Date de publication : 3 novembre 2022

2022 est caractérisée par une inflation inédite partout sauf, hélas, sur les marchés financiers. Les investisseurs sont en effet au contraire confrontés à un scénario boursier tristement historique de baisses concomitantes des actions et des obligations, toutes deux supérieures à -20% ! L’épargnant ne peut alors que s’interroger sur l’alternative s’offrant à lui : faut-il battre en retraite le temps que le contexte général s’éclaircisse ou bien chercher au contraire à saisir des opportunités bon marché ?

Marchés … noirs !

Avant de s’interroger sur les éventuelles opportunités boursières offertes, il convient tout d’abord de qualifier les spécificités du contexte actuel. Les médias concentrent comme toujours leurs commentaires sur la chute des marchés d’actions, mais c’est le krach subi par les obligations qui devrait plutôt retenir leur attention. Depuis la fin 2020, le recul des obligations internationales atteint les -24% (-21% sur 2022) quand, dans le même temps, les actions ne cèdent « que » -9% (-24% sur 2022). Cette « omission » des médias s’explique probablement par le fait qu’il s’agit d’une « glissade » assez constante, mais aussi parce que les rendements nominaux des obligations peuvent finalement paraître encore modérés au vu des niveaux atteints dans les années 80’ : ils étaient alors 4 fois plus élevés qu’aujourd’hui. Pourtant, pour l’épargnant, l’actif réputé « défensif » dans les portefeuilles est, paradoxalement, le plus pénalisant depuis 2 ans !

La chute des obligations et des actions a une origine commune : le durcissement radical des politiques monétaires à travers le monde. Les Banques centrales ont en effet pour mission de s’assurer que l’inflation reste sous contrôle, autrement dit qu’elle avoisine les +2% sur la durée. De multiples facteurs coïncident toutefois pour que l’inflation atteigne aujourd’hui des niveaux inédits depuis 40 ans. On peut citer notamment les perturbations affectant la production et l’acheminement des biens industriels depuis la COVID (donc des insuffisances d’offre), les surplus d’épargne constitués lors de la COVID (donc des excès de demande), la flambée des prix énergétiques depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les surcoûts liés aux investissements pour la transition énergétique, la relocalisation de certaines activités jugées stratégiques vers les pays développés à coûts de main d’œuvre bien plus élevés, les difficultés à embaucher du personnel qualifié… Certains de ces facteurs d’inflation sont conjoncturels, mais d’autres sont à l’évidence durables et, quand bien même ils ne seraient que temporaires, il n’est pas forcément aisé d’en déterminer le terme, comme par exemple la fin de la guerre en Ukraine ! Pour éviter que l’inflation ne s’installe sur la durée, les Banques centrales sont prêtes aujourd’hui à « asphyxier » les économies par le renchérissement brutal du coût de l’emprunt. En d’autres termes, une récession délibérée est considérée par les banquiers centraux comme un sacrifice acceptable, voire nécessaire.

Le comportement des actifs financiers est, hélas, cohérent avec l’actuel contexte de fort rehaussement des taux directeurs. Le rendement des obligations remonte, autrement dit leurs cours baissent, les prêteurs ayant intérêt à vendre les anciennes obligations moins bien rémunérées pour se porter acquéreurs des nouvelles émissions dont les rendements sont plus attrayants. Mais la désaffection à l’égard des obligations ne s’arrête pas là : les rendements nominaux actuels ne permettant pas de compenser l’inflation, le prêteur de capitaux perd du pouvoir d’achat en y consacrant des investissements, d’où la décollecte massive de -235Mds $ sur les obligations cette année. Pour ce qui est des actions, même si les entreprises peuvent pour leur part passer des hausses de prix et qu’elles offrent donc une forme de protection naturelle contre l’inflation, leurs cours reculent aussi fortement. La première explication est mathématique : les entreprises sont évaluées à partir des estimations de leurs bénéfices futurs et, afin d’actualiser ces flux, on utilise un taux d’intérêt au dénominateur du calcul qui, plus il est élevé, plus il comprime la valeur de la société. Ceci explique notamment pourquoi les entreprises à forte croissance (souvent des poids lourds dans les grands indices boursiers !), qui dégageront d’importants bénéfices à l’avenir, sont les plus directement affectées par l’actuel processus de hausse des taux d’intérêts. Le second motif au recul des actions est tout simplement la perspective d’une possible récession économique qui pèserait sur leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices, et donc potentiellement sur les versements de dividendes ou les rachats d’actions. Pour ce qui est des matières premières, hormis le segment énergétique qui reste soutenu par le conflit en Ukraine et par le pilotage des prix pétroliers par l’OPEP+, elles ne sont pas immunes dans un tel contexte, puisqu’elles souffriraient aussi d’une récession économique à venir. Depuis son pic du 9 juin, l’indice composite des matières premières (i.e. le CRB) a perdu -13%, reflétant ces craintes de tassement de la croissance mondiale.

