les allocations d’actifs car elles sont en meilleure capacité de négociation.
  • Les entreprises de technologie seront souvent à l’origine des transformations indispensables à venir, mais certaines disparaîtront aussi, d’où notre préférence pour une bonne diversification, notamment au travers d’indices sectoriels ou thématiques.
  • Les domaines des infrastructures et de la construction devraient rester forts sur la durée du fait des migrations contraintes de populations, des remises en conformité des bureaux et des logements…
  • Lorsque les rendements obligataires montent, la rémunération de la trésorerie nette des entreprises s’améliore aussi… les entreprises les plus profitables confortent donc leur avance dans ce contexte.
  • Les fusions et acquisitions (OPA) devraient reprendre car les valorisations des proies ont beaucoup baissé, mais les prédateurs attendront sûrement que les conditions de financement soient stabilisées (dès 2023 ?) pour agir.
  • Les pays émergents devraient généralement rester les laissés-pour-compte de ces transformations car l’accès aux capitaux leur sera difficile, les rapatriements industriels vers les zones développées les pénalisent, le partage des innovations par les pays développés sera lent…

Pour les matières premières…

  • Les matières premières sont une couverture naturelle contre l’inflation puisqu’étant le plus en amont du cycle de production, il est donc logique de s’y exposer si l’inflation doit être structurellement plus forte que par le passé.
  • Les pays producteurs de métaux industriels devraient être les grands gagnants de la transition énergétique, par substitution des pays producteurs d’énergies fossiles… d’où des transferts de richesse à prévoir et des impacts géostratégiques importants !

Pour conclure, restons sur cette note d’espoir d’un philosophe français contemporain : « À l’encontre des Cassandre qui annoncent la fin de la croissance, l’économie mondiale se situe à la veille d’un cycle comparable à la Renaissance ! » 

Le carrosse redevient-il citrouille ?

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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