Le Dollar est finalement à peu près le seul gagnant de l’actuel contexte : il bénéficie de sa réputation d’actif « refuge », et son appréciation s’explique notamment par le différentiel d’agressivité entre les Banques centrales pour relever leurs taux directeurs. Face au panier des 6 principales devises mondiales, le Dollar s’est apprécié sur la seule année 2022 de +16%, et a inscrit de nouveaux records HISTORIQUES face à la Livre Sterling britannique, mais a aussi affiché de nouveaux plus hauts depuis 1990 face au Yen japonais, ou bien depuis 2002 vis-à-vis de l’Euro ! Les États-Unis sont plutôt satisfaits de l’actuelle force du Dollar car, au-delà du rayonnement international induit, cela contribue à atténuer l’inflation importée dans le pays, et facilite la tâche de la Banque centrale américaine (FED) dans sa lutte contre l’inflation. En d’autres termes, un Dollar fort se substitue en partie à des hausses de taux directeurs de la FED. Ce même Dollar fort constitue en revanche un très violent surcoût pour les pays ou pour les entreprises étrangères facturées en Dollar, ou bien encore pour ceux devant rembourser des emprunts libellés en Dollar. Au-delà de l’ampleur de cette appréciation, c’est peut-être plus encore sa vitesse qui pose un problème, les agents économiques n’ayant pas le temps de s’y adapter. L’ONU, particulièrement inquiète de ces effets nocifs, a officiellement alerté les autorités américaines des risques que cette attitude non coopérative pourrait faire peser sur le reste du monde : l’instabilité financière, une probable récession économique, de possibles révoltes sociales, des menaces d’émeutes de la faim dans certains pays émergents… le sujet des devises est donc très sensible !

Etudes de marchés…

Les diverses classes d’actifs sont aujourd’hui étroitement liées entre elles, et les investisseurs attendent avec impatience une éventuelle inflexion accommodante de la politique monétaire de la FED, son « pivot », pour envisager de s’exposer de nouveau plus significativement aux marchés financiers. L’impressionnante résilience de la croissance américaine retarde toutefois ce « pivot »… autrement dit, paradoxalement, les bonnes nouvelles économiques sont actuellement de mauvaises nouvelles pour les marchés financiers ! Dans l’hypothèse où cet événement surviendrait néanmoins prochainement, que faut-il avoir en tête concernant les grandes classes d’actifs ?

Obligations

La hiérarchie traditionnelle des obligations est actuellement complètement inversée : les obligations des entreprises les plus fragiles (i.e. le « High Yield »), autrement dit celles risquant le plus le défaut de paiement ou la faillite, sont pourtant celles résistant le mieux en bourse, devançant les obligations émergentes, les autres obligations d’entreprises et, enfin, les emprunts des États. Ce classement laisse entendre que les investisseurs ne sont pas, à ce stade, dans la crainte d’une récession économique profonde et durable, sinon les obligations « High Yield » ou celles des zones émergentes sous-performeraient. Les investisseurs s’exposent donc aux obligations ayant les plus forts rendements RÉELS (rendements nominaux corrigés de l’inflation anticipée)… autrement dit, actuellement, l’inflation anticipée pilote implicitement les choix d’allocations obligataires. Par ailleurs, les obligations indexées sur l’inflation sont, paradoxalement, celles affichant la pire des performances durant l’année. Ceci s’explique par leur bonne tenue en 2021 quand les autres segments obligataires baissaient déjà, mais c’est aussi l’indication que les investisseurs anticipent un fort tassement de l’inflation durant les prochains mois et années… les Banques centrales restent donc crédibles dans leur lutte contre l’inflation ! Les éventuelles inflexions de cette hiérarchie des performances obligataires donneraient des indications précieuses sur l’évolution des attentes des investisseurs. Dans certains pays, aux États-Unis par exemple, le rendement nominal des obligations est de nouveau supérieur à celui du dividende des actions… les obligations redeviennent alors des alternatives crédibles aux actions au sein des allocations d’actifs diversifiées. Enfin, le krach obligataire des derniers mois a reconstitué leur potentiel boursier futur, sous condition que l’inflation soit apaisée et que les politiques monétaires des Banques centrales ne soient plus défavorablement orientées.

Actions

L’analyse affinée des divers segments des actions est tout aussi instructive que celle des obligations afin d’appréhender le positionnement et les stratégies des investisseurs. Plus encore que par le passé, la forte dispersion et la volatilité sont les deux grandes caractéristiques des actions en 2022. Les pays développés sont généralement privilégiés dans les allocations, car pourquoi s’exposer à des risques additionnels sur les pays émergents alors que la croissance économique est vouée à ralentir en 2023 ? Ce raisonnement vaut aussi pour les grandes multinationales par rapport aux petites entreprises domestiques, ces dernières étant en moindre capacité à imposer leurs conditions financières aux clients, aux fournisseurs, ou aux salariés (i.e. le fameux « pricing power »). Les impacts des devises et des matières premières sont déterminants cette année, et ce sont des sources de performance ou de contre-performance majeures pour les indices boursiers, pour les secteurs ou pour les entreprises ! Les secteurs ou sociétés très endettés ou très sensibles aux évolutions des taux d’intérêts (l’immobilier par exemple) sont particulièrement délaissés dans l’actuelle phase de remontée violente des taux. Ce même motif explique que, de façon très atypique, le style de gestion « Value » (entreprises ayant de faibles valorisations) résiste bien mieux cette année que le style « Growth » (sociétés de croissance aux valorisations boursières élevées). La question de la trésorerie nette disponible ou projetée des entreprises est le centre d’attention des investisseurs, puisque déterminant la capacité à rembourser les créanciers, mais aussi à continuer d’investir, à éventuellement acquérir des concurrents, ou bien encore à verser des dividendes ou à procéder à des rachats d’actions. Il convient d’ailleurs de souligner que les entreprises disposant d’une importante trésorerie nette bénéficient de nouveau d’une rémunération satisfaisante de leur cash du fait de la hausse des taux, et que les leaders renforcent par là même leur situation relative face à des concurrents affaiblis. Deux arbitrages thématiques sont également notables : la consommation discrétionnaire est délaissée au profit des dépenses courantes, ceci du fait des problématiques de pouvoir d’achat en période de très forte inflation, et la consommation de services et de loisirs a pris le pas sur celle des biens industriels, la situation sanitaire permettant de réaliser de nouveau ce type de dépenses. Au vu des historiques, les valorisations des actions semblent désormais souvent attractives, sous réserve que la récession économique attendue ne soit ni trop longue ni trop profonde : sinon, il faudrait réviser bien plus encore à la baisse les prévisions de bénéfices à venir.

Matières premières

Durant les prochains mois et même bien au-delà, la question des matières premières pourrait se résumer dans la formule : passer l’hiver et passer au vert ! La plupart des matières premières font en effet l’objet d’une production structurellement insuffisante depuis des années, les investissements industriels leur étant consacrés étant bien trop faibles. Ceci s’explique d’abord par le fait que les chocs économiques majeurs s’enchaînent à un rythme soutenu depuis 2 décennies, décourageant les initiatives dans le domaine, car il faut plusieurs années avant de pouvoir produire et donc commencer à rentabiliser de tels investissements. Par ailleurs, la montée en puissance du « socialement responsable » dissuade bon nombre d’investisseurs de financer des projets par nature destructeurs de la planète et donc contraires à leurs engagements « verts ». La guerre en Ukraine a été un révélateur et un catalyseur : les secteurs énergétiques et des métaux industriels sont tous deux insuffisamment dimensionnés pour faire face aux besoins courants de nos économies ou pour ceux de la transition énergétique à venir. À plus court terme, la politique sanitaire de 0 COVID chinoise et la perspective d’un tassement économique à venir pèsent depuis plusieurs mois sur les prix des matières premières, ce qui est rassurant pour la dynamique de l’inflation et pour les politiques monétaires à venir. Toutefois, si un « déconfinement » de l’économie chinoise devait finalement se produire et que la récession à venir soit modeste, cela remettrait vite en évidence les déséquilibres structurels entre offre et demande de matières premières : leur prix sont donc probablement voués à rester durablement élevés, mais avec une forte volatilité ! À long terme, c’est surtout du côté des métaux industriels que les enjeux économiques et géopolitiques seront les plus prononcés. Dès lors, ne faudrait-il pas éventuellement envisager que les Etats prennent en partie ces investissements à leur charge, ne serait-ce que pour des motifs de souveraineté ?

Faire son marché ?

Une fois le diagnostic établi, se pose pour l’épargnant la question de ses possibles choix d’investissements dans un tel contexte.

La première décision envisageable est de vouloir se réfugier sur des actifs « défensifs », l’environnement incertain incitant à rechercher plus de sécurité. Toutefois, comme nous l’avons exposé précédemment, le contexte monétaire exceptionnel actuel prive les obligations de leur efficacité en tant qu’actif financier refuge. Pour que les obligations soient de nouveau structurellement intéressantes, il faut que l’inflation se calme et que les Banques centrales reviennent à des dispositions monétaires plus accommodantes. Mais, si tel est le cas, les actions seront tout aussi attrayantes puisque, pour elles aussi, la question du « pivot » des Banques centrales est actuellement le principal déterminant de hausse ou de baisse des cours, comme l’a par exemple démontré le faux départ haussier simultané des actions et des obligations entre la mi-juin et la mi-août 2022. Modifier son niveau de risque en permutant les classes d’actifs auxquelles on s’expose, autrement dit alléger les actions pour les obligations, n’est alors probablement pas une stratégie aussi efficace qu’à l’habitude.

L’alternative, plus radicale, pourrait consister à sortir complètement des marchés pour attendre que les incertitudes actuelles soient progressivement levées, et réinvestir plus sereinement par la suite. Une telle décision implique toutefois de renoncer de façon certaine à une partie importante du potentiel de rebond. En effet, les performances des marchés reposent en réalité sur un nombre limité de séances boursières aux rendements exceptionnellement élevés, et se priver de seulement quelques-unes de ces séances dégrade radicalement les espérances de gains. Ainsi, comme le souligne le tableau ci-joint, entre les années 1999 et 2021 incluses (soit autour de 5800 séances de bourse), le rendement annuel moyen de l’indice américain S&P500 a été de 9,69%, mais en ratant seulement les 10 plus fortes séances de hausse de ces 5800 séances on retombe à 6,16% de rendement, et en ratant les 40 meilleures séances on revient à +0,06%. Ce raisonnement vaut aussi pour les obligations, mais dans une moindre ampleur, ces dernières étant bien moins volatiles que les actions. Bien évidemment, c’est lors des phases de pessimisme et de prudence extrêmes que ces séances de violentes hausses se produisent, les investisseurs étant alors pris à revers. Au vu des indications quant au sentiment des investisseurs et à l’état de leurs allocations d’actifs, nous sommes à l’évidence déjà aujourd’hui dans ce type de cadre psychologique et d’expositions financières. Sortir des marchés semble être alors une option d’autant plus aléatoire que les baisses cumulées sont déjà très conséquentes. 

C’est précisément parce que l’ampleur des replis des actions et des obligations est déjà très prononcée que l’épargnant peut être finalement tenté d’accélérer les éventuels plans d’investissements qu’il aurait programmés sur une période plus longue. Autrement dit, ne doit-il pas chercher à saisir dès à présent des opportunités bon marché ? Le point bas des marchés financiers intervient systématiquement AVANT que la situation de l’économie réelle ne se retourne favorablement : il faut avoir le courage d’acheter en pleine tempête, quand la visibilité est faible, et le pessimisme extrême. La crise de la COVID en atteste : le point bas des marchés est intervenu en mars 2020, alors même que les économies se confinaient, et que les résultats favorables des vaccins n’ont été dévoilés qu’en novembre de la même année. L’inflation et les politiques monétaires sont, cette fois, le centre de toutes les attentions. S’il est impossible de prédire avec certitude le moment du « pivot », plusieurs indicateurs avancés laissent néanmoins penser que cet événement approche. En effet, les prix des matières premières ont fortement rebaissé, tout comme celui du fret, l’immobilier donne des signes de faiblesse du fait de l’envol des taux d’intérêts, les entreprises de distribution se plaignent d’excès de stocks les contraignant à pratiquer des soldes… Les pleins effets des hausses de taux directeurs se faisant ressentir sur l’économie réelle avec généralement un décalage de 9 mois à 1 an, les Banques centrales devraient donc être bientôt récompensées de leurs efforts. 

Dans cet environnement plus incertain que sombre, en veillant à bien respecter les équilibres prédéfinis de son projet financier, l’épargnant de long terme gardera en tête ce proverbe flamand : « Le bon marché est le mauvais marché » !

Bon marché ?

Vincent Lequertier
Vincent Lequertier

Vincent Lequertier a 25 ans d’expérience en gestion d’actifs. Après une carrière à la banque d’Orsay, il est successivement directeur adjoint actions puis directeur actions. Spécialiste de la gestion allocataire, il devient en Août 2015, le responsable de la gestion allocataire chez WeSave.fr.

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